Il faudra qu’un peu de temps passe pour se rendre compte si la 16ème conférence sur le sida qui s’est tenue du 13 au 18 août 2006, à Toronto marquera les esprits. Mais elle le mérite. Cette conférence fut certainement celle d’un changement important tant dans le contenu de la conférence que dans les idées apportées par les milliers de personnes présentes.
Ambiance
Toronto fut la plus grande conférence mondiale de lutte contre le sida, une conférence où le monde entier s’est réunit, où on a pu ressentir l’abolition des frontières et des ségrégations traditionnelles. Des régions comme l’Europe de l’Est, l’Asie centrale, etc, étaient représentées, un peu nouvelles dans l’épidémie, ce qui donnait une dimension encore plus mondiale à cette conférence qui dans les années précédentes se limitait plutôt à l’occident et à l’Afrique. Les activistes et les personnes atteintes ont probablement été représentés comme jamais dans le programme de cette conférence. C’était d’autant plus sensible, qu’outre dans les couloirs, c’était aussi vrai dans les quatre plénières : Afrique du Sud, Jamaïque et Kenya. Il est important de voir en plénière des personnes du milieu associatif ou des personnes concernées présentes pour expliquer ce qu’on a manqué dans l’épidémie. Le thème de la plénière était sans équivalent jusque-là : « Passer aux actes : le prix de l’inaction ». Le débat avec la salle remplie de milliers de participantEs fut rare : devant les accusations étayées formulées contre les dirigeants de la Chine et de l’Afrique du Sud par les activistes sur scène, des représentants officiels sont venus tenter de répondre aux micros dans la salle. Le monde à l’envers, en quelque sorte. Une des rares plénières où personne n’est parti avant la fin. Mais alors que faut-il de plus pour « passer aux actes » selon le mot d’ordre de Toronto ?
La question centrale aujourd’hui n’est plus en tant que telle les traitements mais plutôt l’accès à ces traitements. En allant plus loin ce qui choque aujourd’hui c’est l’augmentation du nombre de séropositifs. Cette augmentation incessante du nombre de séropositifs implique donc que l’on cherche à endiguer cette évolution. Un des thèmes centraux de cette conférence a donc concerné la prévention, par la promotion de l’information et du préservatif mais par l’accès aux traitements. Plusieurs présentations ont montré que l’arrivée des traitements dans un pays, implique une diminution globale de la charge virale et produit une forte réduction du nombre de contaminations. De plus, faire entrer les personnes dans un cadre de soin c’est aussi introduire une prise en charge psycho-sociale qui les sort de situations de stigmatisation, permet de faire du conseil et contribue à l’évolution des comportements préventifs.
Les informations disponibles durant cette conférence sont présentées ici de façon bien succinctes. Pour entendre et voir quelques interventions, avoir les références exactes, il est possible de se rendre sur le site de la conférence
Biologie et pathogenèse
Les nombreux travaux présentés montrent la vivacité de la recherche fondamentale, qu’on peut classer selon trois thèmes :
– comment l’activation immunitaire contrôle la maladie VIH : diverses présentation ont abordé la relation entre progression et susceptibilité à l’infection ; ces connaissances ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche vaccinale.
– le développement d’un vaccin contre le VIH : divers travaux sur les épitopes vaccinaux, sur les immuno-stimulants ainsi que sur les vecteurs ont été présentés.
– les travaux de virologie : de nouveaux résultats sur les défenses virales contre les mécanismes antiviraux cellulaires.
Recherche clinique, traitements et soins
La question de l’observance a été le sujet de nombreuses présentations. La preuve formelle a été apporté dans les essais cliniques que le succès des traitements ne connaît ni couleur de peau ni continent. Pour les 1 650 000 de personnes qui reçoivent aujourd’hui un traitement antirétroviral dans le monde, l’observance est bien meilleure chez celles qui ont l’accès le plus difficile et dont les résultats sont souvent meilleurs aussi : elle est en moyenne de 77 % en Afrique alors qu’elle ne dépasse pas 55 % en Amérique du Nord. Autre thème traité : la simplification des traitements : une étude sur le Kalétra® en monothérapie a été présenté et conclue que ce traitement simplifié est intéressant et sûr pour environ 85% des personnes mais il reste à déterminer clairement les critères qui permettent de s’assurer du succès et surtout on ne peut se lancer sans déterminer les 20% pour lesquels cela risquerait de s’avérer dangereux. Les résultats de SMART sur les interruptions de traitements montrent que pour le moment il faut enterrer cette possibilité.
Sur la question des réservoirs, il a été rappelé qu’une des raisons pour lesquelles les trithérapies ne permettent pas l’éradication du virus, c’est qu’il existe des cellules réservoirs qui stockent le virus. Plusieurs pistes sont explorées, comme l’acide Valproïque, pour réactiver des cellules dormantes porteuses du virus et réduire avec les antirétroviraux l’ensemble des cellules infectées. Effectuée sur peu de personnes, ces études sont particulièrement intéressantes car elles montrent que l’on travaille aussi sur d’autres manières de chercher à soigner mais elles sont tout aussi inquiétantes car l’on travaille sur l’activation ou la désactivation des gènes de nos cellules.
