Pour sa troisième édition, la conférence de l’International aids society (IAS) sur la pathogenèse et les traitements de l’infection à VIH était de retour en Amérique du sud (Rio de Janeiro, du 24 au 27 juillet dernier), et a réuni 5500 participantEs venuEs de 130 pays.
Les 9 sessions plénières, 14 satellites et 19 forums ainsi que l’exposition de posters ont proposé 1400 communications de science fondamentale, d’études cliniques et de recherches sur la prévention de la transmission du virus, mêlant les travaux issus de tous horizons et donnant ainsi à ce rassemblement une véritable dimension de coopération mondiale. Dans l’immense richesse des sujets abordés lors de cette conférence, voici trois présentations sur des sujets moins classiques mais d’une importance capitale dans l’épidémie d’aujourd’hui.
Diversité virale
L’américaine Francine E. McCutchan a présenté le travail du programme d’épidémiologie moléculaire mondial. Ce programme, soutenu par les Etats-Unis et l’Europe, recense les données épidémiologiques de plus de 40 millions d’individus infectéEs dans le monde et permet de mesurer l’évolution des virus VIH. Des virus recombinants sont apparus par la combinaison des gènes de virus acquis par des personnes surcontaminées. Cette grande diversité est due aux caractéristiques mêmes du VIH : il est capable de produire dix milliards de nouveaux virus par jour chez un individu infecté dont la maladie n’est pas contrôlée. De plus, à chaque réplication de son génome, il peut se produire une erreur de copie. Enfin, lorsque deux virus sont présents, chaque nouveau virus produit peut être le résultat de 7 à 30 recombinaisons entre les brins initiaux.
Aujourd’hui, on recense 21 formes recombinantes de virus qui circulent (CRF) dont quelques unes sont à ce jour devenues majoritaires dans certaines régions du monde (Thaïlande, Russie) et d’innombrables formes recombinantes uniques (URF) dont la diversité va croissante. On compte ainsi environ 40% de personnes infectées par un virus original au Kenya. Le programme mondial d’épidémiologie moléculaire s’acharne aussi à recenser tous ces variants ainsi que les zones géographiques où ils apparaissent. De nombreuses épidémies régionales contiennent une grande variété de séquences qui sont en permanente évolution. Pour illustrer cette diversité, la chercheuse compare la dynamique des mélanges de sous-types viraux à la mobilité de son hôte, l’homme, à l’aide d’une carte de routes aériennes. Partout des recombinaisons s’opèrent et changent la carte de répartition des virus, ce qui ne peut s’expliquer que par l’importance des réinfections dans les zones de contact entre souches multiples. Pour corroborer cette hypothèse, la chercheuse a développé un outil d’analyse permettant de suivre l’évolution des virus chez des personnes placées dans des conditions de haut risque. Différentes cohortes de malades de Tanzanie, d’Ouganda et du Kenya représentant des populations rurales et urbaines, présentent au départ une diversité de souches virales parmi lesquelles on trouve 26% à 51% de virus recombinants uniques. L’étude ainsi réalisée montre l’évolution des souches recombinantes dans ces populations.
Qu’apprend-on à travers ces études ? Sur le plan prophylactique, cette diversité croissante représente une difficulté à prendre en compte dans le domaine de la recherche vaccinale puisqu’un futur vaccin devra démontrer une efficacité sur des virus variés. D’autre part, il n’est pas exclu que les personnes atteintes de souches multiples et recombinantes puissent transmettre des combinaisons de souches diverses, rendant encore plus complexe le schéma de transmission.
Par ailleurs, la diversité virale doit être prise en compte et évaluée pour les tests de dépistage et les mesures de charge virale qui pourraient donner des résultats plus ou moins bons selon leur sensibilité à la diversité. Enfin et surtout, les preuves existent et sont nombreuses que les personnes ayant des souches multiples ont une charge virale plus élevée et une progression de la maladie plus importante. C’est ce qu’a expliqué Carolyn Williamson (University of Cape Town, South Africa). Les hypothèses non encore confirmées proposent que la destruction initiale de l’immunité plus importante prédispose à une maladie plus rapide et à une sensibilité plus grande à la réinfection. Les infections multiples apportent une diversité qui génère des virus recombinants plus adaptés, plus difficiles à combattre et qui seraient la cause de l’évolution plus rapide dans la maladie. Mais il ne fait pas de doute qu’il existe un effet de synergie entre les charges virales plus élevées et le risque de transmission plus grand liés aux infections multiples.
