CertainEs d’entre nous aimeraient tellement que le sida ne soit plus qu’un triste souvenir qu’ils et elles sont promptEs à prendre leurs rêves pour des réalités. Il en est ainsi lorsqu’on endosse le concept de post-sida décrit par certainEs sociologues en oubliant qu’il décrit d’abord la perception de l’épidémie plutôt que sa réalité.
On lisait récemment dans le programme d’une conférence de santé gay : « Pour beaucoup de ces leaders, nous sommes maintenant dans l’ère post-sida, dans le sens où du fait de la baisse considérable du taux de contamination par rapport aux années 80 et l’arrivée des traitements puissants, nous sommes sortis de la phase de crise ». Aux États-Unis, des Eric Rofès ou d’autres « leaders gays » se sont fait les chantres d’une nouvelle libération sexuelle post-sida. « Aids crisis is over » est leur mot d’ordre ! Pour eux, l’épidémie ne constituerait plus une crise et les gays seraient désormais en mesure d’intégrer le sida dans leur sida. Pour eux, la prévention ne serait qu’un discours de culpabilisation de la sexualité des gays. La persistance de propos alarmistes sur l’épidémie le dernier avatar d’une société réactionnaire dont se rendraient complices les associations de lutte contre le sida effrayées à l’idée de perdre leur job… De là à dire que le sida aurait été inventé pour punir les gays ou que les gens tombaient malades parce qu’on les aurait convaincus qu’ils et elles étaient malades, il n’y a qu’un pas.
En gros le sida serait un truc de vieux pédés. On a par exemple entendu Eric Rofès expliquer en public que le sida ne concernait pas tant les jeunes gays à San Francisco car la prévalence y était seulement de 13 % dans la classe d’âge 18-20 ans tandis qu’elle s’élève à près de 43 % chez les gays de plus de 41 à 45 ans. Geneviève Paicheler, présidente d’une Action coordonnée de l’ANRS (AC18), de s’exclamer qu’avec une prévalence de 13 %, même en Afrique, on parlerait de crise sanitaire. Ce raisonnement faisait surtout l’impasse sur le fait que la prévalence dans une population était le résultat des contaminations intervenues à tous les âges de la vie.
Pour se donner une apparence de rationalité, ce discours s’accommode d’un traitement par-dessus la jambe de l’épidémiologie et des études scientifiques. Sans aucun élément de preuve et alors que toutes les données comportementales et épidémiologiques prouvent le contraire, certainEs affirment qu’il n’y aurait pas eu d’augmentation des pratiques à risques dans la communauté gay. Les homos se sentiraient simplement plus libres de parler du sexe à risque. La prévention n’aurait jamais eu une quelconque efficacité sur les comportements des gays. Ils et elles affirment qu’au contraire, le discours de prévention amènerait les homos à s’engager dans des pratiques à risque…
Aids crisis is NOT over
Confronté à la réalité épidémiologique, ce discours relève du simple déni. Dans tous les pays occidentaux, on constate une augmentation des prises de risque chez les gays. Ces dernières années, on assiste à une augmentation des contaminations VIH, à l’augmentation de la fréquence des infections sexuellement transmissibles (IST). Exemplaires en termes de mobilisation contre le sida à partir de la fin des années 80 et jusqu’au milieu des années 90, les homos sont devenus les moutons noirs de la prévention. Qu’ils aient, à la différence des hétérosexuelLEs, massivement adapté leurs pratiques sexuelles pour faire face à l’épidémie à une époque rend d’autant plus sensible la reprise des contaminations dans cette communauté.
Aujourd’hui, en France, les gays représentent à eux seuls le tiers du total des nouveaux diagnostics de séropositivité et un homme sur deux chez qui on dépiste une séropositivité est homosexuel. Les contaminations concernent toutes les classes d’âge. La prévalence du VIH chez les homos est comparable à celle des pays d’Afrique sub-saharienne. 85 % des syphillis dépistées concernent des homosexuels, la multiplication des gonococcies et l’émergence de résistances a nécessité la modification des indications thérapeutiques et on assiste à l’émergence de certaines IST complètement disparues comme la lymphogranulomatose (LGV). D’après les enquêtes presse gay, les prises de risque ont augmenté de 70 % de 1997 à 2004. Mais l’épidémie de sida chez les gays ne constituerait plus une crise sanitaire…
Le discours ambiant est à la maladie chronique, à la banalisation pour rompre avec un prétendu « exceptionnalisme sida ». L’arrivée des traitements antirétroviraux puissants et l’optimisme vis-à-vis de ces traitements n’expliquent pas à eux seuls la reprise des contaminations. Ce phénomène est sans doute plus complexe et s’explique par plusieurs facteurs : lassitude vis-à-vis d’une épidémie de sida qui dure depuis plus de 25 ans, traumatisme d’une communauté décimée par l’épidémie, inertie de l’épidémie compte tenu d’une prévalence historique doivent aussi être pris en compte pour expliquer l’augmentation considérable des prises de risque. Toutefois, il est légitime de s’interroger aussi sur l’impact d’un discours de banalisation du sida sur la diffusion de l’épidémie.