D’autres pistes comme la nouvelle antiprotéase, le TMC 114 semble bien partie pour être rapidement sur le marché et présenter une bonne efficacité. De la même manière, on devrait avoir bientôt des inhibiteurs d’intégrase, comme le MK0518, pour lesquelles des résultats préliminaires ont été présentés. Cette toute nouvelle classe de médicaments présente un véritable intérêt pour le futur, mais n’en est qu’à la phase II, elle bloque un gêne particulier du virus qui permet l’action de l’intégrase. Comme c’est une fonction nouvelle, les virus devenus résistants aux autres produits ne devraient pas présenter de mutations résistantes à ce nouveau médicament. En ce qui concerne les nouvelles pistes, les anti-CCR5 semblent mal partis et ne devraient pas devoir déboucher sur un médicament particulièrement intéressant. Les inhibiteurs de maturation sont à un stade préliminaire de travail. À propos des traitements pédiatriques, il a été montré que le traitement de l’enfant dans les pays du Sud n’est envisageable que si l’on fait aussi bénéficier toute la famille de traitements. Mais le constat général est que trop de personnes, adultes et enfants, arrivent tardivement au traitement. Le traitement pour tous ne sera possible que s’il y a des soignants pour tous.
Epidémiologie et recherche en prévention
Les chiffres connus de l’épidémiologie mondiale laissent entrevoir une diversité de situations critiques localisées sous forme d’épidémies locales à croissance rapide : les usagèrEs de drogues en Europe de l’Est, les usagèrEs de drogues et les homosexuels en Asie du Sud-Est, les hétérosexuelLEs en Inde et en Afrique du Sud, les homosexuels chez les jeunes afro-américains aux Etats-Unis. Mais d’autres constats sont aussi alarmant telle cette hausse de la prévalence en Ouganda où l’on a atteint une incidence de 4/1000, pays qui a pourtant pris tôt les mesures contre l’épidémie. Devra-t-il regretter d’avoir été le grand défenseur du système ABC ? (Abstinence – Be faithfull – Condom, et en français « abstinence, fidélité et préservatif »).
Mieux comprendre le fonctionnement de la prévention passe par l’analyse des différents niveaux du risque :
– au niveau Tissu/cellulaire (exemple, la mutation delta 32) ;
– au niveau individuel (exemple, l’usage de préservatifs, la circoncision) ;
– au niveau communautaire (exemple, l’accès à la santé, la pauvreté) ;
– au niveau du pays (exemple, une législation répressive des travailleurSEs sexuelLEs) ;
– au niveau mondial (exemple les accords TRIPS).
La dichotomie qui a longtemps prévalu entre la prévention et les traitements s’est révélé être une erreur. La prévention, ce n’est pas seulement le conseil et le test VIH mais aussi l’action en direction des séropositifVEs. Ainsi au Botswana, l’accompagnement des consultations par une approche de prévention a permis d’obtenir 67 % d’augmentation de l’utilisation des préservatifs chez les personnes suivies.
Plus généralement, une intéressante étude présentée montre le gigantesque effort nécessaire en matière de prévention puisque, à l’échelle mondiale, 0,2 % des adultes seulement ont accès à un test de dépistage, 4 % des usagèrEs de drogue ont accès à un programme de réduction des risques, 8 % des femmes enceintes bénéficient d’une méthode de prévention de la transmission mère-enfant, 11 % des homosexuels sont concernés par les programmes de changement comportemental de même que 16 % des travailleuses sexuelles tandis que 21% de la planète seulement a accès aux préservatifs.
Car en effet la situation en ce qui concerne la prévention est particulièrement alarmante : 0,2 % des adultes de cette planète ont accès à un dépistage. 4 % des usagerEs de drogues ont accès à un programme de réduction des risques. 8 % des femmes ont accès à la technique de prévention de la transmission mère-enfant (alors que cette transmission s’élève à 30% et que l’on sait la réduire à 1 %). 11 % des homosexuels ont accès à un programme de changement comportemental.
16 % des femmes ont accès à des programmes de prévention. Surtout, on estime que 21 % seulement des personnes dans le monde ont accès aux préservatifs.
Autres moyens, autres intérêts
À côté des pistes traditionnelles de sensibilisation et de promotion des moyens de prévention classiques, des solutions nouvelles sont étudiées afin de tenter au moins d’endiguer la déferlante, quitte selon leurs partisans à ne pas être totalement efficace. Ce sont les microbicides, la circoncision, les traitements pré-exposition et les vaccins qui sont à l’honneur. Les traitements ne sont d’ailleurs pas oubliés dans ce contexte ; ils deviennent instrument de prévention tant par leur capacité à réduire sur le plan épidémiologique le risque de transmission mais aussi parce que l’accès aux soins devient l’occasion de faire mieux passer le message aux séropositifVEs. Les recherches en sciences sociales sont également de la partie, dénonçant enfin ce qu’on répète depuis si longtemps, que la marginalisation, la stigmatisation et l’exclusion des personnes séropositives comme des groupes de population les plus vulnérables et victimes de répression ouvrent un boulevard à l’épidémie. Bref, tous les thèmes qui nous sont si familiers se retrouvent au centre des préoccupations de la conférence mondiale. Pas étonnant dès lors que certains aient eu dans le rassemblement de Toronto une impression de pause de l’activisme.