Les institutionnelLEs
Tout d’abord, les institutionnelLEs de la Direction générale de la santé (DGS) annoncent clairement le silence organisé autour de l’épidémie d’hépatites virales : « Oh vraiment, on fait tout pour organiser des groupes de décisions, mais les experts se taisent sur la réalité des besoins et l’ampleur de la catastrophe ! ». La situation serait-elle donc si brûlante, pour que le ministère ne trouve d’autres raisons pour justifier l’état d’apathie généralisé face à l’épidémie d’hépatites virales en France, et n’hésite pas à repasser la patate chaude aux professeurEs de médecine ? Justement, écoutons voir ce qu’ils et elles en disent ?
Les médecins hospitalo-universitaires
Ces fameuSESx expertEs restent très prudentEs, en pleine crise des budgets de santé et restructuration hospitalière. Ils et elles savent bien le prix à payer pour un mot trop haut. Pourtant ils et elles n’hésitent pas à déclarer : « qu’ils sont obligés de faire face au manque de personnel compétent et de moyens, mais sont choqués par le manque d’actes et de décisions politiques courageuses ». Évidemment, la boucle est bouclée !
Les chercheurSEs
Quant aux autres expertEs, les chercheurSEs, ils et elles n’en finissent pas de publier des résultats baptisant des malades de « mauvais répondeurs ou de rechuteurs » puisqu’ils et elles sont en échec de traitement ! Ils et elles mettent au point des protocoles sans réels bénéfices pour les malades, et ils et elles s’étonnent d’avoir beaucoup de mal à recruter le nombre de malades prévu pour ces essais. Ils et elles sont même régulièrement contraintEs d’interrompre ceux-ci, tant pis pour les millions déjà partis en fumée !
L’administration hospitalière
Les administratifVEs hospitalièrEs, reconnaissent évidemment : « qu’ils et elles n’y sont pour rien dans la fermeture de ces lits, dans ce service d’hépatologie, car il s’agit en fait d’un manque d’infirmières, qui empêche cette aile du service de tourner ». Bien sûr, et l’on ne peut pas recruter en urgence de la main d’œuvre étrangère pour le service public…
L’industrie pharmaceutique
Mais le comble, c’est encore les laboratoires pharmaceutiques qui se plaignent d’avoir à gérer eux-mêmes, sur leurs « fonds propres », la santé publique liée aux hépatites. L’Etat de droite, ultra-libérale, leur offre une carte blanche pour augmenter sans cesse le prix de leurs traitements et en plus, ils et elles se plaignent d’avoir à mettre en place des campagnes d’information, en finançant des réseaux de médecins et des associations de malades !
Les associations de malades du sida
Les associations de malades du sida, théoriquement investies depuis 2001 dans la lutte contre les hépatites virales, ou du moins financées à ce titre, n’ont décidément pas fini de « réfléchir sérieusement » à quoi faire, face à un constat aussi terrorisant. Il serait peut-être utile alors de rappeler que le sida a pu décimer environ 50 000 personnes en 20 ans. En 30 ans, les hépatites virales risquent de tuer 80 000 personnes, si rien n’est fait dès aujourd’hui ! Le problème c’est que c’est nous, les co-infectéEs VIH/hépatites, qui sommes déjà parmi les premièrEs à mourir !
Pour mieux comprendre, nous allons vous dresser un panorama de la co-infection VIH-hépatites, en France, actualisé selon les dernières études de 2004. Ces résultats ont été présentés, à Paris, le 13 septembre 2005, lors de la journée organisée par l’agence nationale de recherche sur le SIDA et les hépatites virales (ANRS), intitulée : « Prise en charge des cirrhoses chez les séropositifs VIH et les co-infectés VIH-VHC et VIH-VHB ».
Plouf, plouf, c’est toi qui l’aura !
