La quatrième conférence internationale sur la recherche vaccinale s’est tenue à Montréal du 6 au 9 septembre dernier. Ce rassemblement de chercheurSEs et de médecins du monde entier, touTEs engagéEs dans la recherche d’un vaccin contre le sida, a permis de faire le point sur l’état des travaux en cours mais aussi de tracer quelques pistes pour l’avenir.
En ouverture, Rafick-Pierre Sékaly, éminent directeur du réseau canadien de recherche sur le vaccin anti-sida et président de la conférence a présenté le programme de cette réunion au cours de laquelle 350 travaux seront exposés. La discussion sera favorisée autant que possible comme en attestent les tables rondes qui concluront chaque symposium. Cinquante pays sont représentés à cette conférence dont 39 par une présentation écrite ou orale. Les sujets proposés vont de la recherche fondamentale et clinique aux défis logistiques et socioculturels que posent la recherche vaccinale.
Au cours de la session d’ouverture, Anthony Fauci, le directeur de l’institut américain des maladies infectieuses (NIAID), a rappelé que le vaccin constituait un élément incontournable dans le développement de la prévention contre le sida pour contrôler l’extension de l’épidémie. Il a expliqué que malgré une politique budgétaire difficile aux Etats-Unis, le financement de la recherche sur le sida et sur le vaccin en particulier ne faiblirait pas grâce à la volonté présidentielle en la matière. Il en a profité au passage pour rappeler que les Etats-Unis sont le premier financeur public de la recherche vaccinale avec 516 millions de dollars en 2004. Il a rappelé néanmoins l’impérieux besoin de collaboration et de coopération internationale. Mais il était surtout venu annoncer la création du Center for HIV/AIDS Vaccine Immunology (CHAVI). A l’initiative du président américain, ce centre de recherches entièrement consacré au vaccin contre le VIH sera doté de 300 millions de dollars sur sept ans et sa mission sera de participer aux travaux concertés par la Global Aids Vaccine Enterprise.
Stephen Lewis, envoyé spécial des Nations Unies sur le sida en Afrique, a répondu au Directeur du NIAID qu’on pouvait se réjouir des petits pourcents concédés par le congrès américain à la recherche sur le sida, mais que c’était le même congrès qui avait voté sans sourciller les 80 milliards de la guerre en Irak. Déplorant que trop souvent encore le vaccin contre le sida ne fasse pas partie des agendas de la prévention, il a aussi fustigé les membres du G8 qu’il qualifie d’aristocrates de la politique en s’indignant sur leur manque d’intérêt à financer la recherche vaccinale. Déplorant le résultat de la conférence de refinancement du fonds mondial, 3,7 milliards de dollars pour 2006-2007 promis par les pays qui soutiennent le fonds, il a rappelé que les besoins estimés par l’Onusida sont de 16 milliards pour 2006 et de 18 milliards pour 2007. Si le financement du strict nécessaire n’est pas assuré, c’est encore la recherche du vaccin qui sera sacrifiée. C’est à une autre échelle qu’il faut voir les choses : face à une épidémie qui, dans les régions où elle frappe le plus, touche essentiellement les femmes, le vaccin représente un espoir extraordinaire. Sans cela, la femme africaine fera bientôt figure de minorité menacée d’extinction. « Je ne crois pas que le monde réalise à quel carnage nous allons être confrontés » a-t-il encore lancé en encourageant tous les participants à la conférence à se faire les ardents défenseurs de la recherche vaccinale et à ne jamais laisser leur détermination faiblir. En guise de conclusion, il a raconté que, traversant récemment un village ougandais qu’il a connu il y a pas mal d’années, il a été frappé par le changement sinistre : le village n’est plus peuplé aujourd’hui que de vieillards et d’enfants, touTEs les adultes sont mortEs.
