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Plusieurs comptes rendus plus ou moins clairs ont été donnés par la presse durant la conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes de Denver. Afin que vous puissiez juger la qualité des informations relayées — parfois péniblement — par la presse, voici les résumés de quelques présentations disponibles sur le site de la conférence, mais ici traduits en français.

En principe, muni de Sida, un glossaire, tout un chacun devrait pouvoir comprendre un minimum ces présentations et facilement compter les erreurs, les approximations et les « excès d’enthousiasme » des articles publiés.

32LB – Prevention of Rectal SHIV Transmission in Macaques by Tenofovir/FTC Combination – J Garcia-Lerma et al.

La prophylaxie utilisant des antirétroviraux comme stratégie de prévention de la transmission du VIH a déjà fait l’objet d’études alors qu’on ne sait pas encore quel est le meilleur traitement à appliquer dans ce cas. Les données disponibles sur l’utilisation du tenofovir (TDF) sur le modèle de l’infection des muqueuses par le virus de l’immunodéficience simien/humain (SHIV) suggèrent que le TDF n’est pas suffisamment protecteur à des concentrations équivalentes à celles couramment utilisées chez les humains. Nous avons donc recherché si la combinaison TDF/FTC (emtricitabine) pouvait protéger des macaques d’une exposition contaminante rectale de SHIV et si cette protection pouvait persister durant des expositions répétées.

Méthode : Un groupe de six macaques rhésus ont reçu une injection sous-cutanée de 22mg de TDF et 20mg de FTC par kilogramme en une dose quotidienne. La dose de FTC correspond à l’emploi chez les humains. Six autres animaux n’ont reçu aucun traitement (groupe contrôle). Tous ces animaux ont été soumis à une exposition rectale hebdomadaire avec une dose faible de SHIV, un virus au tropisme R5 qui ressemble au virus VIH-1 naturellement transmis. L’infection a été mesurée par une sérologie ainsi qu’une amplification PCR des gènes gag et pol issus respectivement du plasma et des lymphocytes de la circulation périphérique. Les données de la littérature sur l’utilisation de ce modèle d’exposition montrent que 4 expositions infectent 75% des animaux du groupe contrôle.

Résultats : Sur les 6 animaux contrôle, 4 (soit 67%) ont été infectés après 4 expositions. Par contraste, les six animaux traités par TDF/FTC ont été totalement protégés. Après dix nouvelles expositions, un des deux animaux du groupe contrôle a été infecté tandis que les 6 animaux traités sont restés exempts d’infection.

Conclusion : La combinaison TDF/FTC procure donc un haut niveau de protection contre les expositions répétées, ce qui démontre que la prophylaxie chimique avec des antirétroviraux puissants est une stratégie efficace pour prévenir le risque de transmission sexuelle du VIH.

151LB – Effect of Pioglitazone on HIV-1 Related Lipoatrophy : a Randomized Double-Blind Placebo-Controlled Trial (ANRS 113) with 130 patients – L Slama et al.

La lipodystrophie est un effet secondaire fréquent chez les patients infectés par le VIH-1. Il a été démontré que les thiazolidinediones, des agonistes de PPARgamma, étaient capables d’augmenter la graisse sous-cutanée de patients non infectés par le VIH. Pourtant la rosiglitazone a donné des résultats décevants sur les lipoatrophies dues au VIH tout en empirant le profil lipidique. La Pioglitazone (PIO) dont les effets sur le profil lipidique sont différents est utilisé dans de nouvelles recherches.

Méthode : Des adultes HIV+ ayant signalé une lipoatrophie confirmée par un examen médical, ayant une charge virale VIH-1 inférieure à 400 copies par ml, un compte de CD4 supérieur à 200/mm3 et un traitement antirétroviral inchangé dans les six derniers mois, ont été tirés au sort pour recevoir soit un placebo, soit la PIO en une prise quotidienne pendant 48 semaines. Le critère d’évaluation primaire de l’efficacité était un changement de la masse graisseuse des membres entre la semaine 0 et 48 mesuré par un DEXA. L’étude était capable de détecter à 80% un changement de la masse grasse des membres de 0,325kg de différence entre les deux groupes.