Selon les dernières enquêtes actualisées en 2004 par l’Institut de veille sanitaire (InVS), les séropositifVEs VIH étant immunodépriméEs, sont 35 fois plus touchéEs par le VHC (hépatite C chronique) que la population générale (24,3% versus 0,68%), et environ 8 fois plus touchéEs par le VHB (hépatite B chronique) (7% versus 0,86).
Sur les 450 000 personnes porteuses chroniques d’hépatite C, environ 200 000 sont des usagères de drogues par injection (70 à 90%) et par sniff (10%), et elles représentent aussi la majorité des 30 000 co-infectéEs VIH-VHC, dont 30% sont des femmes. Si le taux de co-infection VIH-VHC est de 24,3% en France, il serait d’environ 45% en Espagne et 48% en Ukraine.
Sur les 5 millions de françaiSEs ayant été en contact avec le VHB, 300 000 personnes sont des porteurSEs chroniques d’hépatite B, et parmi elles, environ 10 000 co-infectéEs VIH-VHB, dont 20% sont des femmes.
En matière de tri-infection, il y aurait environ 1 200 VIH-VHC-VHB (0,8% des VIH+) et environ 600 VIH-VHB-VHD.
Il y aurait donc au total aujourd’hui, environ 40 000 personnes co-infectées en France, soit unE séropo VIH sur trois. Nous serions environ 11 millions de co-infectéEs, dans le monde.
Si la majorité des co-infectéEs cirrhotiques sont des usagèrEs de drogues, il faut alors rappeler qu’en 2003, en France, sur 15 000 personnes traitées, pas plus de 700 usagèrEs de drogues ont accès aux soins de leur hépatite chronique. Les spécialistes pensent que ça va les déstabiliser ! Est-ce que pour le sida, ils, elles avaient déjà attendu pour traiter les usagèrEs dès l’arrivée précoce des trithérapies anti-VIH ?
Formes graves d’hépatites chez les co-infectéEs VIH
Il y aurait environ 25 000 co-infectés VIH-hépatites nécessitant, dès aujourd’hui, un traitement de leur hépatite chronique, à savoir ayant un score métavir supérieur à A2-F2. Environ 16 000 co-infectéEs seraient en pré-cirrhose et cirrhose (F3 ou F4) depuis l’enquête INVS de 2001. Aujourd’hui, selon la dernière étude de 2004, il y aurait environ 8 000 cirrhoses (6 000 VHC et 2 000 VHB).
Suite à une cirrhose, la décompensation du foie peut se manifester par :
– Une présence d’ascite (rétention d’eau qui peut s’infecter, située dans la paroi de l’abdomen).
– Une hémorragie interne (ruptures de varices oesophagiennes provoquées par l’hypertension portale).
– Un cancer du foie.
– Une neuro-encéphalopathie, une atteinte du cerveau que le foie ne parvient plus à irriguer avec du sang en quantité mais surtout en qualité suffisante.
Aujourd’hui, chez les mono-infectéEs VHC ou VHB, en cirrhose depuis cinq ans, les taux de décompensation sont de 22% et les décès d’environ 7% En France, chez les co-infectéEs VIH, il y aurait environ chaque année 350 hémorragies internes (4%) et environ 250 cancers du foie (3%).
Cancers de foie
Entre 2001 et 2004, soit en 4 ans, le taux d’hépato-carcinome a été multiplié par 5 (0,3% versus 1,61%). Mais heureusement, il faut quand même remarquer que la prise en charge s’améliorerait sensiblement puisque depuis dix ans, l’évolution des causes de décès par cancer qui était de 4,7% en 1995, de 11% en 1997, de 25% en 2001, serait retombée à 10% en 2004.
