Le soleil radieux réchauffe les galeries du gigantesque centre de congrès de Denver. Le café et les traditionnels muffins à la mûre sont prêts, les congressistes se retrouvent pour le troisième jour d’étude de cette 13e CROI. Au menu de la plénière de ce matin, deux sujets originaux qui décrivent bien la complexité de l’infection à VIH : d’abord de la virologie puis de l’immunologie.
Paul Sharp de l’université de Nottingham ouvre la journée avec une présentation sur les origines du VIH. Parmi les nombreux virus que compte la famille des lentivirus à laquelle appartient le VIH, les milliers d’années d’évolution ont formé diverses espèces qui infectent les singes et les primates avec plus ou moins d’effets. Si la plupart des espèces de singes ont leur SIV spécifique, peu d’entre elles développent un syndrome comparable à celui du VIH chez l’homme. Parmi les caractéristiques communes à ces virus, celle qui émerge par-dessus tout, c’est leur extraordinaire rapidité d’évolution. Elle est causée à la fois par le taux d’erreur de recopie de la transcriptase inverse et par la très grande vitesse de réplication. L’autre caractéristique essentielle pour comprendre l’évolution de ces virus, c’est leur étonnante facilité de recombinaison. Cela s’observe en premier lieu chez les primates chez qui il existe une diversité de variants viraux peu commune. L’analyse phylogénétique de tous les virus recensés a permis d’en établir une classification dans laquelle apparaît deux motifs extrêmes : d’un côté on trouve le type de virus des animaux vivant au sol et de l’autre le type dominant des singes arboricoles. Par diverses recombinaisons des gènes de ces deux modèles de base se sont formés cinq groupes de virus dont le SIVcpz, virus du chimpanzé est une de ces formes recombinantes qui, transmis à l’homme, a donné le VIH-1. La variété de singe sooty mangabey est infectée par une souche totalement différente qui en se transmettant à l’homme a donné le VIH-2. Ces singes sont essentiellement localisés dans les pays de la côte de l’Afrique occidentale entre la Guinée-Bissau et la Côte d’Ivoire, région où l’on trouve aussi le plus de personnes infectées par le VIH-2. Les chimpanzés porteurs du SIVcpz sont eux originaires de la forêt Tai située entre le Cameroun, la Guinée équatoriale, le Gabon et le nord de la république démocratique du Congo. Le virus des chimpanzés est un type recombiné où une grande partie des gènes (GaG, POL) proviennent plutôt de la souche initiale des singes arboricoles tandis que le gène Env est issu du virus des singes vivant au sol. On sait aujourd’hui par les études phylogénétiques que les trois types de VIH, les types M, N et O, sont issus de trois passages différents du chimpanzé à l’homme. Mais ce passage s’est accompagné de modifications probablement liées aux besoins d’adaptation à l’hôte.
Ainsi, les VIH ont un gène Vpu que l’on ne trouve que très rarement dans les SIV. Ces derniers ne possèdent pas non plus de gène Vpx. Enfin, la partie GP41/nef a été transformée par duplication et recombinaison pour aboutir aux VIH. Un recensement des différents variants de SIV des chimpanzés de la région d’origine a été entrepris afin d’étudier leur évolution et d’identifier les groupes porteurs des souches à l’origine des trois types de VIH-1. L’analyse phylogéographique permet de localiser clairement les différents groupes, bien isolés les uns des autres par des obstacles naturels, que ce soit une rivière ou seulement la distance. Le groupe porteur du virus à l’origine du type VIH-1 M a été situé à la pointe sud est du Cameroun. Les études actuellement en cours consistent à analyser l’évolution entre le virus du chimpanzé et le VIH afin de comprendre les adaptations subies du fait du passage à l’homme.
La deuxième plénière du jour a été présentée par Stephen O’Brien du laboratoire de diversité génomique aux Etats-Unis. Il nous propose une analyse des gènes humains capables de conférer une résistance à l’infection par le VIH.
La première partie de son intervention est consacrée aux co-récepteurs de l’entrée du VIH dans les cellules, le CCR5. Ces co-récepteurs ont été identifiés en 1996 alors que l’on venait de comprendre que certaines personnes étaient porteuses d’une variation génétique appelée delta 32 les protégeant de l’infection par le VIH. Cette variation rendait leurs récepteurs CCR5 inactifs.
