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Une traduction en anglais de ce texte est disponible sur le blog :

http://ronhudson.blogspot.com.

Le silence des chiffres

Aux USA : Il a fallu vingt ans de pandémie pour qu’une étude américaine établisse que la population trans’ des USA avait été celle la plus touchée par le sida. La moyenne de séroprévalence dans cette communauté y est de 30%. « Un chiffre digne de l’Afrique subsaharienne » note Poz[[Hebdomadaire new-yorkais entièrement dévolu à la lutte contre le sida.]] en août 2004. Une autre étude montre également que ce taux peut atteindre 63% chez les trans’ afro-américainEs de San-Francisco.

En Europe, à notre connaissance, la seule étude similaire a été faite au Portugal par une association de défense des droits des trans’ : les chiffres de séroprévalence y oscillent entre 45 et 55%[[Ces estimations ont été respectivement établies par W. Bockting et S.Kirk (Transgenders and HIV) et par l’association portugaise : associação para o estudo e defesa do direito à identidade de género.]]. En France, il n’existe aucune étude de ce type sur cette population à l’évidence menacée. Nous savons combien les pertes ont été lourdes dans notre communauté, que les personnes contaminées y sont légion tout autant que les nouvelles contaminations.

L’obscurantisme médical français se fait complice de la pandémie

La psychiatrie officielle joue la carte du déni. Par exemple, l’équipe officielle du Docteur Bernard Cordier à Paris annonce sur son site des chiffres entre 500 et 700 « transsexuels » déclarés depuis 1978 pour l’île de France…

Les psychiatres en charge du dossier ne comptabilisent que les « transsexuels » proprement dits, ayant subit une rectification chirurgicale après être passés dans leurs services. Ils, elles oublient de comptabiliser les « transsexuelLEs » qui ont fait fi de leur autorité et sont alléEs se faire opérer à l’étranger. Pour qu’elles et ils puissent changer d’identité légale en France, il aura fallu attendre qu’en 1992, la Cour européenne des droits de l’homme condamne notre pays en lui imposant une lourde amende.

La psychiatrie française officielle ignore que depuis les définitions de Stoller, Benjamin et Hamburger dans les années 50, tardivement importées ici, la psychiatrie moderne mondiale a évolué en ne limitant plus la question trans’ au seul débat sur l’opération. Aujourd’hui l’aile moderne de la psychiatrie internationale a élargi la question trans’, comptant à côté des « transsexuels », une autre population : les « transgenres » (de l’anglais « transgenders »). Les transgenres des deux sexes sont plus nombreuSESx, elles et ils vivent dans une vie sociale opposée à leur sexe biologique sans pour autant vouloir un réassignement sexuel.

En changeant de définition nous passons de 700 personnes, l’estimation du service spécialisé de Sainte-Anne pour l’Ile-de-France, à notre estimation de 60 000 personnes dans toute la France. Ce chiffre que nous ne pouvons donner qu’à titre indicatif est une estimation largement basée sur notre expérience personnelle faute de toute prise en compte scientifique de notre communauté en France.

Chez ces 60 000 personnes, il y a toutes les chances de trouver un des plus fort taux de sida. Ce chiffre fait écho à une réalité sociale catastrophique quant au non emploi, au nombre de personnes touchant le RMI ou ne vivant que de l’Allocation adulte handicapé (AAH). Il en va de même du taux d’échec scolaire chez les jeunes, du nombre de personnes se prostituant sans l’avoir choisi, faisant des séjours en prison ou en asile psychiatrique. Et quid des suicides, de l’espérance de vie ?

Nous pourrions légitimement nous en prendre au monde de la lutte contre le sida en France pour son ignorance volontaire ou involontaire des contaminations dans cette population particulièrement précarisée. Nous pourrions nous en prendre également à l’intelligentsia des « gender studies » pour qui les trans’ existent le plus souvent pour illustrer le débat universitaire, mais rarement quand elles et ils affrontent le social ou la maladie.

Nous préférons chercher des solutions plutôt que des coupables. Même si le noeud du problème, ce taux de contamination qui double celui des homosexuels masculins, reflète la discrimination générale dont souffrent les trans’, et l’indifférence qu’elles et ils rencontrent.