La santé gay comme prétexte
Dès lors que le sida pourrait être très bien intégré dans la vie des gays, dès lors qu’il ne serait plus mortel, puisqu’il n’y aurait plus d’urgence et parce que les pédés ne voudraient plus en entendre parler, certains proposent d’envisager les choses à l’échelle de plusieurs décennies et de travailler sur le long terme pour améliorer la santé des gays. Pourtant, l’idée de santé communautaire est tout sauf une idée nouvelle. Elle a accompagné toutes les étapes de l’histoire de la lutte contre le sida.
Act Up-Paris comme association issue de la communauté homosexuelle en est en partie l’exemple. Chacun s’accorde depuis plusieurs années à dire qu’il est nécessaire d’aborder l’ensemble des déterminants de la prise de risque et d’aborder de manière plus générale la santé des gays. Act Up milite pour des approches de prévention communautaires fondées sur l’empowerment, c’est-à-dire le renforcement des ressources individuelles afin de pouvoir être en mesure de se protéger de l’épidémie par la diffusion de l’information et la construction de contre-expertise par les personnes concernées. L’approche communautaire implique aussi l’intégration des termes politiques du rapport entre l’individu et son milieu.
La santé gay pourrait être employée, à raison, comme stratégie d’outreach pour la prévention gay. Malheureusement l’idée de santé gay s’accompagne souvent d’un déni de l’impact du sida dans notre communauté. S’il s’agit de ramener la santé au cœur des préoccupations des gays, comment ne pas s’interroger sur le fait qu’elle soit souvent prétexte à évacuer la question du sida ? Avec une prévalence déclarée d’au moins 14 % en France il s’agit pourtant indéniablement du principal déterminant de santé chez les homosexuels dans les pays occidentaux. L’association suisse Dialogay a mené une enquête sur la santé des gays en 2002. Sous prétexte que le sida aurait pris toute la place, les données présentées n’étaient même pas corrélées avec la séropositivité alors que cet élément pouvait en partie expliquer certaines observations. Dans un contexte où le minimum nécessaire en matière de prévention gay n’est pas réalisé, les velléités de développer cette approche peuvent apparaître comme de la diversion ou une manière de noyer le poisson.
Science-fiction
Le révisionnisme sida sert aussi à légitimer de prétendues « nouveaux concepts et nouvelles approches » qui ne visent qu’à promouvoir le sérotriage ou d’autres approches de réduction des risques comme la notion de « negociated safety ». Jusqu’à présent ces approches ne reposent sur rien d’autre qu’une volonté de légitimer le sexe non protégé. CertainEs acteurRICEs associatifVEs gay à San Francisco ayant promu le sérotriage ont annoncé l’année dernière qu’une forte réduction de l’incidence constatée dans cette ville justifiait leur action. Depuis, cette diminution des nouvelles contaminations a dû être fortement réévaluée à la baisse. Surtout, le calcul d’incidence employé, par ailleurs particulièrement contestable méthodologiquement, ne permet en aucun cas de conclure à un quelconque impact de ce phénomène sur la diffusion de l’épidémie.
Les connaissances actuelles montrent plutôt que la propagation de l’épidémie de sida est considérablement plus complexe. Plusieurs facteurs concourent à sa diffusion comme la question de la charge virale ou la fréquence des IST dont le nombre est anormalement élevé dans la communauté gay de San Francisco. On s’interroge aussi sur l’observation de clusters, sur l’impact des séroconversions ou des personnes qui ignorent leur séropositivité dans la diffusion de l’épidémie, sur la sélection de certaines souches virales ou encore l’épidémiologie des surinfections, etc. De toute évidence une épidémie est un phénomène complexe auquel les comportements individuels participent collectivement.
Pour les Rofès and Co, la nouvelle libération sexuelle passe par l’abandon du préservatif. Paradoxalement, convaincuEs que le sida contraint nos sexualités leur propos nécessite une révision de l’impact du sida sur nos vies. On fustige caricaturalement un prétendu usage de la peur, de la culpabilisation et de la répression par les associations de lutte contre le sida. Qu’importe les risques que peuvent présenter pour les séropositifVEs le sexe sans capote : le maniement de la peur. Qu’importe l’impact d’un discours complaisant sur le sexe à risque sur les comportements : de la culpabilisation. C’est sans doute la première fois dans l’histoire de l’épidémie que l’on s’entend expliquer pas des séronégatifVEs que l’épidémie est finie.
Personne ne semble se soucier que 64 % des gays continuent d’utiliser systématiquement le préservatif pour les pénétrations anales. Que seulement une minorité de gays est en rupture totale vis-à-vis de la prévention et qu’il s’agit la plupart du temps de personnes déjà séropositives. Qui travaille réellement sur la place de l’épidémie et des séropos dans la communauté gay ? Qui discute sur le terrain politique du rapport de l’individuel au collectif dans une épidémie ? Plutôt que de proposer un discours à coup sûr populaire qui annoncerait qu’on peut bien baiser sans capote, ne serait-il pas plus judicieux de conforter celles et ceux qui continuent de mettre la capote, celles et ceux qui souhaitent rester séronégatifVEs ou des séropositifVEs qui refusent de participer à la diffusion de l’épidémie…
Quant à nous, nous n’accepterons jamais que le sida puisse devenir l’horizon indépassable de l’homosexualité.