L’ODSE, Observatoire du droit à la santé des étrangers [[L’ODSE, Observatoire du droit à la santé des étrangers est un collectif d’associations luttant contre les difficultés rencontrées par les étrangers dans les domaines de l’accès aux soins et du droit au séjour pour raison médicale. L’expertise de notre collectif provient de l’observation des associations de juristes, de santé, de lutte contre le sida et de défense des droits des étrangers, qui le constituent.]] — dont Act Up-Paris est membre –, a adressé à Xavier Bertrand, ministre de la Santé et à Frédéric Van Roekeghem, Directeur de la CNAMTS [[Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés]] une lettre ouverte pour protester contre la décision d’exclure de la complémentaire CMU des malades étrangers titulaires d’une autorisation provisoire de séjour.
Lettre ouverte de l’ODSE à M. Xavier Bertrand, Ministre de la Santé et M. Frédéric Van Roekeghem, Directeur de la CNAMTS
Paris, le 23 mars 2006
Monsieur le Ministre,
Monsieur le Directeur,
L’Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE) souhaite vous alerter sur la décision d’exclusion de la complémentaire CMU des malades étrangers titulaires d’une Autorisation provisoire de séjour (APS).
Depuis quelques semaines, nos associations sont confrontées à une vague de refus d’ouverture ou de renouvellement de la complémentaire CMU à l’encontre d’étrangers gravement malades admis au séjour pour des raisons médicales. Les CPAM ont objecté qu’ils ne résidaient pas en France mais y demeuraient de façon occasionnelle.
Nous venons d’apprendre que ces nouvelles pratiques faisaient suite à des consignes données en ce sens aux directeurs des CPAM par la CNAM, notamment dans une lettre-réseau datée du 27 février 2006. Le « point AME/CMU » n°66 qu’accompagne cette lettre interne donne pour instruction d’écarter de la complémentaire CMU les étrangers malades titulaires d’une APS « dans la mesure où [ils] ne sont pas considérés comme remplissant la condition de stabilité de résidence » au prétexte que « l’APS n’a pas vocation à leur ouvrir un droit de séjour de longue durée ».
Nous nous permettons de revenir sur les points qui nous semblent les plus importants :
– La condition de stabilité de résidence, exigée en supplément de la régularité du séjour, est précisée par l’article R.380-1-I du Code de la sécurité sociale : il s’agit, hormis cas d’exception plus favorable, de résider en France depuis plus de trois mois. La nature du titre de séjour n’entre donc pas ligne de compte, seule importe l’ancienneté de la présence en France.
– Les étrangers malades titulaires d’une APS délivrée par l’article 7-5 du décret du 30 juin 1946 se trouvent bien en situation régulière au regard de la législation sur les étrangers. Ces APS sont prévues dans l’attente de la délivrance d’une carte de séjour. Les titulaires d’APS présents sur le territoire depuis plus de trois mois répondent aux conditions légales exigées pour l’accès à la CMU et à la CMU-C, en particulier la condition de stabilité de résidence sur le territoire.
– La majorité des malades concernés sont atteints de pathologie de longue durée (séropositivité au VIH, VHC, VHB, diabète insulinodépendant…), et les pays dont ils sont originaires ne pourront malheureusement pas leur garantir une prise en charge médicale effective dans les années à venir. Ces malades se trouvent donc contraints de résider en France pendant une longue durée.
Il est particulièrement inacceptable de nier la résidence de malades qui souvent n’ont pas choisi de vivre en France loin de leurs proches restés au pays, et qui sont donc otages de leur pathologie.
Rappelons que ces malades se sont vus délivrer un titre de séjour car il ne peuvent effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans leur pays d’origine, et que ce défaut de prise en charge pourrait occasionner des conséquences d’une exceptionnelle gravité. Il nous semble que la question de leur accès effectif aux soins, supposant leur prise en charge, relève d’impératifs de santé publique et au respect des droits humains fondamentaux.
Comment renvoyer ces malades à des assurances privées alors même qu’ils sont éligibles à la couverture complémentaire CMU et qu’ils disposent de très faibles ressources (inférieures à 587,16 euros par mois pour une personne seule). De plus, la gravité de leur pathologie, rend leur adhésion à une complémentaire santé privée quasiment impossible.
Plus globalement, nous ne comprenons pas comment une question de cette importance peut avoir été traitée dans l’absence totale de concertation.
Nos associations ne cessent de dénoncer l’abus que les préfectures font de ces titres aux dépens des Cartes de Séjour Temporaires qui devraient pourtant rester la norme en matière de séjour pour raison médicale. Par recoupement entre nos observations de terrain et les données avancées par la Direction des populations et des migrations, on peut estimer à plus de 6 000 le nombre de personnes gravement malades titulaires d’une APS et qui seraient exclues de la complémentaire CMU par cette lettre-réseau. Comment la seule perspective de faire des économies sur les soins coûteux et indispensables de plus de 6 000 malades gravement atteints a-t-elle pu conduire les rédacteurs de cette lettre de la CNAM à oublier toute règle de droit et toute déontologie ?
En conséquence, Monsieur le Ministre, Monsieur le Directeur, nous vous demandons de bien vouloir faire annuler les instructions de la CNAM et de faire le nécessaire pour :
– qu’une information claire et précise rappelant que les bénéficiaires d’APS remplissent les conditions de stabilité et de régularité de résidence, dès lors qu’ils résident en France depuis plus de trois mois,
– que les malades qui se sont vu opposer un refus de CMU de base ou complémentaire soient contactés et informés de leur droit,
– que soient prises en charge les factures des soins des malades concernés.
Notre Observatoire se tient évidemment à votre disposition pour une rencontre en urgence, afin d’éclairer si nécessaire les différents points abordés dans ce courrier.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Ministre, et Monsieur le Directeur, l’expression de notre considération.
L’ODSE