Hommes-trans’gays

Aux Etats-Unis c’est un homme trans’ gay séropo, Louis Graydon Sullivan (mort du sida en 1991), qui a alerté la communauté trans’ et le monde du sida, qu’une part ignorée de la population américaine était en proie à la pandémie. De la même façon que les trans’ femmes peuvent être lesbiennes, les trans’ hommes peuvent être gays. Et ils se retrouvent devant la même problématique dans les rencontres. Tellement heureux d’être acceptés comme « homme » par un gay, qu’ils peuvent en négliger la prévention. On trouve aussi cette attitude chez les femmes trans’.

Les discrimination dont souffre les trans’ leur fait intégrer qu’ils et elles ne sont pas « normal », provoque de la haine de soi. Et cette situation les rend plus vulnérables au sexe à risque.

Milieu hospitalier

Les dicriminations du milieu hospitalier (içi comme ailleurs : Le « Monsieur c’est à vous ! » et son corollaire « Madame » pour les hommes trans’, etc) qu’elles et ils vivent au quotidien ont un impact sur l’approche de leur santé et particulièrement en ce qui concerne la prévention. Le ministère de la Santé encourage ces pratiques, en refusant de changer les numéros 1 et 2 de la Sécurité sociale pour les faire correspondre à l’apparence et à la vie sociale des intéresséEs, permettant ainsi toutes sortes d’humiliations dans les files d’attente, ou lors de séjour médical prolongé. Dans beaucoup de pays ce problème est réglé depuis longtemps (en Nouvelle-Zélande, par exemple, après deux mois passés dans son nouveau genre, une personne trans’ reçoit les papiers qui lui permettront de mener une vie normale).

En France, la mise en infériorité et la dépendance du/de la patientE trans’ est le terreau de toutes sortes de mauvais traitements. Il y a d’abord l’abus verbal (qui peut justicier la violence verbale avec laquelle Jacques Lacan s’adresse à une patiente trans’ devant un public de jeunes médecins lors de ses présentations de malades ? [[« Vous faire opérer, c’est quoi ? C’est essentiellement vous faire couper la queue. » Lacan J., Entretien avec Michel H., in Sur l’identité sexuelle: à propos du transsexualisme, Paris, Association Freudienne Internationale, pp. 311-353. Pour plus d’infos voir le site de l’ASB. ]] ) et de là on glisse à la négligence. Les examens faits à la va-vite, les diagnostics rendus en dépit du bon sens pour se débarrasser d’unE patientE qui dérange. Si vous pensez qu’unE médecin diplôméE est incapable de ces manques à la déontologie, regardez comment certainEs chirurgienNEs esthétiques ayant pignon sur rue et reconnaissance de la faculté ont pu utiliser les trans’ comme cobayes pour des opérations aux résultats hasardeux ou carnavalesque.

Désinformation médicale

Nous savons par notre expérience qu’unE trans’ sous traitement antirétroviral doit adapter ses doses d’hormones. Plusieurs sont mortEs de ne l’avoir pas fait. Pourtant aucune étude n’existe sur ces interactions. La seule fois où la médecine a intégré le VIH des trans’, c’est pour exclure les séropositifVEs des protocoles permettant aux transsexuelLEs de se faire opérer dans le cadre officiel (ou il y a une prise en charge financière).

Evidemment une telle opération chirurgicale peut s’avérer dangereuse pour les personnes lorsqu’elles sont à un certain stade de la maladie. Mais pour beaucoup l’opération est viable comme plusieurs communications médicales étrangères le démontrent (cf. l’article de la chirurgienne trans’ Sheila Kirk dans Transgender and HIV, Haworth Press, 2000).

Voici établit une fois de plus l’inanité de tels protocoles, et leur caractère discriminatoire.

