Dans certaines conférences, ou revues scientifiques, des cas de démence sont à nouveau recensés. Nous avons décidé de nous plonger dans ce nouveau dossier au vu de l’expérience que nous a apporté les problèmes ostéo, cardio, et plus récemment diabéto. Ce n’est pas un sujet joyeux, ni positif, mais il nous semblait intéressant de mettre cette information à disposition de ceux qui veulent en savoir plus. Pour autant, ces pages sont à lire avec précaution en cas de moral peu solide.
Un problème émergeant…
Il y a une dizaine d’années s’intéresser au problème de la démence chez les personnes âgées vivant avec le VIH aurait semblé quelque peu incongru, car à cette époque, le VIH concernait presque exclusivement une population jeune. De plus, en l’absence de traitement efficace, l’espérance de vie des personnes atteintes était particulièrement réduite par rapport au reste de la population générale. En 2006, dix ans après l’avènement des multithérapies les choses ont bien changé. L’espérance de vie s’est considérablement accrue et certains ont déjà ou auront d’ici peu atteint la cinquantaine. Or, c’est une évidence, les soucis de santé que l’on a à 20 ans ne sont pas les mêmes que ceux rencontrés à 50 ou 60 ans. En particulier, lorsqu’on vieillit peuvent apparaître ce que l’on appelle des troubles neuropsychologiques – perte de mémoire, difficulté de concentration, ralentissement des gestes de la vie quotidienne. Il semble donc intéressant d’étudier l’apparition de ces troubles chez les personnes vivant avec le VIH. D’autant que le virus lui-même, mais aussi la prise d’un traitement puissant depuis un grand nombre d’années risquent de constituer autant de facteurs capables d’aggraver, voire d’être la cause des troubles neuropsychologiques plus souvent détectés chez la personne âgée. Ce dossier présente donc l’état actuel des connaissances en matière de troubles neuropsychologiques liés à l’âge et a pour but d’informer sur un aspect de la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH qui était encore marginal il y a quelques années mais qui, avec le vieillissement de la population séropositive pourrait prendre de l’importance.
Définition et épidémiologie
Historiquement, lorsqu’on s’intéresse à la répartition des personnes vivant avec le VIH en fonction de l’âge, on considère qu’elle est âgée lorsqu’elle a 50 ans ou plus. Ainsi, réparties, elles sont environ 10 %. Cependant, dans les pays occidentaux, l’usage systématique des multithérapies antirétrovirales amène à revoir cette distinction quelque peu arbitraire. Sous l’effet des traitements, on constate un allongement de la durée de vie. Par exemple, aujourd’hui aux Etats Unis, plus de 60 000 séropositifs ont plus de 50 ans et le chiffre des personnes ayant plus de 65 ans est passé de 1 000 à plus de 10 000 au cours des dix dernières années. Toujours aux États-Unis, les autorités prévoient que vers 2015 50 % des personnes vivant avec le VIH auront plus de 50 ans. On peut avoir été contaminé soit plus jeune soit depuis peu. Cette distinction a son importance, puisqu’elle peut avoir des implications en clinique et d’un point de vue du pronostic. Actuellement, la majorité des séropositifs de plus de 50 ans ont quasiment toutes été contaminées lorsqu’ils avaient entre 30 et 40 ans, ils sont donc en infection chronique engageant le pronostic vital et le plus souvent sous multithérapie depuis plusieurs années. Toujours aux Etats Unis, les personnes âgées vivant avec le VIH ont en moyenne 55 ans et sont contaminées depuis environ 12 ans contre 7 ans en moyenne pour les personnes ayant moins de 40 ans. De fait la durée moyenne de traitement par un inhibiteur de la transcriptase inverse est de 5 ans contre 2,5 ans pour les personnes plus jeunes. Les conséquences à long terme de l’infection chronique par le VIH et de l’exposition prolongée aux traitements sur le cerveau ne sont pas connues.
Troubles neuropsychologiques associés au VIH
La médecine reconnaît actuellement deux catégories de troubles (cognitifs en rapport avec la mémoire, l’apprentissage etc.) liés à l’infection par le VIH : la démence associée au VIH (DAV) et les désordres cognitifs moteurs mineurs (DCMM). Pour ces deux atteintes, les troubles cognitifs constatés sont tels qu’ils réduisent les capacités de la personne à effectuer ses activités quotidiennes et/ou son travail.