Résultats : Les paramètres de base des 64 patients du groupe PIO et des 66 patients du groupe placebo étaient équitablement répartis en terme de données cliniques, biologiques, signes de lipoatrophies, composition corporelle, durée et composition des traitements en cours incluant la stavudine (d4T). A la semaine 48, la masse grasse des membres avait augmenté de 0,38kg dans le groupe PIO et de 0,05kg dans le groupe placebo. Chez les patients n’ayant pas pris de d4T, on a observé une augmentation de 0,45kg contre 0,04kg en présence de d4T. La mesure par tomographie au niveau de la vertèbre L4 n’a pas laissé apparaître de différence dans la graisse sous-cutanée abdominale ou la graisse viscérale. Une amélioration de la circonférence de la cuisse ainsi que de l’épaisseur du pli tricipital ont aussi été observés dans le groupe PIO. Le profil lipidique n’était pas significativement différent entre les deux groupes à la semaine 48 excepté pour le HDL-cholestérol qui était amélioré dans le groupe PIO. On a recensé 16 événements indésirables graves, 10 dans le groupe PIO et 6 dans le groupe placebo.

Conclusion : PIO 30mg en une prise quotidienne pendant 48 semaines a amélioré la lipoatrophie des membres chez des patients HIV+ recevant un traitement antirétroviral. Cet effet n’a pas été observé chez les patients exposés à la d4T. PIO n’a pas altéré les paramètres lipidiques sauf pour le HDL-cholestérol qui a été augmenté par la prise de PIO. Ces résultats sont en faveur de l’utilisation de PIO pour le traitement des lipoatrophies liées à l’infection par le VIH.

769 – Early, Uninterrupted ART Is Associated with Improved Outcomes and Fewer Toxicities in the HIV Outpatient Study (HOPS) – Kenneth Lichtenstein et al.

La toxicité des traitements antirétroviraux puissants (HAART) a conduit à la recommandation de retarder l’initiation d’un traitement. A l’aide des données de la cohorte HOPS, nous avons analysé la réponse aux HAART et l’incidence de certains effets toxiques selon le compte de CD4 précédant le HAART (pHCD4) et la durée du traitement HAART.

Méthode : Nous avons analysé les données d’une cohorte prospective, dynamique de plus de 7 800 patients suivis depuis 1993. Nous avons stratifié ces données selon le pHCD4 (0 à 49, 50 à 199, 200 à 349, 350 à 499 et plus de 500) et selon la proportion de temps sous HAART durant le suivi (plus ou mois de 95% du temps) jusqu’au développement de toxicités. Les modèles statistiques ont été utilisés afin de mesurer trois types de toxicité : l’insuffisance rénale, les neuropathies périphériques et les lipoatrophies à l’époque des HAART.

Résultats : Sur les 2 304 patients suivis dans la cohorte HOPS et au moins le double entre 1996 et juin 2005, on a trouvé 124 personnes avec une insuffisance rénale, 278 avec des neuropathies périphériques et 168 avec des lipoatrophies. Environ 31% des patients ont reçu un HAART moins de 95% du temps de suivi. Pour chaque pHCD4, après 8 ans sous HAART, le compte de CD4 était plus élevé et la proportion de patients atteignant une charge virale en dessous de 50 copies plus grande dans le groupe au dessus de 95% comparé au groupe en dessous de 95%. L’incidence des décès et des événements classant sida était inférieure avec un pHCD4 élevé et pour chaque pHCD4, elle était inférieure dans le groupe supérieur à 95% par rapport au groupe sous 95%. L’analyse univariée montre un risque significativement réduit d’insuffisance rénale, de neuropathies périphériques et de lipoatrophies chez les patients initiant un HAART avec un pHCD4 élevé et qui restent sous HAART plus de 95% du temps. En analyse multivariée, les facteurs de risque pour chaque effet toxique ont été les suivants :
– insuffisance rénale, pHCD4 200 à 349 (0.6), 350 à -499 (0.4), >500 (0.3); <95% du temps sous HAART (1.9); hypertension (2.1); Afro-américain (1.6); index de masse corporelle <21 (1.9); n'ayant jamais pris de traitement (2.9); - neuropathies périphériques, pHCD4 200 à 349 (0.7), 350 à 499 (0.6), >500 (0.7); <95% du temps sous HAART (1.5); age >40 ans (1.3); stavudine 40 mg deux fois par jour (1.8); un inhibiteur de protéase (1.3);
– lipoatrophies, pHCD4 200 à 349 (0.5), pHCD4 350+ (0.4), âge >40 ans (1.8), blanc (2.7), stavudine 40 mg deux fois par jour (1.8), didanosine (1.6), tenofovir (0.6), un inhibiteur de protéase (2.1).
Conclusion : Les patients de la cohorte HOPS ayant eu un compte de CD4 élevé avant l’initiation d’un HAART étaient moins susceptibles de développer une insuffisance rénale, des neuropathies périphériques et des lipoatrophies à l’époque des HAART. Cela suggère qu’il y a un bénéfice à traiter tôt par HAART. Nos résultats font aussi émerger la possibilité que l’utilisation de HAART sans interruption puisse réduire l’incidence de ces complications.

