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À l’occasion de la conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes (CROI) organisée cette année à Denver, nous reprenons nos chroniques quotidiennes rédigées par un de nos militants présent sur place. Compte rendu de la séance d’ouverture.

Dimanche 5 février, la 13e conférence américaine sur les rétrovirus et les maladies opportunistes (CROI) vient de s’ouvrir à Denver, Colorado. Cette édition présidée par Mario Stevenson accueille cette année 3900 participants originaires de 85 pays différents. L’internationalisation de cette conférence est en marche.

En 2006, le sida a 25 ans. Ce sera le thème de la plénière de cette année. La première présentation a été confiée à Bette Korber, une spécialiste de la génétique virale qui étudie depuis longtemps l’évolution du VIH au Los Alamos National Laboratory. Elle a présenté une histoire de l’évolution du VIH, dont on sait depuis 1986 qu’il présente une extraordinaire variabilité. Elle a décrit la complexité de l’arbre philogénétique actuel du virus qui compte de plus en plus de sous-types et de variants de recombinaison. Cette complexité va d’ailleurs en s’amplifiant et ne fait qu’illustrer la capacité du virus à générer sans cesse de nouvelles mutations. Mais dans cet arbre généalogique du VIH, on ne connait toujours pas l’ancêtre primitif. Dans la seconde partie de sa présentation, la chercheuse a exposé les travaux qui ont été menés, depuis la découverte du premier virus, pour tenter de retrouver cette souche primitive. Elle a ainsi rappelé que le plus ancien VIH isolé provient d’un Africain de Leopoldville en République démocratique du Congo et date de 1959. Elle a rappelé également que les virus spécifiques des singes sont, comme le VIH, d’une extrème diversité. Et nous savons aujourd’hui que le passage du virus du VIH du singe à l’homme s’est produit au moins trois fois. Ce qui explique la diversité du virus et ce qui rend aussi complexe la recherche de la source primitive. Mais ces travaux sont essentiels pour permettre l’élaboration de futurs vaccins. L’immense diversité a, jusque là, fait échouer de nombreuses tentatives essentiellement parce que les candidats sont toujours trop éloignés des souches réelles rencontrées chez des individus. Bette Korber explique que le travail actuel consiste à se servir des banques de données de la diversité des virus pour élaborer de nouveaux candidats vaccins. Il ne s’agit plus de déduire de la base de connaissances un gène consensus censé représenter l’ancêtre absolu, mais d’utiliser la diversité ainsi répertoriée pour réaliser la combinaison d’un grand nombre de souches réelles. Cette approche, qui ressemble plus à ce qui se passe actuellement lorsque les virus se recombinent, donne de bien meilleurs modèles puisque la ressemblance avec les souches connues est beaucoup plus fréquente que ne l’étaient les modèles consensus utilisés jusque là. Le chemin est encore long avant la découverte de vaccins prêts à être testés, mais cette remarquable présentation permet de comprendre à quel point l’immense somme de connaissances accumulées pendant 25 ans alimente aujourd’hui les idées de demain pour combattre le VIH avec ses propres armes : la diversité et la variabilité.

La pièce maîtresse de cette ouverture fut ensuite livrée par James Curran. Ce chercheur connaît parfaitement l’histoire du VIH puisqu’il travaillait au CDC d’Atlanta (centre de contrôle des maladies) lorsque le centre a identifié les premiers cas de maladies opportunistes associées à un déficit immunitaire chez des personnes homosexuelles de New-York et de San Francisco. Le groupe de travail du CDC sur le sarcome de Kaposi et les maladies opportunistes dont il faisait partie il y a 25 ans est devenu dès 1982 le groupe de travail sur le syndrome d’immunodéficience acquise. Puis l’histoire s’est mise à défiler devant nous, la recherche d’une piste infectieuse, la découverte du virus, l’acharnement à trouver un traitement, l’AZT, les années sombres jusqu’à l’apparition des trithérapies il y a dix ans. Encore un «anniversaire». Mais James Curran ne s’est pas arrêté sur ces notes historiques. Son propos était avant tout de tirer quelques conclusions de cette histoire. Il nous a donc livré ses six leçons apprises au cours de 25 ans de pandémie.

