Dernier jour de conférence. Le programme des plénières du jour a de quoi surprendre au premier abord. Puis on se dit que c’est plutôt une bonne idée d’avoir prévu une session plénière sur la prévention. Mais après avoir assisté à ces deux sessions, on ne peut qu’être satisfait de ne pas les avoirs ratées.
Beaucoup d’informations intéressantes et de résultats pour comprendre ce qui fait réellement l’intérêt de la circoncision comme technique préventive pour réduire la transmission du virus. Pour les microbicides, c’est la même chose : le point sur cette recherche très difficile était nécessaire.
Thomas Quinn, NIH et John hopkins University de Baltimore, ouvre donc la matinée avec ce titre intriguant, une session sur la circoncision. Déjà abordé lors de la conférence de l’IAS de Rio de Janeiro cet été, ce sujet a été amplement approfondi ce matin, ce qui a permis de mieux comprendre les fondamentaux qui se cachaient derrière cette idée.
La circoncision est le plus ancien acte chirurgical pratiqué dans le monde, a rappelé Thomas Quinn. 20 à 25% des hommes le sont et cela représente 55% des hommes aux Etats-Unis. Ormis ses aspects culturels, la circoncision a un effet protecteur contre bon nombre de maladies infectieuses transmissibles par le contact sexuel. Ainsi, l’herpès, la syphilis, les condylomes et même les cancers du pénis sont-ils plus fréquents chez les hommes non circoncis. Mais cette protection s’étend aussi à la femme. Il a en effet été mesuré que dans les couples où l’homme est circoncis, les cancers de l’utérus étaient moins fréquents. Partant de ces constats et bien que la circoncision n’ait pas fait jusque là l’objet d’une indication médicale, il était pertinent de se demander si elle pouvait avoir une incidence sur la transmission du VIH. Précisément, on constate qu’en Afrique comme en Asie, les pays où la prévalence de la circoncision est inférieure à 20% sont ceux qui ont la plus forte prévalence d’infection à VIH. Un certain nombre d’études observationnelles ont pu fixer le facteur de risque dans la population générale à 0,56 pour les hommes circoncis.
Ainsi, sur une période de deux ans, dans une cohorte observationnelle de couples sérodifférents dans lesquels la femme était infectée par le VIH-1, 40 hommes non circoncis sur 137 ont été contaminés tandis que sur 50 circoncis aucun ne l’a été sur une période de deux ans. Mais la transmission est aussi réduite de l’homme vers la femme de manière significativement plus faible chez les hommes circoncis lorsque leur charge virale est faible tandis que cette différence n’existe plus pour une charge virale élevée. En revanche, il n’a été noté aucune différence de transmissions d’IST comme les gonorhées ou la syphilis. Ces observations sont corroborées par l’étude biologique. Le prépuce est riche en cellules immunitaires cibles pour le VIH comme les cellules dendritiques.
Il restait donc à organiser des essais cliniques afin d’obtenir une preuve de l’intérêt de cette approche et pour la quantifier. Trois essais ont été montés pour cela. Le premier qui a fait l’objet d’une publication est l’essai ANRS 1265 mené en Afrique du sud l’an dernier. Démarré en janvier 2002, il comportait plus de 3000 hommes séronégatifs de 18 à 24 ans répartis en deux groupes. L’un des groupes se faisait circoncire. L’étude consistait dont à mesurer le risque de séroconversion étant entendu que les participants étaient accompagnés par des conseils de prévention et la mise à disposition de préservatifs. Le comité indépendant a décidé de l’arrêt prématuré de cet essai en mars 2005 au vu de résultats significativement différents entre les deux groupes : 18 hommes ont été contaminés dans le groupe circoncis contre 55 dans l’autre groupe, ce qui représente un facteur de protection de 60%. Les complications associées à l’opération réalisée par un médecin dans des conditions sécurisées n’ont été que de 3%. A l’arrêt de l’essai, les hommes non circoncis se sont vus proposer l’opération. Deux autres essais sont en cours actuellement. L’un se déroule en Ouganda. Il a commencé en juillet 2005 pour deux ans. L’autre est organisé au Kenya entre septembre 2005 et septembre 2007.
Dans l’état actuel des connaissances, l’organisation mondiale de la santé a décidé d’attendre la fin de ces essais pour envisager une action incitative. Dans l’immédiat, elle recommande cet acte pour toute personne qui en fait la demande. L’intérêt de santé publique est assez évident. Pratiquée systématiquement, la circoncision protège aussi les femmes dans la mesure où les contaminations sont globalement réduites sur l’ensemble de la population.De plus, l’opération est économiquement intéressante puisque le coût estimé est de 69$. Néanmoins il existe un écueil. Cette technique peut donner aux hommes qui s’y soumettent une fausse perception de sécurité. Une enquête de terrain a révélé que 30% des hommes circoncis croyaient qu’ils pouvaient avoir des relations sexuelles sans risque avec des partenaires multiples. Cela démontre que ce genre de mesures de réduction de la contamination n’est vraiment intéressant que s’il est accompagné d’un programme sérieux de conseil de prévention afin de réduire au mieux le risque de désinhibition qui pourrait résulter d’une mauvaise information.
John Moore, Cornelle University, Weil medical college à New York, a ensuite enchaîné sur un exposé faisant le point sur les microbicides. Il a rappelé que l’on attend de ces produits de permettre aux femmes de disposer d’une technique de prévention suffisamment efficace contre la transmission du VIH par voie sexuelle. Il s’agit de produits sous forme de gel, crème, suppositoires ou encore éponge ou anneau dispensant un produit actif pour tuer les agents infectieux et en particulier le VIH. Les produits de première génération sont en général des composés capables de dégrader les agents infectieux. Les produits de deuxième génération sont plus actifs et souvent plus spécifiques.