Même si elles sont un peu techniques, ces traductions des résumés des présentations sont suffisamment détaillées pour s’apercevoir que des journalistes se sont laissés un peu emporter par leur enthousiasme, à moins qu’ils aient eu un peu de mal à comprendre l’anglais. Le premier de ces résumés appelle d’ailleurs à plus de commentaires car sa conclusion manque singulièrement de réserve pour une publication présentée à la CROI. En effet, il est surprenant que les auteurs extrapolent un résultat obtenu sur un modèle animal qui recevait des molécules par voie d’injection à la vie d’êtres humains. Il aurait prudent de dire que cette étude justifie la conduite d’une étude chez l’homme. De là à susciter quelques soupçons d’opération marketing bien orchestrée de la part du fabricant des médicaments en question, il n’y a pas loin. Chacun a le droit d’extrapoler à sa manière…

En guise de conclusion

Positives for positives
Denver, Colorado, le « Wild West », le pays du western, des cow-boys et des indiens ! Les montagnes rocheuses, si proches, dont on pouvait apercevoir les sommets enneigés scintillant au soleil depuis les verrières du centre de congrès. A l’approche, l’avion survole Cheyenne, tout proche de Denver. Comment ne pas avoir une pensée pour Jeff Palmer qui nous a quitté si vite. L’ironie du sort veut que ce soit précisément cette année que la conférence se tient là. C’est pourquoi nous lui dédions ces pages sur la CROI 2006 parce qu’elles ne se veulent pas simplement du reportage ou de l’événement, mais elles sont écrites par des séropositifs pour des séropositifs, avant tout, parce que la connaissance est une arme pour se battre autant contre le virus que contre ses complices.

Que faut-il retenir de la CROI 2006 ?
La découverte du programme d’une conférence de renom comme la CROI est toujours un moment d’excitation. La treizième édition est comme les autres, pleine d’innombrables petites choses qu’il faudra beaucoup de temps et de patience pour revoir et analyser et en tirer les enseignements utiles. Mais c’est aussi un moment magique où le monde du sida se rencontre. La convivialité aussi fait partie de la conférence. Se retrouver après des mois où seuls les échanges épistolaires nous réunissaient, c’est aussi important que de découvrir les travaux de tel groupe ou les synthèses de tel spécialiste. Dès lors, comment appréhender la célèbre question que tout le monde pose aux explorateurs de retour au pays : « alors, quoi de neuf cette année ? »

Autrement dit, comment résumer cette conférence ? La publication par l’AFP le deuxième jour de conférence d’un papier sur l’essai de prophylaxie pré exposition (selon le terme consacré) mené avec des singes nous a d’abord révolté. Comment peut-on résumer aussi abruptement une conférence aussi dense ? Puis, après un instant de réflexion, il faut se rendre à l’évidence : que dire d’autre ? Revenir, comme l’ont fait les présentations de la conférence sur les 25 ans du sida, les 20 ans des traitements, les 10 ans de la trithérapie ? Lorsqu’on veut s’adresser à tout le monde et rapporter ce qui se passe dans un tel rassemblement en essayant de ne pas seulement donner l’image d’une réunion d’anciens combattants, l’annonce d’une recherche originale qui peut concerner tout le monde, n’est-ce pas le meilleur résumé pour faire comprendre que tout ne va pas dans le mur ?

