Le député UMP Christian Vanneste est poursuivi par SOS Homophobie, le SNEG et Act Up-Paris. C’est la première fois qu’une personne est jugée pour le délit d’injure en raison de l’orientation sexuelle, délit créé par la loi du 30 décembre 2004. L’enjeu en termes de création de jurisprudence et d’interprétation de cette loi est énorme.
Lille 13 décembre – Tribunal Correctionnel – 16h
Après une première discussion sur une exception, les parties civiles sont entendues. Pour Act Up, Jérôme Martin, alors président, rappelle qu’ « on ne peut lutter contre le sida sans lutter contre l’homophobie. Comment prendre soin de sa santé et vouloir se protége, si l’on a honte de ce que l’on est, quand on est humiliéE ? ». Il ajoute : « Affirmer que les homosexuels sont sectaires quand ils manifestent pour leurs droits, c’est les exclure du débat démocratique, les inférioriser, alors que notre combat est universel. ». Et de démontrer à quel point l’argumentation du député repose sur l’idée haineuse et irrationnelle que « si on donne des droits aux homosexuelLEs, l’homosexualité risque de devenir contagieuse et universelle ».
Appelé, Christian Vanneste estime que la loi qui a créé ce nouveau délit a été bâclée. Il cite abusivement Lévi-Strauss, prétendant que « de toutes les sociétés, on a écarté l’inceste et l’homosexualité. ». Il enchaîne sur sa distinction favorite : « Je n’ai rien contre les homosexuelLEs, je conteste leur comportement (…) l’homosexualité n’a rien à voir avec l’identité. Par exemple, moi, je ne me sens pas essentiellement hétérosexuel. » L’homosexualité serait inférieure sur le plan moral et social à l’hétérosexualité, car l’hétérosexualité conduit à la procréation et à la famille. Et de conclure : « L’homosexualité peut être acquise, mais aussi rééduquée. »
Cité par les parties civiles, Jean-Luc Roméro vient témoigner à la fois à titre personnel, sur son vécu de l’homophobie et au titre d’un responsable politique ayant travaillé sur la loi et la HALDE. « Monsieur Vanneste dit qu’il juge un comportement, mais il ne faut pas oublier que derrière le comportement il y a des êtres humains. » Autre témoin, Marianne Lorenzi, 47 ans, maître de conférence en rhétorique appliquée à la Sorbonne, se propose d’expliquer d’un point de vue sémantique les propos de Christian Vanneste, et de montrer comment, rhétoriquement parlant, ils sont injurieux. Elle conclura sur l’absurdité de la séparation entre comportement et individu.
Les plaidoiries
Les avocatEs des parties civiles entament les plaidoieries, déclinant des arguments de deux sortes. Tout d’abord, des arguments juridiques en réponse anticipée au système de défense choisi par Christian Vanneste, selon lequel la loi du 30 décembre 2004 punissant les propos injurieux en raison de l’orientation sexuelle est inapplicable, car elle représenterait une atteinte à la liberté d’expression, incompatible avec l’article 10-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
D’autre part, des arguments montrant le caractère injurieux des propos et leurs conséquences pour les parties civiles. Leur violence insupportable est soulignée par chacunE, notamment par Maître Mécary (représentant SOS Homophobie) qui cite un discours de Himmler utilisant à propos des homosexuelLEs l’idée de menace pour la survie de l’humanité. « La honte tue, Monsieur Vanneste, plus discrètement, mais tout aussi efficacement qu’un bidon d’essence ou une barre de fer » rappelle Maître Aoun, pour Act Up-Paris.
Le procureur a pour sa part, choisi de montrer la culpabilité du député en faisant un historique de la loi sur le 30 décembre 2004, montrant ainsi que, contrairement aux propos du député, ce texte n’avait pas été rédigé à la va-vite. Il note que dans l’article de loi qui vise le député, le législateur a mis sur le même plan « le sexe, l’orientation sexuelle et le handicap », permettant ainsi de considérer l’orientation sexuelle comme une partie intégrante de la personne. « Qui peut penser que le handicap ne fait pas partie de la personne ? », a-t-il lancé à Christian Vanneste. « Le handicap, c’est un ‘comportement’, peut-être ? ». Au bout de cette lecture en défense de la loi, longue et brillante, il conclut sur la légitimité de la loi et la nécessité de condamner Christian Vanneste : « Le parquet n’offrira pas le spectacle affligeant de démontrer en quoi la hiérarchisation des pratiques sexuelles est une offense ».
Les deux premiers avocats de la défense se contentent d’invoquer la liberté d’expression. On ne peut restreindre la liberté d’expression que pour des motifs valables, or la lutte contre l’homophobie ne rentre pas dans ces exceptions, car l’orientation sexuelle ne fait pas partie de l’identité. Cela nous vaut des moments comiques : « J’aurai toujours l’âge que j’ai (sic), et vous verrez plus tard où je veux en venir [[Un peu plus tard, le même avocat reviendra sur cette formule, en affirmant « Vous aurez compris par vous-même que j’aurai toujours l’âge que j’ai, en dehors des années qui passent ».]] ; j’aurai toujours le sexe que j’ai (sic) et le handicap, malheureusement, dans bien des cas, je le garderai toute ma vie ». Dans ce cadre-là, le combat des homosexuelLEs est anti-républicain, et la loi dangereuse.
Le troisième avocat fut plus habile. Il commença par reconnaître la légitimité du combat LGBT : « Depuis des siècles, les homosexuels luttent pour vivre. (…) Ils n’en peuvent plus, et je comprends leur combat ». Mais Christian Vanneste n’aurait fait que mener un combat normal dans une République : s’opposer, au nom de valeurs « que je trouve personnellement conservatrices » à une loi jugée mauvaise. Dès lors, le procès intenté contre son client serait avant tout politique. Et l’avocat de reprendre l’argumentation sur la liberté d’expression. « Je veux bien laisser entière leur bonne foi aux parties civiles. Ils ont tellement souffert. Ils en ont assez. Ils peuvent prendre n’importe quel mot pour une injure. » Mais cette souffrance ne devrait pas autoriser à ce qu’on condamne Christian Vanneste, car ce serait le début d’une « police des idées ».
Il est 22h15 quand l’audience se termine.
Le verdict est rendu le 24 janvier : Christian Vanneste est condamné à verser 3 000 e d’amende, ainsi que 3 000 e à chaque partie civile ; à faire publier la condamnation dans plusieurs journaux : Le Monde, L’Express et La Voix du Nord.
Le député a fait appel. L’audience est prévue le 4 septembre prochain.