Il y a eu 931 greffes du foie effectuées en France, en 2004, toutes causes confondues. En France, les greffes du foie chez les co-infectéEs sont toujours effectuées dans le cadre d’un essai pilote de l’ANRS (THEVIC), où environ 38 co-infectéEs ont déjà été grefféEs depuis 2001, notamment sur le centre hépato-biliaire de Villejuif. En dehors de ce cadre, des centres de greffes ont néanmoins pris l’initiative de tenter de telles opérations en commençant à se former à ces techniques de pointe, comme le CHU de Pont-Chailloux à Rennes, l’hôpital Beaujon à Clichy, le CHU de Purpan à Toulouse, à Strasbourg, etc.
Une étude internationale présentée à Rio, faisait état, aujourd’hui, sur les Etats-Unis et l’Europe, de 8 000 co-infectéEs en liste d’attente de greffe.
En France, les cirrhoses seraient responsables d’environ 15 000 décès par an, en majorité dues à l’alcoolisme. Chez les mono-infectéEs VHC, il y a eu 1 800 décès en 1997. On serait aujourd’hui environ à 3 000 décès liés au VHC par an, et environ 4 500 par an lors de la pointe de l’épidémie d’hépatite C, qui ne fait que commencer et qui est prévue jusqu’en 2021. L’épidémie d’hépatite C pourrait être responsable de 80 000 morts en 30 ans, si l’accès aux soins n’est pas amélioré et si de nouvelles thérapeutiques plus efficaces et plus faciles à supporter n’arrivent pas très rapidement.
En Espagne, chez les co-infectéEs en cirrhose n’ayant subi qu’un seul épisode de décompensation hépatique, le délai de survie moyen serait de 6 à 18 mois. Il s’agit donc tout juste du temps nécessaire à trouver un greffon pour une greffe du foie, dans le meilleur des cas ! C’est pourquoi ils mentionnaient un taux de décès en liste d’attente de greffe pour les co-infectéEs d’environ 66%. Un grand hépatologue français a reconnu « qu’en France, la situation ne serait pas aussi grave, mais pourrait avoisiner les 40 à 50% de décès chez les co-infectéEs en liste d’attente ».
Il y a 10 fois plus de risques de décéder en liste d’attente pour unE co-infectéE comparé aux mono-infectéEs (6,4% en 2003).
Donc, c’est une donnée essentielle que nous avons appris lors de cette journée sur les cirrhoses chez les co-infectéEs. Pour les malades n’ayant qu’une hépatite, on parle d’un épisode de décompensation, puisqu’il peut y en avoir plusieurs. La prise en charge de ces décompensations a bien évolué ces dernières années, de la même manière que celle des maladies opportunistes du sida. Par contre, chez les immunodépriméEs co-infectéEs, le diagnostic d’une première décompensation est critique puisque, statistiquement, il n’y en aurait pas d’autres (la deuxième étant fatale dans la grande majorité des cas).
Nous devons nous contenter de cette étude espagnole et de ces estimations de couloir « à la française », dans l’attente de données plus précises, de la part de l’Agence de Biomédecine. Depuis sa création récente, cette agence se manifeste par un silence royal au sujet des greffes chez les co-infectéEs, puisqu’ils et elles n’ont pas encore droit à une seule ligne dans le rapport annuel de bilan des greffes.
C’est l’E.F.G. qui avait donné le feu vert pour autoriser la reprise des greffes chez les co-infectéEs VIH dans le cadre d’une étude pilote, en juin 2001, puisqu’elles étaient interdites depuis 1993. Aujourd’hui, nous le voyons bien il était capital que les nouvelles lois de bioéthiques soient publiées en 2005, étendant les possibilités de recours aux donneurSEs vivantEs pour des greffes, notamment au/à la conjointE ou toute personne justifiant seulement d’au moins trois ans de vie commune.
Le risque de décès lié au foie est 11 fois supérieur pour les séropositifVEs VIH. Le risque de décès pour une cause hépatique serait d’environ 30% à 50% des décès lié au VIH, en France. Une bonne partie des cirrhoses sont aussi aggravées par une consommation abusive d’alcool et notamment chez les usagèrEs de drogues actifs et les homosexuels.