Recherche fondamentale
Le système immunitaire est doué d’une capacité d’apprentissage phénoménale qui lui permet d’opposer une réaction de défense très efficace et très rapide contre des agents qu’il aurait rencontrés auparavant. D’où l’idée des vaccins. Un vaccin est une substance que l’on donne à un individu de manière à ce qu’il fabrique une réponse immunitaire contre cette substance qui représente l’agent contre lequel on veut fabriquer une protection. Si les vaccins étaient classiquement constitués de l’agent pathogène lui-même dont on avait atténué la virulence soit en le tuant, soit en l’affaiblissant, les moyens de la biotechnologie permettent aujourd’hui d’employer de pures fabrications de laboratoire moins dangereuses. D’autre part, le standard incontournable en matière d’immunologie a toujours été d’obtenir d’un vaccin qu’il induise la production d’anticorps capables de neutraliser l’agent pathogène contre lequel on se bat. Mais voilà, depuis bientôt 20 ans, dans le domaine du sida, les recettes traditionnelles ont échoué dans cette tâche. Les chercheurSEs ont donc été contraintEs de réviser leurs connaissances et leurs objectifs. Aujourd’hui, les pistes ont changé. D’une part, les nouveaux candidats vaccins tentent de stimuler les mécanismes de défense cellulaires, c’est-à-dire qu’il tentent d’induire la production de lymphocytes T CD8 cytotoxiques (CTL) capables de reconnaître et de détruire les cellules infectées par le virus. D’autre part, l’objectif n’est plus tant d’atteindre l’immunisation que de limiter les effets du virus chez les personnes contaminées en induisant son contrôle par une stimulation de l’immunité.
Malgré cela, bon nombre de chercheurSEs considèrent qu’une réponse vaccinale ne sera réussie que si elle induit la production d’anticorps. La principale raison des échecs est due à la capacité du virus à muter rapidement en se répliquant et ainsi à échapper aux réponses immunitaires. Après avoir retracé les péripéties de ces recherches, le Dr. Wyatt (vaccine research center, NIAID) a proposé de nouvelles cibles pour ce mode de stimulation qui se révèlent beaucoup moins variables du fait de leur fonctionnalité. Ainsi, un des sites proposé est situé sur la glycoprotéine virale, GP41, à proximité de la membrane d’où son nom de MPR, membrane proximal region. Mais il reste maintenant tout à faire : concevoir les vaccins, procéder aux études pré-cliniques et peut-être passer aux études sur l’homme.
L’autre centre d’intérêt des chercheurSEs, ce sont tous ces gens qui ne réagissent pas comme les autres à l’exposition au virus, de même que tout ce qui fait la différence d’évolution de la maladie. Dans ce champ de la recherche génétique, Philip Goulder (Université d’Oxford, UK) a exposé ces particularités qui font que certainEs ont un système immunitaire plus adapté que d’autres à lutter contre le VIH. Son exposé a permis de comprendre que la diversité génétique des protéines HLA de classe I conditionne l’évolution de la maladie tant en terme de charge virale que de contrôle de l’immunité. Ces protéines jouent un rôle central dans le mécanisme de détection des cellules infectées par les lymphocytes T CD8 ou lymphocytes CTL qui contrôlent la maladie dès la primo-infection. On comprend bien ainsi que la recherche vaccinale se passionne tant à essayer de stimuler cette réponse immunitaire avant de s’intéresser aux anticorps neutralisants.
La leçon du passé
Judith N. Wasserheit (Fred Hutchinson Cancer Center, HVTN, USA) a fait le point sur les essais cliniques de vaccins. Entre 1985 et 1999, plus de 35 essais utilisant des protéines recombinantes de l’enveloppe du VIH conçues pour induire des anticorps neutralisants ont été réalisés. En 2003, deux essais d’efficacité (phase III) conduits par VaxGen avec une protéine recombinante de la GP120 n’ont montré aucune efficacité. Nous sommes maintenant entrés dans l’ère des essais de vaccins dont on attend une stimulation de la réponse CTL, la réponse des lymphocytes T CD8 dirigée contre les cellules infectées. Ainsi, en 2005, plus de 25 essais de phase I et II testent de multiples approches sur cette piste. De plus, deux essais d’efficacité sont en cours depuis 2003. Le premier teste en phase III une formule d’induction-boost avec un ALVAC d’Aventis-Pasteur (vCP1521) puis le rGP120 de VaxGen. Le second est un essai de démonstration du concept d’un adenovirus non répliquant de type 5 (Ad5) du laboratoire Merck. A la suite des essais de phase I et II de la formule d’induction avec un ADN cloné par de multiples épitopes puis boost par Ad5, un essai d’efficacité de phase III de cette formule sensée stimuler l’immunité CTL est en préparation. Mais que peut-on tirer des essais peu concluants terminés à ce jour qui puisse renforcer nos connaissances pour l’avenir ? La spécialiste américaine propose 10 enseignements majeurs.
– 1. Une très grande sécurité. De tous les essais, un seul effet indésirable grave a été imputé au produit testé pour plus de 50 candidats vaccins. Cela prouve que les mesures employées jusque-là pour assurer le contrôle de la sécurité ont été efficaces. La procédure de suspension pourrait ainsi être réservée aux essais sur des produits entièrement nouveaux.