C’est pourquoi la connaissance des mécanismes et des conditions de surinfection doivent pouvoir bénéficier aux personnes afin de leur éviter le risque d’évolution plus rapide de la maladie, ainsi qu’à la société afin d’éviter la diversité des souches à combattre par les traitements et les vaccins. La prévention de la surinfection devient dès lors un objectif essentiel pour le contrôle de l’épidémie.
Etudier l’immunité anti-VIH
Quelle protection le système immunitaire est-il capable de développer contre le VIH ? Sarah Rowland-Jones (MRC Labs, Gambie et Oxford Univ.) a proposé une synthèse des réponses à cette question qui intéresse tout particulièrement le développement d’un vaccin. Les études ont montré qu’on peut protéger partiellement ou totalement des animaux avec un vaccin induisant de forts niveaux d’anticorps neutralisant ou des réponses cellulaires. Chez l’homme les anticorps neutralisants existent effectivement mais, le plus fréquemment, le virus leur échappe rapidement. La réponse immunitaire montée par les lymphocytes T CD4 est celle qui contrôle le mieux le virus. La réponse par les lymphocytes T CD8, cytotoxiques ou CTL, est considérée comme responsable du contrôle de la réplication virale au début de l’infection. Pourquoi ces réponses ne permettent-elles pas un contrôle effectif de la maladie ? L’analyse de la structure des protéines d’enveloppe montre que les parties essentielles sont cachées et n’apparaissent qu’au moment de la fusion. La mutation facile et rapide des structures visibles qui les cachent leur permet d’échapper à l’attaque des anticorps. La perte de la réponse spécifique des lymphocytes T CD4 est une des caractéristiques de l’infection à VIH. Les cellules CD4 sont préférentiellement infectées par le VIH et des études récentes ont montré une perte de près de 60% de ces lymphocytes au cours de l’infection non contrôlée. La reconnaissance d’agents étrangers infectant les cellules hôtes par les lymphocytes CTL déclenche la libération de substances antivirales et l’induction de la mort cellulaire des cellules infectées. Leur apparition tôt dans la maladie coïncide avec la chute de la charge virale. Mais la pression exercée par cette réponse CTL fait émerger des variants viraux qui échappent à cette reconnaissance. Bien que l’évolution de la charge virale soit souvent à l’inverse de celle des CTL, l’importance de cette réponse – plus de 22% des lymphocytes CD8 sont spécifiques du VIH – ne se traduit pas en évolution clinique. À l’inverse, chez les non-progresseurSEs à long terme, on observe une forte réponse cellulaire à la fois CD4 et CD8. Pour autant, l’ampleur de la réponse CTL n’est pas différente de celle des progresseurSEs. La différenciation de ces cellules restant imparfaite; il a été suggéré que ce défaut pourrait être dû à un problème de réponse CD4 associée. Mais cela n’a pas pu être démontré par comparaison aux non-progresseurSEs. Autrement dit, il n’est pas totalement prouvé qu’une réponse CTL induite par un vaccin puisse protéger de l’infection.
La chercheuse propose alors les résultats d’une étude conduite à Nairobi sur les risques et bénéfices de l’allaitement au sein des nourrissons. Les enfants nourris au sein maternel ingèrent environ 100 litres de lait de leur mère infectée au total, à 2 ans, et pourtant plus de 80% de ces enfants ne sont pas infectéEs. C’est pourquoi, l’équipe de recherche a étudié la réponse des lymphocytes T CD8 et la transmission post-natale du virus chez des femmes ayant choisi d’allaiter leur bébé. Le résultat à un mois montre qu’aucun des 54 enfants ayant eu une réponse CTL spécifique du VIH-1 n’ont été infectéEs, tandis que 11 sur 179 enfants sans cette réponse l’ont été. Plus tard, 50% des enfants exposéEs non infectéEs ont un niveau détectable de réponse CD8 à un an. L’association entre la réponse CD8 à un mois et la protection contre la transmission par le lait maternel est donc évidente. Le VIH-2 est rencontré particulièrement en Gambie et en Guinée Bissau. Virologiquement, il partage environ la moitié de ses gènes avec le VIH-1. L’évolution clinique des patientEs infectéEs avec le VIH-2 est plus lente et seulement 10 à 15 % des personnes qui en sont atteintEs ont une évolution clinique comparable au VIH-1. Les autres ne progressent pas ou très peu vers la maladie. On note chez ces personnes une forte réponse CTL bien qu’elle ne diffère pas en amplitude de celle qui existe chez les personnes VIH-1. La différence se mesure essentiellement dans la qualité de la réponse. Mais la réponse CD4 est forte chez les non progresseurSEs VIH-2, suggérant que les lymphocytes T CD4 sont une composante majeure du contrôle immunitaire de l’infection à VIH.