Les activistes viennent nombreux assister aux conférences. Depuis longtemps, le filtre médiatique ne peut plus suffire à nous informer, nous sommes devenus trop exigeants et les médias ne suivent plus assez efficacement les questions complexes soulevées par l’épidémie. De plus, nous avons appris à forger nos propres circuits d’information pour éviter les influences aux intérêts divergents des nôtres. A force de conversations, d’impressions échangées entre nous dans les couloirs, la chose se précise. Elle est à l’image de ce commentaire d’une activiste européenne : « quand je suis en session, je suis enthousiaste et je note des tas de choses. Puis quand je rentre à l’hôtel et que je relis mes notes, je trouve ça fade, sans relief, sans ambition ». Nous nous sommes tous retrouvés dans cette déclaration surtout s’agissant de la table ronde spéciale qui a suivi la session sur les résultats tant attendus des essais d’interruption de traitements. Tant de propos s’y sont tenus, tant de points de vue divers se sont exprimés. Comment résumer tout ça en relisant les notes qu’on a pu y prendre ? Avec la fatidique formule si connue des habitués des conférences qui ne signifie rien d’autre que « on s’est un peu planté sur ce coup là » ou encore « on fera mieux la prochaine fois ». Cette formule, c’est : « des études complémentaires sont nécessaires pour préciser cette question ». Un seul propos a timidement soulevé un coin du voile au moment où tout le monde, affamé par la trop longue matinée quittait déjà la salle, un propos qui disait : « il faudrait tout de même mieux étudier l’impact des interruptions de traitement sur la qualité de vie des malades ». Dès lors, comment ne pas comprendre que l’AFP ne retienne, deux jours après son premier message, que cette conclusion d’une petite présentation orale qui est presque passée inaperçue sur le fait qu’on devrait commencer les traitements tôt, résultat obtenu sur l’analyse des dossiers médicaux par l’administration de la santé américaine. Un bon malade est un malade qui prend ses traitements.

Les spécialistes trouvent toujours les conférences passionnantes. Elles sont faites de tant de petites choses si difficiles à expliquer au grand public essentiellement parce que l’histoire serait trop longue. Libération a retenu de la CROI la présentation des résultats de l’essai ANRS113, certainement parce que c’est un clinicien français qui les a présentés. Mais les résultats des essais d’interruptions de traitement où l’ANRS est pourtant présente n’ont pas fait une ligne. Tenofovir plus emtricitabine pour les séronégatifs, roziglitazone pour les lipodystrophiés, nos dossiers médicaux qui prouvent qu’on a eu tort de ne pas commencer un traitement tôt, surprenant tout de même comme la presse retient avant tout de cette CROI 2006 qu’il est si bon de gober toujours plus de médicaments. Pourquoi ne pas s’intéresser à ce qui fait rêver les malades : arrêter leur traitement ? Un bon malade ne rêve pas, il se soigne.

La communauté sida française était à Denver au grand complet. Comme d’habitude les chercheurs et cliniciens sont venus nombreux de l’hexagone pour apporter leurs contributions aux débats dans de nombreuses spécialités. Les membres du nouveau groupe d’experts qui devront rédiger les recommandations françaises ont comme à l’accoutumée observé la trêve de la CROI pour trouver l’inspiration pour ce nouveau rapport. Malgré nos souhaits de voir ce travail couvrir le plus large champ possible des questions que soulève l’épidémie, la direction générale de la santé qui commande le travail du groupe a souhaité limiter les recommandations 2006 à une révision sur la question thérapeutique. Dès lors, on est en droit de se demander quelle version les experts français retiendront de cette rencontre, celle qui les incitera à tirer chacun la couverture à soi pour défendre sa spécialité, celle qui préconisera la dernière solution sensationnelle pour résoudre tous les maux avant d’en faire apparaître de nouveaux ou bien la petite voix qui proposait de s’intéresser aussi un peu à la qualité de vie des malades ? Un bon malade ne réfléchit pas, il écoute son médecin.

Quoi de neuf à la CROI cette année ? Un médecin s’est aperçu que les malades du sida ne sont pas que des charges virales et des comptes de lymphocytes, mais personne ne l’a relevé parce que tout le monde pensait déjà à son déjeuner. Et puis d’abord, ça se mesure en quoi, la qualité de vie ? Further studies are necessary to have a better understanding of this issue. Thank you for your attention.

La prochaine grande conférence internationale sur le sida sera la conférence mondiale à Toronto du 13 au 18 août 2006.