– 2. Induire la production d’anticorps neutralisants efficaces sur la durée est très difficile. Tous les essais ont conclu à une inefficacité des produits testés, même s’il a existé quelques cas marginaux.
– 3. La plupart des virus de varicelle employés comme vecteurs n’induisent aucune réponse CD8 CTL durable.
– 4. Tous les ADN ne sont pas équivalents. Il existe à ce jour de nombreux essais de diverses formules, il convient de pouvoir les comparer afin de sélectionner les meilleurs candidats.
– 5. Les vecteurs adénovirus sont dans le groupe de tête. C’est un constat très positif mais il faudrait élargir la palette des approches testées sur ce modèle.
– 6. La réorientation vers les vaccins stimulant la réponse CTL a aussi été l’occasion de nombreuses innovations. Parmi celles-ci, il y a l’association de laboratoires travaillant sur une piste, l’idée d’éducation communautaire, les avancées sur le consentement éclairé, l’amélioration des autorités de régulation et des règles d’autorisation, l’accès aux soins et aux antirétroviraux pour les volontaires qui deviendraient séropositifVEs en cours d’essai.
– 7. Attention, un train peut en cacher un autre. Le fait de s’être intéressé à la stimulation de l’immunité des lymphocytes T a renforcé d’autres centres d’intérêts comme l’étude de l’évolution de la charge virale ou de l’immunité des personnes infectées en cours d’essai. De là est aussi apparu un recentrage de l’objectif traditionnel du vaccin préventif vers d’autres perspectives comme les vaccins capables de renforcer le contrôle de la maladie par l’immunité chez les séropositifVEs ou encore l’idée d’un vaccin capable de permettre un meilleur contrôle de la réplication virale lors d’une infection.
– 8. Les essais d’efficacité de vaccins sont en cours mais le vaccin n’est pas la seule solution. En effet, l’arsenal préventif doit être vu comme un dispositif à multiples composantes dont le vaccin ne sera qu’un élément. D’autres techniques de prévention sont à l’étude. L’évaluation de la circoncision comme mesure protectrice est en cours. De même, les microbicides et les traitements prophylactiques pré-exposition sont actuellement évalués.
– 9. La mise en place de la capacité opérationnelle à mener des essais à long terme est un défi mais demeure une nécessité essentielle.
– 10. Le leadership au plus haut niveau est indispensable.
S’organiser
Tout aussi important, l’aspect organisationnel fut abordé lors du symposium de la Global HIV Vaccine Enterprise dont le secrétaire, José Esparza, a retracé les grandes lignes de sa courte histoire. Inventée dans l’été 2003, l’Enterprise est l’émanation d’un groupe de 24 scientifiques ayant fait le constat que pour réussir, la recherche vaccinale devait s’unir et s’organiser en réseau mondial. Il proposèrent donc, au lieu de créer un organisme de plus, de mettre sur pied une alliance entre les organisations existantes et de lui permettre de faire fonctionner l’ensemble des chercheurSEs en harmonie. Un an plus tard, le sommet du G8 de Sea Island approuvait officiellement la création de l’Enterprise. Son fonctionnement s’articule autour de deux forums. Le premier réunit les parties prenantes de la recherche dans lequel les représentantEs de la communauté sont incluSEs et établit le plan de travail scientifique. Ce scientific strategic plan existe aujourd’hui. Ses principales priorités concernent bien entendu diverses directions pour la recherche de candidats vaccins mais aussi sur la standardisation des laboratoires d’analyse des résultats, sur le développement et la production de produits, sur les capacités à monter des essais cliniques ainsi que sur les processus de régulation et la question de la propriété intellectuelle.
Le deuxième forum est celui des financeurs. A ce propos, José Esparza a rappelé comment la recherche vaccinale est financée à ce jour. Le budget annuel qui lui est consacré s’élève à 662 millions de dollars dont 530 millions proviennent du secteur public américain, 59 millions des industriels, 41 millions de l’Union Européenne auxquels il faut ajouter 11 millions des pays européens directement. Les contributions d’autres pays, des donateurs, donatrices et des fondations privées font le reste. Le surprenant déséquilibre de ces financements laisse entrevoir une possibilité d’évolution à venir. Encore faut-il pour cela la volonté politique.
Sur la question de l’éthique des essais vaccinaux, Nicola Barsdorf (Ethic, law and Human rights working group, african Aids Vaccine Program) a proposé aux participantEs une analyse des questions que soulèvent l’organisation d’essais vaccinaux en Afrique. Elle a aussi décrit le travail réalisé jusque-là au cours des deux ateliers de Lagos et Kampala qui ont abouti à des documents de synthèse sur la question de la propriété des données recueillies et sur l’accès aux traitements pour les personnes qui deviendraient séropositives en cours d’essai. Le travail actuel et les prochains ateliers seront consacrés à l’étude des législations et réglementations actuelles ainsi qu’à la rédaction de documents guides.