Examens et prévention
10% des séropositifVEs n’ont pas encore de dépistage VHC à jour, et environ 30% ne connaissent pas leur statut pour le VHB. Parmi ceux et celles qui ont fait ces dépistages, bon nombre l’ont fait avant 2003 et doivent le refaire avec les dernières techniques ultrasensibles de recherche directe de virus VHC ou VHB par PCR, et non pas avec les outils classiques de dépistage sérologiques (ELISA). Tous les centres d’information et de dépistage anonyme et gratuit (CIDAG) ne pratiquent pas les PCR. Il est bon de savoir que ceux situés dans un hôpital y ont plus facilement accès.
Seuls 19% des séropositifVEs VIH seraient correctement vaccinéEs contre le VHB.
Seulement 10% à 15% des évaluations de fibrose seraient effectuées, alors qu’il existe aujourd’hui plusieurs techniques permettant d’éviter la biopsie :
les marqueurs sanguins (Fibrotest®, Fibrometre®, etc…), présentant toutefois un fort risque d’erreur (environ 30%) notamment chez les séropositifVEs VIH, le Fibroscan®, technique d’élastométrie à partir d’un simple appareil d’échographie abdominale, ne demandant que trois minutes pour afficher le score Métavir sans examen invasif, et permettant aussi de faire un suivi au-delà de la cirrhose débutante. C’est la seule technique facilitant le suivi de l’évolution de la fibrose sur une cirrhose, qu’elle soit d’origine virale, alcoolique, médicamenteuse, génétique ou plusieurs à la fois.
Les taux de guérison de l’hépatite C chez les co-infectéEs VIH, par la bithérapie PEG-interféron-ribavirine, ne sont aujourd’hui que de 27% dans la vie réelle, selon l’étude française de l’ANRS et jusqu’à 40% chez les co-infectéEs de luxe, triés sur le volet, dans l’étude américaine.
Toutefois, il est capital de préciser que même si les 60% à 73% de non-guérison de l’hépatite C, sont encore baptisés sadiquement « d’échec de traitement » par les hépatologues inféodéEs aux laboratoires pharmaceutiques, ce traitement aura quand même permis de bloquer l’évolution des lésions du foie pour deux ou trois ans, pour la majorité des co-infectéEs. Il aura même permis, pour un tiers environ, de constater une amélioration conséquente, mais hélas provisoire, de ces lésions. Et surtout il faut savoir que l’interféron permet de retarder de plusieurs années l’éventuelle survenue d’un cancer du foie.
Recommandations urgentes
Nous voyons bel et bien que c’est le vocabulaire abscons des hépatologues qui est réellement en « échec thérapeutique » et qui freine de manière coupable l’accès aux soins et surtout inhibe l’éventuelle démarche d’un deuxième traitement !
Chez touTEs les séropositifVEs VIH, mais encore plus chez les co-infectéEs, il faut absolument prendre en charge très tôt et tenir compte des problèmes d’alcool, du surpoids et donc des survenues de diabète et de problèmes pulmonaires et cardiaques, qui deviennent des complications hélas fréquentes à partir de la cirrhose. Il faut aussi dans bon nombre de cas adapter la combinaison thérapeutique de la trithérapie anti-VIH, mais aussi la prescription de tous les autres traitements, en fonction de l’état d’avancée des lésions du foie.
Plus que jamais, l’éducation thérapeutique et la médiation en santé peut jouer un rôle essentiel dans la formation au dialogue pour les équipes de soin et surtout pour l’accompagnement et la prise en charge de leur santé par les co-infectéEs cirrhotiques en France.
En conclusion de cette journée brillante, l’édition du Monde du 15 septembre 2005, reprenait cette citation : « Il y a 100 000 cirrhoses à venir et vu le taux de mortalité lié à cette complication de l’hépatite virale, nous allons avoir 10 000 décès au cours des trois années à venir si on ne les traite pas en urgence ! » Dr Pascal Melin, fondateur de SOS-hépatites.