Jacques Chirac a aujourd’hui beaucoup insisté sur la solidité d’UNITAID. Il a notamment déclaré durant la conférence de presse de lancement qu’UNITAID « est un financement innovant spécifique reposant sur des contributions prévisibles ». Act Up-Paris rappelle que la Grande Bretagne vient d’annoncer que sa contribution à UNITAID ne passerait pas par un nouveau mécanisme et ne serait pas donc pas davantage prévisible. C’est une des nombreuses limites de l’initiative que nous détaillons ici pour exiger davantage de sérieux et de transparence.
Garde-fous
L’objectif principal donné à UNITAID consiste à faire baisser les prix des articles médicaux permettant de soigner les malades : tests diagnostiques et médicaments. Pour Act Up-Paris, cet objectif répond à un besoin hautement urgent. En effet, les prix des traitements et des tests diagnostiques restent aujourd’hui prohibitifs pour l’essentiel des malades du sida de la planète – les 95% d’entre eux et elles qui vivent dans des pays pauvres.
C’est pourquoi Act Up regrette que la France et les autres gouvernements impliqués dans UNITAID ne se donnent pas tous les moyens concrets d’atteindre cet objectif ambitieux.
En effet, il subsiste un risque important que l’argent d’UNITAID soit rapidement détourné, du fait que la France et les autres gouvernements refusent pour l’instant de garantir un haut niveau de transparence d’UNITAID dans l’utilisation des fonds[[La transparence quant à l’utilisation des fonds est aujourd’hui reconnue comme le moyen le plus efficace de prévenir les malversations. Ainsi, le Fonds mondial a réussi à limiter considérablement les cas de détournements des subsides qu’il verse aux pays en développement, en publiant sur internet non seulement ses propres comptes, mais aussi ceux des institutions nationales qui reçoivent ses subsides et sont chargées de les dépenser localement. C’est ce principe de publication en ligne qu’Act Up, Gestos (Brésil), Oxfam (Grande-Bretagne) et Sidaction demandent au gouvernement français d’appliquer à UNITAID afin d’empêcher les détournements.]]. Depuis avril dernier, les gouvernements d’UNITAID s’obstinent à exclure des documents fondateurs d’UNITAID divers garde-fous demandés par des associations comme Gestos (Brésil), Oxfam (Grande-Bretagne) et Sidaction, dans le but entre autres d’empêcher les détournements que des initiatives de ce genre ont pu connaître.
Des garde-fous sont urgemment nécessaires pour pallier d’autres dangers que les détournements : danger qu’UNITAID serve d’excuse pour couper l’aide que les pays pauvres sont censés recevoir ces prochaines années[[Depuis la conférence de Barcelone de mars 2002, la France et la Grande-Bretagne se sont engagées auprès des pays en développement à doubler d’ici 2012-2013 le montant de leur aide publique au développement. Les pays en développement comptent sur ces sommes. Or, il apparaît aujourd’hui que la France et la Grande-Bretagne comptent baisser ces aides d’autant que ce qu’elles mettent dans UNITAID, reprenant ainsi d’une main ce qu’elles donnent de l’autre.]] ; danger que l’aide offerte par UNITAID perde sa précieuse prévisibilité au nom de la raison diplomatique[[La principale valeur ajoutée d’UNITAID est de disposer de revenus provenant d’une taxe spécifique, et donc prévisibles à long terme. Par contraste, les revenus du Fonds mondial proviennent de contributions budgétaires annuelles qui peuvent s’arrêter n’importe quand, exposant ainsi les pays pauvres à se retrouver sans médicaments du jour au lendemain. UNITAID peut sécuriser ce risque, et ainsi encourager les pays pauvres à universaliser l’accès aux médicaments. Mais la France s’est dite prête à accepter que la Grande-Bretagne contribue à UNITAID de manière budgétaire et instable si cela lui permet d’éviter de se retrouver unique contributeur riche à UNITAID.]] ; et danger qu’UNITAID serve à financer des actions hautement médiatiques mais faiblement utiles[[Depuis avril 2006 les 5 gouvernements ( insistent pour que les femmes enceintes bénéficient prioritairement des médicaments VIH bon marché d’UNITAID, alors que les experts de l’OMS disent clairement que le prix des médicaments n’est pas la raison pour laquelle les femmes enceintes des pays pauvres n’ont pas accès. Les experts expliquent que plusieurs médicaments VIH destinés au femmes enceintes sont déjà gratuits, mais que les femmes rurales n’y ont pas accès car personne ne veut payer le salaire des médecins et pharmaciens de campagne. Pourtant les gouvernements d’UNITAID ignorent les réserves des experts, et insistent pour subventionner les médicaments destinés aux femmes enceintes. D’après les informations d’Act Up, les gouvernements seraient convaincus que les femmes enceintes sont plus « vendeuses » auprès de l’opinion publique.]].