Avant l’utilisation systématique des multithérapies, jusqu’à 30 % des personnes au stade sida développaient une DAV ou un DCMM. Un déficit immunitaire important est un facteur de risque majeur pour ce type d’atteinte. Depuis l’avènement des antirétroviraux, une diminution globale de l’incidence de la DAV a été constatée. En revanche, il n’y a pas eu de changement dans la prévalence de la DAV, c’est-à-dire dans le nombre de malades atteints de démence à un moment donné dans la population séropositive. Par ailleurs, une augmentation de l’incidence des DCMM par rapport à la DAV a été observée. Actuellement, une proportion accrue des personnes chez lesquelles on diagnostique une DAV ont plus de 200 CD4/mm3. D’autre part, on constate parfois une amélioration incomplète des troubles neuropsychologiques après instauration d’une multithérapie. Le nombre d’encéphalites à VIH découvertes au cours d’une autopsie semble aussi d’après certaines études en augmentation. Malgré l’avènement des multithérapies, il semble donc que le cerveau demeure vulnérable et qu’un certain nombre de difficultés d’ordre cognitif puissent toujours être observées.
Chez la personne âgée…
Chez les séropositifs agés, les données épidémiologiques, mais aussi des recherches de fond ciblées, indiquent que le risque de développer une DAV est 3 fois plus élevé que chez les séropositifs plus jeunes. Cependant, on ne sait pas s’il s’agit d’un phénomène simplement additif ou en synergie entre l’âge et l’infection par le VIH. On ne sait pas non plus si l’infection par le VIH accroît le risque de survenue d’autres désordres neurodégénératifs liés à l’âge ou en accélère plutôt la survenue. Une telle relation ne serait pas surprenante car lorsque coexiste une atteinte neurodégénérative (attaque cérébrale, maladie d’Alzheimer) avec l’infection à VIH, on observe plus volontiers l’apparition des signes cliniques de la démence.
Démence et VIH, avant les trithérapies…
Les personnes atteintes d’une démence présentent ce que l’on appelle une altération des fonctions cognitives. Il s’agit notamment d’un temps de réponse plus lent et d’une lenteur accrue sur le plan psychomoteur : les gestes sont plus lents. On observe également une diminution de la flexibilité cognitive c’est-à-dire de la fonction mentale qui permet de changer de stratégie ou de passer d’une disposition mentale à une autre, particulièrement dans le cadre de la résolution de problèmes. La démence est source d’instabilité émotionnelle (c’est-à-dire de changements rapides et importants de l’humeur qui peuvent être suscités facilement et disparaître tout aussi rapidement) et peut provoquer une apathie, autrement dit une indifférence à l’émotion et aux désirs.
Cependant, l’introduction des multithérapies est à l’origine d’une modification des signes cliniques caractéristiques de l’altération cognitive précédemment décrits. On observe ainsi plus fréquemment des atteintes cognitives modérées. Afin de tenir compte de ces changements, les cliniciens ont défini 3 sous-types de DAV : chroniques progressives, non progressives et actives.
Marqueurs biologiques de la démence
Les marqueurs biologiques utilisés par le passé pour caractériser la DAV, notamment le taux de CD4, ont été progressivement abandonnés alors que d’autres, classiquement utilisés dans la maladie d’Alzheimer, semblent émerger. Parce que la sévérité de la DAV est généralement modérée, l’utilisation de tests neuropsychologiques semble plus appropriée. Ces tests permettent d’établir une gradation dans la gravité des troubles qui peuvent être : inexistants, mineurs, modérés ou sévères. Cette stratégie est importante car il faut se souvenir que même lorsqu’ils sont mineurs, les troubles cognitifs peuvent constituer un risque en termes de progression de l’infection par le VIH, d’adhérence au traitement – particulièrement chez la personne âgée – et de survenue d’une encéphalite (affection cérébrale de caractère inflammatoire).
Particularité de la démence associée au VIH
Au contraire de la plupart des autres démences, la DAV se caractérise par la gravité des symptômes (troubles de la mémoire, gestes ralentis, apathie, etc.) qui varie au cours du temps. Cette particularité s’explique par le fait que les troubles cognitifs observés sont probablement le reflet de processus inflammatoires qui eux-mêmes fluctuent au cours du temps sous l’influence de facteurs tels que la charge virale, l’adhérence au traitement, le type de traitement et sa toxicité.
Importance de la reconstitution immunitaire
Avant l’avènement des multithérapies, un faible décompte de CD4 favorisait le risque de survenue d’une DAV. Certes, si depuis l’arrivée des traitements les choses se sont améliorées, on constate aussi que le taux moyen de CD4 des personnes chez lesquelles une DAV est diagnostiquée a augmenté de façon importante. Si ce paramètre biologique est donc moins intéressant, en revanche, le nadir des CD4 semble être utile pour le diagnostic, tout au moins à court terme. Ainsi le nadir de CD4 est corrélé à certaines formes de polyneuropathies distales symétriques et de troubles cognitifs, mais seulement chez les personnes âgées vivant avec le VIH. Les polyneuropathies distales symétriques dont il s’agit se manifestent notamment par des crampes nocturnes des muscles situés aux extrémités, une impression de serrement ou de raideur ou une sensation de froid, avec ou sans fourmillements ou insensibilité des extrémités. Parfois, il peut s’agir de lancées aiguës fugaces, mais aussi de sensations de brûlures, avec intolérance des draps, qui caractérisent le syndrôme des pieds brûlants. Le nadir de CD4 semble particulièrement intéressant chez les personnes infectées avant l’apparition des traitements ou chez ceux pour qui le taux de CD4 est descendu très bas avant le diagnostic de l’infection par le VIH, deux situations plus fréquemment rencontrées chez les personnes âgées vivant avec le VIH.