Pour être utilisable, les microbicides doivent être sûrs. Les essais réalisés en leur temps avec le nonoxynol-9 étaient exactement l’exemple inverse. Ce produit était bien capable de détruire les agents infectieux comme un détergent mais il était aussi irritant et sensibilisant les muqueuses au point d’en augmenter la perméabilité au virus du sida. Un certain nombre de produits de première génération et de deuxième génération sont actuellement en expérimentation à divers stades de développement. Une des pistes nouvelles est d’utiliser des antiviraux. Les candidats actuellement en vue sont le TMC 120 de Tibotec, le UC 781 de Biosynthex et le ténofovir de Gilead. Tous ces produits sont actuellement en expérimentation animale. D’autres pistes comme les siRNA sont aussi techniquement envisageables mais probablement trop coûteuses. Un autre essai animal emploie actuellement le CMPD167 (Merck), un anti-CCR5, le BMS378806, un inhibiteur d’attachement et le C52L, un peptide inhibiteur de fusion. Toutes les combinaisons de ces produits sont envisagées et testées. Mais pour être utilisable, un microbicide doit aussi être abordable. On estime qu’un coût de 25 à 50 centimes par application serait un prix convenable. Dès lors, certaines solutions évoquées deviennent caduques. La fabrication d’une protéine n’est imaginable qu’à un coût de 1 à 10 $ par dose. C’est pourquoi, un produit comme le C52L a été abandonné. De plus, il faut être capable de produire beaucoup. 5000 tonnes de protéines sont nécessaires pour produire des doses nécessaires à dix millions femmes par semaine. Des investissements lourds sont donc à envisager avant de pouvoir dispenser un produit. Autant viser des procédés peu coûteux. Ou bien il faut être ingénieux. La dernière idée en train de progresser en la matière est de concevoir une bactérie génétiquement modifiée afin qu’elle produise la substance efficace. L’avantage certain serait de ne nécessiter que des applications peu fréquentes pour un effet prolongé. Le principal problème que cette méthode soulève est l’acceptabilité d’un tel produit, une bactérie génétiquement modifiée dans nos mondes sévèrement critiques sur l’utilisation des OGM. Enfin, il est essentiel de considérer que les microbicides ne sont pas une solution ultime. Ils sont des outils dont le besoin est pressant pour venir renforcer l’arsenal des dispositifs capables de réduire les contaminations : prophylaxie pré-exposition, préservatifs, vaccins, circoncision, conseils de prévention et accompagnement des malades.
Plus tard dans la journée, les sessions de présentations orales nous ont permis de découvrir des résultats nouveaux des récents essais de nouvelles molécules antirétrovirales actuellement expérimentées. Quelques morceaux de choix :
Tibotec est venu présenter les résultats de l’étude de phase IIa de son nouvel inhibiteur non nucléoside de la transcriptase inverse, le TMC125. Cet essai de définition de dose a été mené pendant 48 semaines avec des patients ayant au moins une mutation de résistance aux médicaments déjà existants de cette classe.
Le TMC125 s’est montré efficace contre ces virus, même sur ceux qui avaient accumulé plusieurs mutations de résistance à ces médicaments.
Le TNX355 (TANOX) est un inhibiteur d’entrée capable de bloquer l’interaction entre la protéine cléf du VIH et les corécepteurs des cellules cibles. Plusieurs essais de phase I et II ont montré qu’il était actif contre des virus résistants ainsi que de tropisme X4 ou R5 ou combinés. Il est capable de réduire la charge virale de plus d’un log avec une faible dose de produit.
L’inhibiteur d’intégrase MK058 (Merck) a montré une efficacité remarquable dans les essais de monothérapie sur 10 jours en provoquant une réduction de charge virale de 1,7 à 2,2 logs. Ce médicament qui ne nécessite pas de booster est en cours d’essai chez des patients dont le virus est résistant à au moins un antiviral de chaque classe. Les résultats intermédiaires de cette étude dans laquelle la moitié des participants sont résistants à toutes les classes thérapeutiques montrent entre 56 et 72% de personnes ayant atteint une charge virale indétectable à 50 copies de seuil.
L’autre inhibiteur d’intégrase, GS9137 (Gilead) donne des résultats aussi intéressants. Testé en monothérapie de 10 jours, certaines doses ont permis d’obtenir une réduction de charge virale de -2 log. Le produit a été bien toléré. Il va maintenant être testé en phase II sur une durée plus longue.
Les symposiums de l’après-midi qui clôturaient cette treizième CROI ont donné lieu à bien des hésitations. Trois sujets d’importance en parallèle, quel choix difficile ! Heureusement, le webcast sur le site de la conférence permettra dans quelques jours à tout le monde de suivre ces présentations pendant au moins un an. Le premier de ces symposiums traitait de la prévention et des stratégies de santé publiques de réduction des risques. Les sujets abordés : l’impact de la transmission en phase de primo infection sur l’épidémie ; les implications pour la prévention du sérotriage chez les homosexuels ; la normalisation des tests de séropositivité ; la prévention dans les dispensaires médicaux.Le deuxième symposium abordait la question des réservoirs viraux et le troisième le traitement de l’hépatite C avec principalement des communications sur les nouvelles antiprotéases en développement.
Le programme de la CROI 2006 s’arrête là. Dans la dernière chronique de cette série, nous vous proposerons une analyse plus globale de la conférence ainsi que quelques éclats particuliers qui ont marqué cette treizième édition de la grande conférence américaine.