Impossible de ne pas le remarquer : aujourd’hui le bareback ne se cache plus. Il fut un temps où les films sans capote se trouvaient en bas des rayonnages ou sur des sites dissidents. Maintenant, des collections entières de films au marketing très ciblé et très visible sont mises en vente de façon décomplexée par les principaux distributeurs.
Dans les sex-shops gays, comme dans ceux à dominante hétéro qui réservent un espace à la production homo, les films barebacks n’ont pas encore la majorité numérique, mais sont parmi les DVD les plus visibles, c’est-à-dire ceux qui sont présentés face apparente. Ils représentent une proportion de 1/10 à 1/3, selon les lieux visités (IEM les halles, IEM Saint Maur, IEM Saint Lazare, IEM Le Marais, Manstore, Boxxman, Concorde Place d’Italie, Projection vidéo rue des lombards, Vidéovision, et divers sex-shops rue Saint Denis). Cela tient à ce que le bareback n’est plus seulement une caractéristique parmi d’autres d’un film donné, mais le premier argument de vente, revendiqué comme tel. Certains studios déclinent ainsi plusieurs longs métrages, qui apparaissent au sein d’une collection dont l’unité est repérable à un mot (comme BARE ou RAW), qui apparaît en gros en haut de la jaquette.
Dans les mêmes séries de films, on trouve aussi en couverture un pictogramme représentant une capote barrée et entourée en rouge, accompagné de la mention «condom free». Un peu comme les yaourts 0 % de matière grasse, dont la publicité se fonde plus sur cette absence de mauvais cholestérol que sur le goût ou la composition. On propose en quelque sorte au public gay des films allégés en latex.
Le bareback se présente ainsi sans complexe comme s’il était le «bio» du cul. Ce qui est déjà en germe dans le terme lui-même. « Bareback » c’est littéralement la monté à cru, l’évocation d’une vie rude et naturelle. Le terme est souvent utilisé directement, ou alors par l’abréviation bare (nu) dans les titres des productions. Le champ lexical décliné dans les slogans que l’on trouve sur les DVD sans capote se concentre ainsi la plupart du temps sur la nature, la pureté, la simplicité. Une collection s’appelle raw (brut), un film Direct Deposit, etc. Et on n’a pas échappé, bien entendu, à « Bareback Mountain ». Ces thèmes sont combinés parfois avec celui de la jeunesse (les producteurs apprécient particulièrement les jeunes d’Europe de l’Est) ou même de porno hard, comme si le bareback, au même titre que le fist ou le bondage, était un degré supplémentaire dans le fantasme.
Les distributeurs de films X, qui assurent se soucier de la santé de leur public et de celle des acteurs, en font leur principal argument pour ne pas «laisser de côté» la production bareback : ce n’est qu’un fantasme et il ne faut pas l’imiter. Ils ont raison si on reste en surface : on voit Superman voler dans les films mais il ne faut pas essayer de se lancer du haut de son balcon pour aller acheter un litre de lait à la supérette. Sauf que Superman est réalisé avec des trucages. De même, il n’est pas sûr qu’un autocollant «le bareback tue», que l’on rencontre parfois, avec la même typographie que le célèbre avertissement contre le tabac sur les paquets de cigarettes, soit vraiment une preuve de la prise en compte de l’étendue des contaminations et de la gravité des conséquences immédiates qu’elle entraîne.
Toute cette hypocrisie dissimule mal la véritable raison de la présence du bareback dans les magasins, catalogues et sites Internet d’IEM, Menstore, Concorde, etc. : le sans-capote est devenu une niche marketing très rentable, et souvent une rubrique dans les catalogues lui est complètement consacrée. Assumons le procès d’intention : est-ce qu’on n’en viendra pas bientôt à nous expliquer que le risque c’est la vie, et que pour faire du business, il faut en prendre (des risques) dans le monde de concurrence dans lequel on se trouve, et autres arguments ressassés ?
L’invisibilité de l’épidémie de sida est un corollaire du phénomène bareback dans le porno : qui se préoccupe de savoir si les vidéos avec capote deviendront peu à peu invendables, parce que le public ne voudrait pas d’un rappel même subliminal de l’existence de cette maladie ? Si des pédés continuent à bander en voyant des jeunes tchèques se contaminer sous leurs yeux, n’est-il pas de la responsabilité des diffuseurs – et de la communauté – de dénoncer ces vidéos ?