  1. une vigilance excellente est un point critique : elle s’est avérée payante pour isoler le virus comme, plus tard, pour mettre en place les stratégies de traitement qui ont largement réduit la mortalité.
  2. AIDS = Aids Is Different (Stupid) / SIDA = le SIda est Différent ? Aberrant !

    Des facteurs biologiques autant que sociaux ont facilité la progression de la pandémie

    1. la longue période de temps qui existe entre l’infection, la maladie symptomatique et le décès,
    2. Le VIH persiste à vie dans le corps humain,
    3. Le VIH est très stigmatisant :
      • à cause du mode de transmission (sexe, usage de drogue)
      • il rend les gens faibles et dépendants,
      • la contagion crée la peur
    4. Le VIH atteint préférentiellement les pauvres,
    5. Le statut de la femme dans de nombreuses sociétés,
    6. Le VIH s’attaque au système immunitaire,
    7. Il n’existe aucon vaccin efficace ni aucun traitement qui guérit.
  3. Une receherche innovante peut l’emporter sur le scpticisme
    1. la découverte du VIH
    2. les progrès dans les techniques de diagnostic
    3. des médicaments antiviraux peuvent fonctionner / en 1987, l’AZT
    4. La prévention de la transmission mère-enfant / en 1997, l’essai ACTG076
    5. La trithérapie (HAART)
    6. L’avenir… ?
  4. La prévention contre le VIH fonctionne
    1. L’incidence a été considérablement réduite dans la communauté gay
    2. L’incidence a été réduite en Thaïlande, en Uganda, au Brésil
    3. Les recherches ont mis l’accent sur limportance pour les personnes de comprendre, pour les communautés d’être engagées.
  5. La prévention contre le VIH est difficile
    1. l’insuffisance de ressources et/ou la volonté politique empêchent le développement des solutions optimales.

      James Curran évoque notammant les programmes d’échange de seringues tant décriés par le pouvoir américain, difficiles à mettre en œuvre dans de nombreux pays qui privilégient la répression à l’égard des usagers de drogues alors que ces programmes ont apporté la preuve de leur efficacité en matière de réduction des contaminations.
    2. la stigmatisation et la discrimination découragent du test VIH
    3. Les politiques de prévention sont internationales ou nationales alors que la prévention est basée sur l’individuel, l’interpersonnel ou les communautés
    4. La prévention n’est pas aussi simple que l’ABC [ndlr : allusion à la politique pronée par certains dirigeants africains, A pour abstinence, B pour «Be faithfull» (fidélité) et C pour Condoms(préservatifs)]
  6. Ce sont les personalités qui font la différence
    1. Les pesrsonnes vivant avec le VIH,
    2. Les soignants,
    3. Les scientifiques,
    4. Des leaders engagés

      James Curran cite ici en étant loin d’être exhaustif, Magic Johnson, Larry Kramer (« my God, Larry Kramer… ! » [ndlr : fondateur d’Act Up-New York], Zachie Achmat (TAC), Jonathan Mann… Puis il conclu : « le VIH dans l’avenir ? deux choses sont essentielles, le leadership et l’engagement. Mais surtout, n’abandonnez jamais, n’abandonnez jamais, jamais, jamais.»

C’est sur ces paroles qu’a pris fin la session d’ouverture de la 13e CROI. Le président a ensuite convié les participants à rejoindre sans tarder la salle de réception pour ne pas rater une minute de la finale du Superball, le championnat national de football américain. De la compassion, de l’engagement d’accord, mais chaque chose en son temps. N’oublions pas que nous sommes à Denver, au cœur de l’Amérique.