sida, envie d’en être ? A cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Frédéric.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. Ma naissance, le 5 novembre 1960 à Bagnols-sur-Cèze, dans le Gard, à l’heure de la sieste. Après il y a la période 71-77, un accroc dans ma vie qui m’a perturbé pendant disons 10 ans. Une relation que je ne voulais pas et qu’on dira subie de la part de mon oncle. Ensuite, mon affirmation dans le monde en 79. À 19 ans, il était temps. Je savais qui j’étais et ce que je voulais. 21 juin 1993, l’homme de ma vie. 21 juin 1997, union clandestine à Lisboa. Et puis 2000, je développe le sida. Si ton enfance était un arbre fruitier, ce serait ? Un châtaigner. Parce que piquant et nourrissant. C’est un arbre sous lequel j’ai grandi, me roulant dans ses feuilles mortes. On dévalait les pentes et on se piquait. C’est un arbre noble dans les Cévennes. Ta famille, c’était un nid douillet ? Ma famille au sens propre du clan, mes frères et sœurs et mes parents, c’était, oui, un nid douillet. Qui me paraissait douillet. La famille au sens plus large c’était plutôt un nid d’oursins. Tu as eu une jeunesse alternative ? J’ai eu une jeunesse militante, à travers mes parents. À 11 ans, par exemple, j’étais sur le camp du Larzac, le premier rassemblement. Ton premier baiser, tu l’as échangé avec qui ? Avec un inconnu dans le noir, qui est resté inconnu. Vers 18 ans. J’ai toujours su que j’aimais les garçons. Et cela posait problème ? Oui, par rapport à l’environnement social ; pour moi, ça ne me posait pas problème. C’est le dire qui était problématique, dans le clan dans lequel j’étais mis, avec un père macho au possible. Dès que j’ai eu une première émotion de mon fait, de mon cœur, je l’ai dit. La réaction de ta famille ? Très dure de la part de mon père, plutôt tranquille pour ma mère et mes franginEs. Quand la première fois as-tu entendu parler du sida ? J’étais au Portugal, aux alentours de 1987. J’ai entendu le mot sida, mais je ne me suis pas du tout posé la question si moi, je pouvais l’attraper, je n’étais pas du tout dans cette réalité-là. Je profitais de la vie, j’ai aimé. Peux-tu nous parler de la découverte de la séropositivité ? J’avais fait un test dans un CDAG, mais je ne suis pas allé chercher le résultat. Xtian, mon mari, lui, était séropo depuis 1985. C’est la première chose qu’il m’a dite, en refusant une relation : « je ne peux rien promettre, je suis plombé, je vais mourir ». Moi, je lui ai dit qu’on pouvait quand même construire quelque chose. Il venait de sortir d’une visite médicale où sa toubibe lui avait dit qu’il en avait pour 4 mois de vie. On s’aimait, on faisait notre petit chemin en faisant attention. Mais c’était compliqué parce qu’à l’époque on se droguait, je n’étais pas très net tout le temps. Je n’ai pas cherché à savoir. Pour le sexe, j’étais très prudent, pour les aiguilles, j’ai essayé de l’être, mais je ne l’ai pas été à chaque fois. Des années après, en 2000, j’ai fait un zona. Je savais ce que c’était parce que Xtian en avait eu un, quelques années auparavant. Un zona irritant, désagréable au possible, très mal placé. Je suis hospitalisé. On me soigne le zona, on me met aussi, d’office, avant d’avoir le résultat du dépistage, sous traitement. Quand on me l’a annoncé, que cela est devenu réel, j’étais la tête dans le mur. Ou tu fais vite pour te soigner ou tu y passes. Je n’avais pas peur de cette maladie, puisque je la connaissais depuis 1993, quand j’ai croisé Xtian qui vivait avec depuis 1985, je me l’étais appropriée. Le fait d’avoir refusé de savoir, cela avait à voir avec ma putain d’éducation parce qu’il ne fallait pas être faible. Même la maladie devait être refusée, il ne fallait pas montrer ses douleurs si on en avait. Donc pas de médecin. J’avais une espèce de hantise du monde médical. Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ? Il y a eu énormément de pilules. Environ 8 par prise, entre les trithérapies, les médicaments pour le zona, des antifongiques pour des champignons dans la bouche. Tout est allé très vite. 65 T4. Est-ce qu’on pourrait aborder cet état où tu ne veux pas savoir, mais où en même temps tu agis d’une certaine façon parce que tu sais ? Ce n’était pas un total déni, manifestement ? Non, c’est vrai. Quand j’avais des relations sexuelles, j’utilisais des préservatifs, quant à l’usage de drogues c’était beaucoup plus aléatoire au niveau de la prévention. J’y réfléchissais parce que je vivais avec quelqu’un qui était authentiquement et ouvertement séropositif. Il en parlait dans les bars. Donc nous en parlions, mais je ne voulais pas savoir pour ne pas avoir à le dire aux miens. Avec Xtian on en parlait quand j’avais des faiblesses, mais on était dans un tel délire de vie, qu’on en parlait, mais ça restait, comme tout, à ce moment-là, où l’on ne travaillait ni l’un ni l’autre. Lui me demandait d’aller me faire dépister, moi je ne voulais pas. On avançait bon gré mal gré. Donc tu as été dans cette période de flou pendant 7 ans ? On peut dire cela comme ça. On galérait vachement, lui avait l’AAH. Moi, je ne travaillais plus, j’étais au RMI avant de toucher les assedics auxquelles j’avais droit, alors que je ne le savais pas. J’ai eu 3 ans d’assedics, c’était plutôt confortable en comptant l’AAH. Donc on voyageait, on s’aimait, on vivait, on se droguait. On ne se souciait pas du lendemain. Et puis, si je ne voulais pas savoir, c’est peut-être aussi parce que j’ai perdu tant d’amis. Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? Plutôt bien, parce que dès le départ j’ai voulu être le maître de la situation. C’était tard, mais j’ai voulu être maître. J’ai toujours interrogé les médecins pour savoir exactement ce qui se passait. Je leur demandais tout, je leur prenais la tête. En prenant en charge ma maladie, je me suis dit qu’il fallait se battre. Le Dr Derouineau m’a conseillé de rentrer dans un protocole sur les hormones de croissance à l’hôpital de Garches, auprès du Pr Melchior. Comme je considérais que j’avais joué au con, à ne pas vouloir me faire dépister plus tôt et que j’avais attendu d’être en stade sida pour l’apprendre, je me suis prêté à ce protocole, qui permettrait, peut-être, de faire des avancées sur la prévention des lipodystrophies. J’ai signé une décharge et je suis parti à l’aveugle sur des injections quotidiennes d’hormones synthétiques. Ça a duré trois mois et demi. C’était monstrueux, trois mois et demi de nuits douloureuses, à me prendre pour Hulk, des tiraillements partout, de la tête au pied. Et tu es sorti du protocole à cause de ça ? Non, parce que je gagnais un petit peu en volume et en muscle. Tu n’en parlais pas au médecin ? Si, mais pas plus que ça. On m’a toujours appris à ne pas me plaindre. Au bout de trois mois et demi, en sortant de la séance d’injection, je me ramollissais sur un trottoir de Montreuil. Je dis ramollir parce que je n’ai pas perdu connaissance, mais mes jambes ne me portaient plus. On a diagnostiqué une méningite. On m’a sorti du protocole immédiatement. Une fois retapé, j’ai dû passer trois ou quatre jours à l’hôpital. On m’a autorisé à sortir. Je pensais que quand on rentrait dans un essai sur ses deux jambes, on sortait avec les deux jambes. Ça ne s’est pas du tout passé comme ça. On m’a laissé tomber comme une vieille chaussette, et je ne sais toujours pas ce qu’il en est. J’ai toujours les papiers qui indiquent qu’on doit être tenu au courant des suites de l’essai. Après, j’ai changé d’hôpital, Saint-Louis. La méningite a duré 3 ans. Après être sorti de Garches, je me suis à nouveau senti mal, et je suis allé voir le Dr Derouineau, qui m’a dit, « Monsieur, arrêtez de dire que vous