Dépsychiatriser ne veut pas dire démédicaliser

La psychiatrie française, tout comme l’OMS, le lexicon de l’église catholique, classe encore les trans’ au rang des malades mentaux, comme c’était encore le cas il y a une vingtaine d’année pour les homosexuelLEs. Il était alors question de les guérir par « thérapies d’aversion », lobotomies,électrochocs, etc. Aujourd’hui cette classification reste une des clefs du problème, parce qu’elle octroie à des spécialistes autoproclaméEs le droit de décider de nos vies.

Pour autant la psychiatrie française ne présente pas un front commun sur la question trans’ : chaque obédience de la psychiatrie à sa théorie et à l’intérieur de chaque obédience les avis divergent. Il est ahurissant que des psys acceptent d’entrer dans une relation thérapeutique avec des sujets garrottéEs par leur besoin d’obtenir une opération. Dans un de ses ouvrages, Colette Chilland indique que ses patientEs lui mentent. Evidemment elles et ils lui mentent. Elles et ils ne sont pas là pour se connaître mais pour la persuader de leur octroyer l’opération désirée. Celles et ceux qui souhaitent se faire opérer doivent s’engager dans un suivi psychologique pendant deux ans au moins au terme duquel le/la psychiatre accordera ou refusera l’opération. Si les psychiatres sont obnubiléEs par le problème de l’opération c’est parce qu’il s’agit du lieu le plus excessif de leur pouvoir sur les individus.

Face au concept étatique de « non disponibilité des personnes », il convient d’affirmer la liberté de chacunE sur son propre corps. Comment peut-on continuer à nous refuser le droit de choisir notre praticienNE et à décider par nous même pour nous-même.

Rien n’est plus contre productif que de déresponsabiliser. Pour ce qui est de la prévention, comment attendre des conduites rationnelles de personnes étiquetées « malade mental » ? Aucune politique efficace de prévention ne peut être menée si elle ne s’appuie sur les personnes elles-mêmes.

Trans’ = prostitution ?

En quelques décades, la situation des trans’ en France a évolué. Ce qui paraissait impossible l’est moins aujourd’hui. Le monde du travail s’ouvre peu à peu aux trans’. Les syndicats commencent à défendre celles et ceux qui veulent effectuer leur transition sur leur lieu de travail, même s’il y reste trop de rejets. Mais, la méconnaissance des droits sociaux et leur difficulté d’accès restent entiers.

Le mouvement des droits civiques des afro-américainEs a fait émergé le concept de stéréotype discriminatoire. Beaucoup de ces stéréotypes sont infligés aux trans’. Le plus courant veut que les trans’ incarnent forcément l’image la plus aliénée de leur nouveau sexe, l’homme trans’ macho et la femme trans’ soumise, engluée dans les signes les plus arriérés de la masculinité ou de la féminité sociale.

Mais le stéréotype qui fait le plus mal aux femmes trans’ c’est celui qui laisse entendre que le seul métier que souhaite une trans’ c’est celui de prostituée. Beaucoup de trans femmes se prostituent. Beaucoup ne l’ont pas choisi et se retrouvent poussées à excercer cette activité dans un cadre dur et dangereux. Le pire de l’aliénation c’est quand elles-mêmes sont persuadées que la prostitution est leur seul destin et qu’elles n’auraient rien pu faire d’autre.

Qui parle en amont du problème de l’échec scolaire des jeunes trans’, rejetéEs de l’école et de l’université ? Faut-il s’étonner qu’elles et ils se retrouvent marginaliséEs ? Pourtant depuis quelques années des avancées sociales permettent aux trans’ de subvenir à leurs besoins sans se prostituer. L’accès au RMI, l’AAH ou d’autres minima sociaux a en partie changé la donne et démontré que la plupart ne se prostituaient que contraintEs.

Quid de la prévention ?

Les approches de prévention en direction des trans’ se sont limitées à la prostitution de rue. Mais on ne peut pas réduire la question des trans’ en France à cela. La prostitution de rue présente l’avantage d’identifier clairement des zones urbaines, souvent à la périphérie des villes, où des équipes peuvent se rendre pour distribuer du matériel de prévention et de l’information. Rien n’est fait pour celles et ceux qui travaillent en appartement, qui fréquentent les messageries téléphoniques, ou des sites internet de rencontre, passent des annonces dans des journaux spécialisés.