Act Up-Paris apelle la France et les autres gouvernements impliqués à intégrer urgemment les garde-fous demandés par les associations. Act Up se félicite toutefois de ce que le garde-fou demandé pour garantir la capacité d’UNITAID à faire baisser les prix malgré les monopoles pharmaceutiques a été intégré dans la Constitution d’UNITAID diffusée le 1er septembre (il s’agit du recours aux licences obligatoires lorsqu’un brevet vient à bloquer la baisse des prix).
Cache-misère
Malgré les aspects prometteurs d’UNITAID, cette initiative ne doit pas servir de diversion, et faire oublier que la France a déjà pris d’importants engagements financiers en matière de lutte mondiale contre le sida – engagements qu’elle ne respecte toujours pas, même en comptant UNITAID.
Le 27 juin 2001, à l’ONU, la France et les autres gouvernements du monde avaient pris l’engagement de mobiliser 10 milliards de dollars annuels avant 2005, afin de mettre en œuvre un plan mondial de contrôle de la pandémie du sida. Mais, ces subsides n’ayant pas été versés, l’épidémie a continué de progresser, si bien que, d’après l’ONUSIDA, arrivés en 2007 ce ne sont plus 10 mais 18 milliards qui sont nécessaires pour juguler la pandémie[[Rapport Ressource Needs, ONUSIDA, Août 2005.]]. Malheureusement, la communauté internationale sera encore bien loin de cette somme l’année prochaine : seuls 10 milliards de dollars sont attendus pour 2007, selon l’agence onusienne.
Or, la France a prévu de contribuer en 2007 par la voie budgétaire 250 millions de dollars[[D’après le ministère des Affaires étrangères, la contribution budgétaire 2004 à la lutte mondiale contre le sida s’élève à 120 millions d’euros. En 2007, elle augmente par rapport à 2005 de 90 millions d’euros (entièrement à travers le Fonds mondial, qui recevra aussi, en plus de ces 90 millions d’euros pour le sida, 60 millions d’euros pour le paludisme + la tuberculose). Ainsi, le total 2007 s’élève à 210 millions d’euros, soit 250 millions de dollars.]], soit seulement 1,5% des 18 milliards nécessaires. Pourtant, la part de la France dans le PIB des pays riches est 4 fois supérieure à ce chiffre : 6% selon l’OCDE[[ « Gross Domestic Product, Main Economic Indicators », March 2006, OECD.]]. Et même en ajoutant la taxe sur les billets d’avion (250 millions de dollars en année pleine, selon le ministère des Affaires étrangères), la France va rester loin derrière la Grande-Bretagne, pays équivalent qui contribue pourtant déjà 900 millions de dollars par an à la lutte mondiale contre le sida[[ « Taking Action – The UK’s strategy for tackling HIV and AIDS in the developing world », July 2004, DFID (foreword by Tony Blair).]].
Act Up-Paris appelle donc Jacques Chirac à inscrire au budget 2007 de la France une contribution à la lutte mondiale contre le sida qui soit proportionnelle à sa richesse (6% de 18 milliards). Prenant en compte le prochain changement de gouvernement, Act Up-Paris appelle aussi le Parti Socialiste et l’UMP à se prononcer publiquement en faveur d’une contribution 2007 de la France à la lutte mondiale contre le sida qui soit proportionnelle à sa richesse, et au moins égale à celle de la Grande-Bretagne.