Une étude démographique a permis de situer les porteurs de cette mutation essentiellement parmi la population blanche originaire d’Europe. Dès lors, le généticien a vu sa curiosité troublée par cette prépondérance européenne et il a voulu comprendre la raison de cette diversité inhomogène. Ses travaux ont consisté à mesurer l’ancienneté de l’apparition de la mutation delta 32. Il la situe à 683 ans. Or cela correspond à l’époque des grandes épidémies de peste en Europe dont les ravages ont pu faire émerger des survivants capables de résister à l’agent infectieux. La vérification de cette hypothèse fut apportée par une expérience montrant que l’agent de la peste, yersinia pestis, était capable d’infecter des souris normales alors que les souris privées du gène du CCR5 pouvaient y résister.
Depuis la découverte de la mutation delta 32, d’autres gènes capables d’influencer le cours de l’infection ont été isolés. On compte ainsi 6 gènes capables de modifier l’entrée du virus dans les cellules cibles, 4 gènes influençant l’immunité acquise au VIH et 6 gènes ayant un impact sur l’immunité innée utilisée contre le VIH. Ainsi l’influence de la génétique est-elle de plus en plus évaluée sur les traitements, le risque d’échappement, la survie sous traitement mais aussi l’apparition ou la sévérité des effets indésirables.
Quelle importance doit-on accorder à ces gènes de restriction ? On peut considérer que la variation génétique modifie les risques de 20%. Néanmoins, l’effet réel capable d’expliquer la variation de progression vers le sida est de 9,5% (il est intéressant de le comparer avec le risque supplémentaire relatif apporté par le tabac, de l’ordre de 9,7%). Aussi est-il préférable de se focaliser sur des variations génétiques de première importance comme la mutation delta 32. L’identification des gènes cliniquement significatifs nécessite une grande accumulation de données pour pouvoir être interprétées efficacement alors que les analyses actuelles n’en sont encore qu’à leurs débuts. Mais dans l’avenir ces analyses pourront être d’une grande aide pour déterminer les meilleures conditions de suivi et de traitement et offrir de meilleures chances de succès thérapeutique.
L’autre grand sujet du jour, ce sont les interruptions de traitement. La session « Antiretroviral therapy II » a été suivie avec beaucoup d’intérêt par une salle comble. C’est que les résultats tant attendus de nombre d’études sur les interruptions devaient être présentés. Depuis longtemps, ce sujet d’importance ne se voyait pas attribué la place qu’il méritait dans les conférences dans l’attente des résultats des essais. Et puis, après les déconvenues qui avaient succédé à l’euphorie, tout le monde semblait s’accorder une trêve en attendant les résultats. La tension est encore montée récemment lorsque l’on apprenait début janvier l’interruption de l’essai SMART. Devant l’importance de ce sujet, les organisateurs de la conférence ont proposé que la session de présentation se prolonge par une discussion entre congressistes et chercheurs venus présenter leurs résultats. Mais d’abord nous avons assisté à la présentation de ces résultats :
ACTG 5170 – Cet essai américain a inclus des patients en traitement depuis au moins 6 mois ayant plus de 350 CD4. En entrant dans l’essai, les patients arrêtaient leur traitement. Sa reprise n’était pas conditionnée à un critère. Le principal critère de jugement était l’évolution du stade de la maladie, notamment le passage au stade sida ou le décès ou le passage sous 250 CD4. Le suivi des patients dans l’essai était de 96 semaines. Au final, l’expérience est concluante puisque les interruptions n’ont pas conduit à plus d’événements. Sur les 167 personnes incluses, 17 sont passées sous le niveau de 250 CD4, 46 ont repris un traitement et 5 décès non-dus à l’interruption sont intervenus. Le paramètre le plus prédicateur d’événement clinique ou de baisse plus rapide des CD4 s’est révélé être le nadir de CD4, c’est-à-dire le niveau le plus bas atteint dans l’histoire du malade.
STACCATO – Cet essai conduit en Thaïlande, en Suisse et en Australie, répartissait en deux groupes les 430 participants ayant plus de 350 CD4 et une charge virale indétectable. Le premier groupe continuait le traitement en cours tandis que le deuxième groupe interrompait son traitement avec pour consigne de le reprendre si le compte de CD4 passait sous 350. La durée moyenne de suivi des patients a été de 22 mois. L’économie de traitement moyenne dans l’essai a été de 61%. Mis à part l’apparition plus importante de candidoses dans le groupe à interruptions, on a noté peu d’apparitions de résistances et les effets indésirables ont été plus nombreux dans le groupe sous traitement continu.