UnE trans’ françaisE, qui a bénéficié d’un minimum de parcours éducatif, n’a pas forcément les mêmes intérêts qu’unE trans’ migrantE ne maîtrisant pas le français, venant de pays où la répression peut être très dure. Il faut remarquer que l’antagonisme est dans les deux sens : unE trans’ prostituéE en situation irrégulière, dont le travail sexuel permet de nourrir sa famille ne va pas forcément se reconnaître dans les revendications de droit au travail d’unE trans’ françaisE ou en situation régulière. Il est impératif d’adapter les discours de prévention à ces différentes populations.

Celles et ceux qui ne se prostituent pas sont beaucoup plus difficiles à toucher pour les actions de prévention. Ces trans’ vivent dans toute la France même si elles et ils ne disposent que de peu de lieu de rencontre : quelques liens internet, de rares associations. Elles et ils ne doivent pas rester pour autant les oubliéEs de la prévention.

Le multipartenariat est fréquent chez nombre de trans’ pour qui il est souvent difficile de se trouver unE ami régulièrE. La plupart des hommes se revendiquant hétérosexuels et amateurs de trans’ ne s’installent que rarement dans une relation stable avec des trans’.

Il faudra particulièrement mettre l’accent sur les dangers de la fellation pour les trans’ femmes qui aiment les hommes et les hommes trans’ gay, chez qui la fellation est extrêmement pratiquée. Beaucoup de contaminations ont eu lieu par ce mode de transmission. Il faudra aussi développer des messages de prévention adaptés aux changements anatomiques engendrés par les opérations de réassignements sexuels. Trop de transsexuelles opérées pensent à tort que leur néo-vagin ne permet pas une contamination par le virus du sida.

Ne plus accepter le silence

Avec l’existrans de cette année, il semble que notre communauté ait enfin décidé de réagir face au sida.. Des messages de prévention circulent sur la liste internet de la coordination existans’ qui relie ensemble les diverses associations de Paris et de province.

Nous voulons informer les trans’ qu’elles et ils doivent se protéger, et protéger leurs partenaires. Qu’elles et ils comprennent que la maladie qui les frappe s’inscrit dans le collectif et pas dans le singulier. Le sida n’est pas une fatalité. Des messages de prévention adaptés doivent aussi être adressés aux trans’ gay et aux trans’ lesbiennes. Tout comme pour les partenaires masculins hétérosexuels des femmes trans’. Pour certains adolescents « se faire une trans’ » est un rite de passage. Nous sommes ici à la limite des mondes homosexuel et hétérosexuel, à la frontière des genres. Certains de ces hommes sont mariés et comme beaucoup d’hétérosexuels ils ne se sentent pas concernés par le sida.

Depuis le début de la pandémie, les trans’ ont été oubliéEs. Avons-nous droit à autre chose que le voyeurisme ou l’indifférence ?

Nous exigeons :
– Qu’une étude épidémiologique soit réalisée avec l’aide des services hospitaliers afin d’avoir une indication du nombre de patientEs trans’ suiviEs pour le VIH et/ou les hépatites.
– Qu’une circulaire soit rédigée pour améliorer l’accueil des trans’ dans les services d’état (hôpitaux administrations, services sociaux).
– Qu’une plaquette spécifique au milieu hospitalier soit réalisée pour diffuser une charte d’accueil des personnes trans’.
– Qu’une information soit diffusée concernant les cas d’infection par le VIH ou les hépatites virales par échange d’aiguilles pour les injections d’hormones, tout comme celle de silicone (que nous désapprouvons sans suivi médical).
– Que les hormones soient accessibles et remboursées. Il convient de casser le marché noir des hormones injectables.
– L’abrogation des codes par sexes : 1 et 2 de la sécurité sociale et que les changements de prénom et d’état civil soient facilités
– Des campagnes de prévention du sida en direction des trans’ et de leurs partenaires.
– Une grande campagne nationale pour l’intégration des trans’ dans la vie sociale est nécessaire.
– La dépsychiatrisation des trans’.