Une des sessions de la conférence était entièrement consacrée à l’étude de la vaccination chez les adolescentEs. Au cours de cette session, Jared Baeten (University of Washington, USA) en a exposé les motivations épidémiologiques. Les adolescentEs sont plus vulnérables tant physiquement que socialement. Rien d’étonnant à ce que les moins de 25 ans représentent la majorité des séropositifVEs. Mais les femmes ont un risque physiologique plus élevé que les hommes dans les relations hétérosexuelles d’une part, mais aussi parce que la contraception hormonale augmente la susceptibilité au VIH. Enfin, les infections sexuellement transmissibles sont un co-facteur de transmission du VIH. A l’inverse, le niveau d’éducation est un indicateur de risque plus faible. Et, d’une manière générale, les interventions comportementales peuvent réduire le risque de manière substantielle.
Coleen K. Cunningham (Children’s health center, USA) a ensuite justifié l’intérêt de la vaccination chez les adolescentEs en montrant que, d’une manière générale, les vaccinations sont plus efficaces et mieux réussies lorsqu’elles sont pratiquées jeunes. Elle préconise ainsi l’organisation d’essais de vaccination chez les adolescentEs et précise aussi que si l’on attend d’avoir un vaccin approuvé pour les adultes, il faudra encore du temps avant que la formule soit testée, puis approuvée chez les adolescentEs, autant de temps perdu et de contaminations en plus.
En guise de conclusion
Après le discours de Barton Haynes (Duke Human Vaccine Institut, USA) qui a rappelé le programme de travail du tout nouvel institut de recherche américain, le CHAVI, ce fut au tour de l’ambassadeur de France pour le sida et les maladies transmissibles, Michel Kasatchkine, de conclure cette conférence. L’ancien directeur de l’ANRS a replacé la recherche vaccinale dans le contexte historique de l’évolution de la politique de santé dans le monde afin de la mettre en perspective avec les récentes prises de position du G8 et sa déclaration de l’accès pour tous. Partant, il s’agit de savoir si la santé doit être considérée comme un immense marché mondial ou bien si ce marché doit être contrôlé pour ne pas laisser en route les plus nécessiteuSESx. La réponse à l’épidémie de sida doit se faire sur tous les fronts, a insisté Michel Kasatchkine : il faut renforcer la prévention, achever l’accès universel aux soins et développer la recherche dans tous les secteurs. La prévention et les traitements forment un tout et se renforcent l’un l’autre. Ce sont les composantes inséparables de la politique d’accès aux soins. Réduire l’incidence des contaminations demande de renforcer la prévention secondaire qui ne peut se faire que par l’accès aux traitements. Le programme à venir de la recherche doit être agressif. L’ancien directeur de l’ANRS a rappelé à ce propos les résultats récemment publiés de l’étude ANRS 1265 qui a montré l’intérêt de la circoncision chez les jeunes hommes pour limiter la transmission du VIH.
Cette quatrième conférence (Paris, New-York, Lausanne, Montréal) sur la recherche vaccinale s’achève. Les moyens sont toujours insuffisants, les efforts fragmentés ; l’engagement reste trop faible, tant du secteur public que des entreprises privées. La reconnaissance de l’importance de l’enjeu n’est pas reconnue par les bailleurs de fonds et les politiciens. Mais pour cela, le message délivré par la recherche vaccinale doit être clair. Il faut cesser de parler de solution ultime, mais d’une composante qui fait partie de la réponse globale à l’épidémie de sida. L’engagement à travailler ensemble est encore insuffisant. La Global Hiv Vaccine Enterprise doit permettre ce développement comme elle doit permettre de récolter les fonds nécessaires. En conclusion, Michel Kasatchkine a rappelé que parmi les engagements pour le développement pris par les 191 états membres de l’ONU lors de l’assemblée du Millenium, le huitième précise : mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
Il ne restait plus qu’à Rafick-Pierre Sékali, le président de cette conférence, le soin de remercier toutes et tous pour leur participation à la AIDS vaccine 2005 avant de passer la parole à Joep Lange, le chercheur et clinicien hollandais, président de la AIDS vaccine 2006, afin d’inviter à participer à la conférence qui se tiendra à Amsterdam du 29 août au 1er septembre.