avez mal. Vous n’avez rien. Ce n’est pas une méningite. ». Alors que j’avais 40° de fièvre. Il me conseille de rentrer chez moi me reposer, que les douleurs et l’état dans lequel j’étais, c’était une invention de ma part. Je rentre chez moi, et en rentrant, je retombe. Je suis admis d’urgence à Saint-Louis, avec 41° de fièvre. J’ai été absent à moi-même pendant 2 ans et demi, physiquement et mentalement, parce que plus de mémoire, plus de coordination des membres, plus de marche, sinon avec cannes, et tout ce que cela engendre, l’incontinence. L’horreur. Tu as des souvenirs ? Je m’en souviens, mais ce n’est pas moi qui ai eu le plus peur, c’est Xtian. Tu as des séquelles ? J’ai bien récupéré, mais il y en a. Des problèmes de positionnement spatio-temporel. Je ne situe plus trop les événements. Des problèmes de mémoire. On s’en passerait. Avant, la mémoire immédiate je l’avais, quand je posais quelque chose, dix jours après je savais où c’était, aujourd’hui je ne sais plus. Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité à ton entourage ? Je l’ai annoncée à ma mère, un an après être entré dans la maladie. Je l’ai annoncée parce que mon père avait eu un accident cardiaque, et je suis allé auprès de lui et ma mère s’est aperçue que cela n’allait pas du tout, elle m’a posé des questions. Je trouvais le moment déplacé, mais je lui ai dit ce qui se passait. C’est difficile d’annoncer à tes parents que tu as changé le sens du temps. As-tu déjà souffert de discriminations ? Je crois que j’ai toujours souffert de discriminations parce que je n’ai jamais été à ma place, nulle part. Je me suis peut-être discriminé moi-même. Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Oui. J’irais encore plus loin, c’est une des premières choses que je dis, même s’il n’y a pas de visée sexuelle. Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? Désagrégé. Est-ce qu’il y aura toujours suffisamment de finances pour continuer à chercher ? Je ne suis plus très sûr de l’espèce humaine. Quelles drogues prends-tu ou as-tu prises ? J’ai tout essayé. Ce que j’ai préféré, ce sont les plus naturelles, champignons hallucinogènes, herbe. J’ai commencé par le LSD et l’herbe, ça c’était en Ardèche. Après, l’héroïne, qui ne m’a jamais plu, et pourtant je me droguais. Je n’en aimais pas les effets, l’envie de gerber qui vient forcément. Mais j’avais besoin de m’évader, donc. Comment vis-tu ? Bien. Non. Je suis amoureux, donc ça va. Je vis difficilement, socialement parlant c’est compliqué. Mais je suis amoureux, donc tout va bien. C’est comme s’il n’y avait pas d’horizon. Heureusement que je me bats avec le groupe parce que sinon je ne vois pas ce que je pourrais faire de ma putain de vie. Le combat me permet de vivre. Dans dix ans tu te vois comment ? J’aimerais être marié avec le même homme. Sinon avec d’autres. Si tu devais changer quelque chose dans ta vie ce serait quoi ? Le sida. Le virer. Et peut-être me réformer, moi, ou me reformer. Je ne sais pas. Je ne me suis jamais aimé, en fait. Je me suis toujours donné des objectifs qui me paraissaient impossibles pour continuer, pour aimer. C’était toujours les plus beaux, les plus forts. Ceux qui me paraissaient le contraire de moi. Tant que je n’avais pas, je me battais. Et quand j’ai, je garde. Qu’est-ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Fais tout pour ne pas devenir séropo. Le combat, c’est trop dur. Le sida ce n’est pas seulement une maladie, ça te prend la tête. Ça te bouffe de partout. Protège-toi, et ne crois pas en la sincérité des unions, ce n’est pas parce que tu es, vis avec, que l’amour te préserve. Les liens du mariage, je n’y crois pas. Ce n’est pas un préservatif, alors prudence. Si t’as envie d’avaler des tonnes de gélules et d’être sur les chiottes trois heures par jour, sois séropositif, gerbe et sois malade.