Changement dans l’immunité au cours de l’âge
Il est possible que les changements dans la fonction immunitaire liés à l’âge puissent avoir une influence négative sur l’infection par le VIH. Avec l’âge la capacité de l’organisme à faire face à de nouveaux agents pathogènes (bactéries, virus) diminuent, et les lymphocytes T, responsables de la destruction des cellules infectées prolifèrent moins. Certains chercheurs pensent que l’immunosénescence (diminution des défenses immunitaires due au vieillissement) pourrait accélérer la progression de l’infection par le VIH chez les personnes âgées. Heureusement, l’impact global de ces changements pourrait être atténué par une meilleure adhérence aux traitements.
Oui mais ce n’est peut-être pas suffisant…
Il existe des preuves montrant que le système nerveux central est un compartiment spécifique du virus, comme le prouvent les profils de résistance aux antirétroviraux réalisés chez des personnes atteintes de démence. D’ailleurs la charge virale plasmatique n’est pas forcément le meilleur indicateur de l’exposition et de la vulnérabilité du cerveau au virus. Du fait de sa proximité, le liquide céphalorachidien dans lequel baigne le cerveau peut servir de marqueur pour étudier la vulnérabilité du cerveau. Ainsi, certaines études indiquent que la charge virale du liquide céphalorachidien pourrait refléter un risque de troubles cognitifs. Les implications cliniques sont immédiates, car même s’il n’est pas possible de mesurer le degré d’atteinte du cerveau par l’infection, mesurer la charge virale dans le liquide céphalorachidien peut être utile notamment chez les personnes dont les troubles cognitifs s’aggravent alors que leur charge virale plasmatique est contrôlée. Ce type de situation peut orienter vers une meilleure approche thérapeutique, car certains antirétroviraux sont plus efficaces au niveau du système nerveux central.
Pour autant, on ne sait toujours pas si un traitement caractérisé par un profil de pénétration élevé au niveau du système nerveux central doit être systématiquement prescrit. En revanche, en se fondant sur les études existantes ainsi que sur des cas cliniques répertoriés, il semble que le choix du traitement antirétroviraux doit être effectué au cas par cas et guidé par la mesure de la charge virale dans le liquide céphalorachidien. Il faut insister sur le fait que ce type de démarche ne s’applique qu’à des situations bien particulières et ne doit en aucun cas constituer la règle pour une prise en charge «standard». Effectivement, la mesure de la charge virale dans le liquide céphalorachidien est un examen délicat qui requiert une anesthésie locale. Le liquide céphalo-rachidien, quelques millilitres sont ensuite prélevés par ponction au niveau des vertèbres lombaires à l’aide d’une aiguille à ponction lombaire.
Neurotoxicité des multithérapies
La neurotoxicité de certains antirétroviraux est clairement démontrée, surtout pour les molécules déjà anciennes, les médicaments nouvellement mis sur le marché étant a priori moins toxiques. Cependant, les séropositifs ont pu prendre des antirétroviraux de neurotoxicité importante. D’autres doivent continuer à utiliser ces molécules car porteurs d’un virus résistant, les alternatives thérapeutiques qui s’offrent à eux sont limitées. De fait il est possible, mais cela reste à démontrer, qu’un traitement à long terme chez une personne vulnérable, par exemple âgée, expose à des troubles cognitifs.
Une attention particulière doit être portée aux changements métaboliques induits par les traitements. Les troubles lipidiques, l’intolérance au glucose ainsi que d’autres troubles métaboliques sont associés à la prise au long cours d’antirétroviraux et accroissent le risque cardiovasculaire général. Or, dans la population séronégative, ces facteurs de risque sont à l’origine d’accidents cérébrovasculaires et de troubles cognitifs. A ce jour, cette relation n’a pas été démontrée de façon univoque chez les séropositifs. Cependant, des modifications affectant la paroi des vaisseaux sanguins du cerveau ont été identifiées chez des personnes atteintes de lypodystrophie. De plus, le diabète – autre trouble métabolique – est lié à la DAV. Ces observations doivent conduire à une vigilance accrue.