ISS PART – C’est un essai italien qui a inclus 273 personnes sous traitement antirétroviral répartis en deux groupes. Le premier poursuivait le traitement tandis que le deuxième effectuait des interruptions de durée progressive (1, 1, 2, 2, 3 mois) séparées par trois mois de traitement. Selon le critère de jugement, la solution avec interruption n’a pas montré une infériorité de résultat par rapport à la prise continue de traitement. En effet, à l’issue de l’essai, il n’y a pas de différence significative de variation des CD4. Néanmoins il est noté l’apparition de mutations de résistance dans le groupe avec interruptions chez la moitié des personnes enrôlées dans ce groupe. Il apparaît donc que les meilleurs candidats pour l’interruption sont ceux dont le compte de CD4 avant les interruptions est élevé et dont le virus n’a pas acquis de mutations archivées. Par ailleurs, l’apparition de résistances est moindre avec l’utilisation d’un traitement comprenant un non nucléoside.
WINDOW – ANRS106 – L’essai français a proposé à deux groupes de 403 patients dont le compte de CD4 était supérieur à 450, la charge virale inférieure à 200 copies et le nadir de CD4 inférieur à 100, d’étudier l’évolution entre eux selon leur stratégie. Le premier groupe continuait la prise de traitement sans interruption, le deuxième procédait à une alternance de 8 semaines avec traitement, 8 semaines sans. Cet essai a montré la non-infériorité de la stratégie d’interruption basée sur le résultat immunologique, c’est-à-dire le compte de CD4. Sur le plan virologique, il n’a pas été noté de différence d’apparition de résistance entre les deux groupes. La stratégie d’interruption de traitement a permis une réduction de 48% de l’exposition aux antiviraux.
TRIVACAN – ANRS1269 – Cet autre essai de l’ANRS a été mené à Abidjan, en Côte
d’Ivoire. Il a inclus en décembre 2002 des personnes en traitement ayant plus de 350 CD4 et une charge virale à moins de 300 copies dans trois groupes. Le premier recevait le traitement en continu, le deuxième réalisait des interruptions de traitement de 2 mois espacés de quatre mois de prise de traitement. Le troisième groupe devait interrompre le traitement à plus de 350 CD4 et le reprendre à mois de 250 CD4. Lors de l’analyse intermédiaire en novembre 2005, le comité indépendant de l’essai a décidé l’arrêt du groupe avec interruption guidée par les CD4 en raison de trop nombreuses apparitions de maladies bactériennes dans ce groupe comparé aux autres. Le résultat actuel laisse apparaître que les seuls de CD4 choisis pour guider la reprise du traitement est trop bas. L’intérêt de la stratégie avec interruption régulière nécessite la poursuite de l’essai.
SMART – Cet essai international a recruté 5472 patients dans 33 pays sur 318 sites. Il proposait la comparaison entre deux stratégies, un traitement en continu ou bien un traitement par intermittence, l’arrêt ayant lieu lorsque les CD4 étaient supérieurs à 350 et la reprise lorsqu’ils chutaient en dessous de 250. Les inclusions dans cet essai ont été arrêtées le 11 janvier en raison de l’évidence du risque encouru dans le groupe réalisant des interruptions et il a été proposé aux participants en interruption de reprendre le traitement. En effet, il est apparu après un suivi moyen de 11 mois des personnes incluses que les interruptions de traitement augmentaient sérieusement le risque de progression de la maladie vers le sida ou le décès.
Dans la discussion qui a suivi, il a été à maintes reprises affirmé que les seuils de CD4 choisis pour les interruptions et les reprises étaient trop bas et ne donnaient pas suffisamment de marge de sécurité. Il est aussi apparu que les interruptions ont un succès qui dépend fortement de l’état mais surtout de l’histoire des patients. Tout le monde s’est accordé pour dire que les interruptions étaient nécessaires et souhaitables pour bon nombre de patients que ce soit pour faire face à la lassitude d’années de traitements, pour diminuer l’exposition aux antiviraux dans le cas de développement de complications dues aux médicaments ou bien, dans les pays à faible ressource, parce que c’est une formule réalisant des économies. C’est pourquoi ces études doivent êtres poursuivis à la lumière de ce que ces essais nous apportent : il est nécessaire de trouver de meilleurs seuils de décision d’interruption et de reprise. Il est aussi extrêmement important d’étudier les effets de ces interruptions sur l’immunité et sur l’apparition d’événements cliniques et d’effets indésirables.
Dans les symposiums de fin d’après-midi, à noter et à revoir en webcast une pièce maîtresse intitulée : « 20 ans de thérapies antirétrovirales et toujours beaucoup à apprendre ». Ce symposium a proposé quatre travaux de grande qualité :
– une histoire des traitements brillamment commentée
– « le VIH est-il féministe », une synthèse remarquable des différences hommes/femmes dans l’infection à VIH
– une synthèse sur les complications induites par les traitements et la manière de les combattre
– un tour d’horizon du développement des traitements et des nouvelles pistes d’antirétroviraux.