La variabilité génétique joue un rôle
C’est ce qu’a voulu montrer Amalio Telenti (Institut de microbiologie de Lausanne) à partir des études menées notamment dans le cadre de la cohorte suisse de séropositifVEs. Tout le monde connaît l’exemple des travailleuses du sexe kenyanes qui ne sont pas infectées après de multiples expositions. Dans la cohorte suisse, 6,3% des personnes ne sont pas sous traitement et ont plus de 500 CD4 après 8 ans. Ces populations ont un certain nombre de facteurs de variabilité génétique en commun. Ainsi, les porteurSEs du variant Delta 32 du gène du récepteur CCR5 sont résistantEs au VIH mais ils et elles ne se trouvent qu’en Europe, dans une petite proportion de personnes d’origine caucasienne. En comparant la phylogénétique des primates jusqu’à l’homme et celle des virus SIV jusqu’au VIH, on est frappé par une certaine similitude d’évolution. Il en est de même des défenses cellulaires antivirales. Ainsi la protéine APOBEC3G – l’un des mécanismes de défense antivirales naturelles des cellules – du singe vert africain n’a qu’une différence d’un acide aminé avec celle de l’homme, juste ce qu’il faut pour faire sa différence d’efficacité : elle remplit son rôle chez le singe tandis qu’elle est désactivée par le virus chez l’homme. De même, le facteur TRIM5-a permet au singe rhésus d’être insensible au VIH-1 tandis que le même facteur ne fonctionne pas chez l’homme. L’analyse de l’évolution de ces gènes chez les singes montre une grande stabilité de la région conférant une résistance à travers les différentes espèces. En pratique, ces études génétiques mettent en évidence les cibles clés utiles pour le développement de traitements, de prophylaxies et de vaccins.
Mais les gènes concernés sont nombreux et il est difficile d’en tirer des prévisions pour un individu. A partir des résultats de la cohorte suisse, on estime que la variabilité génétique influence le temps de décroissance de 500 à 200 des lymphocytes T CD4 de 5,6 ans. A terme, on pourrait savoir à travers les analyses génétiques quels sont les risques de progression de l’infection chez un individu.
La variabilité génétique influence aussi la susceptibilité des individus aux effets indésirables des médicaments. Il en est ainsi de l’hyperbilirubinémie causée par l’atazanavir ou l’indinavir. Divers facteurs influencent cette sensibilité et varient d’un individu à l’autre. Normalement, un petit nombre d’individus atteignent le seuil de sensibilité qui provoque une jaunisse. En présence des antiviraux incriminés, le seuil est plus vite atteint et plus de personnes risquent la jaunisse. La question des troubles lipidiques est encore plus complexe. Cinq gènes au moins influencent directement le niveau de triglycérides perturbé par les inhibiteurs de protéase. De nombreuses études sur les réactions cutanées d’hypersensibilité à la névirapine ont montré qu’une variation génétique constituait un facteur de risque à cette réaction. Cette variation génétique se retrouve à diverses proportions sur toute la planète.
Une meilleure connaissance de ces influences génétiques pourrait permettre le choix préalable d’un traitement en fonction des paramètres d’un individu. Mais la progression de ces recherches ne peut se faire sans l’acceptation de la société. Au plan politique, l’Union Européenne s’est dotée de recommandations sur l’implication sociale des tests génétiques. Le débat est aussi fortement engagé aux Etats-Unis où la signature d’un consentement éclairé est requis pour toute analyse génétique. Dans la pratique, il est rarement refusé. Une étude internationale du laboratoire Roche sur l’acceptation des études pharmacogénétiques par les comités d’éthique a montré une forte approbation dans un grand nombre de pays. Mais il reste quelques pays où ces essais sont refusés : le Danemark, la Norvège, la Suède et la Finlande à cause des législations excessivement contraignantes et le Brésil où le comité d’éthique fédéral (CONEP) a jugé qu’il n’y avait « pas de bénéfice pour les patients ». Il reste pourtant encore bien des gènes à découvrir dont la connaissance peut apporter des solutions non seulement dans le domaine du VIH mais aussi dans de nombreuses autres pathologies.)