C’est peut-être son fait le plus marquant, la 16e conférence internationale de lutte contre le sida laissait peu la place à l’expression de la colère. Pourtant, après 25 ans d’épidémie, l’ampleur de la catastrophe dépasse l’imagination. Plus de 46 millions de personnes vivent avec le sida dans le monde et au moins 25 millions de personnes en sont mortes, plus de 3,4 millions cette seule année 2005. Loin de régresser, l’épidémie continue de s’étendre à un rythme effarant. Les gesticulations de l’ONUSIDA qui affirmait, il y a quelques mois, que l’épidémie s’était stabilisée ne trompent personne. L’organisation internationale cherchait à rassurer les quelques pays qui contribuent maigrement au financement de la lutte contre le sida sur l’utilité de l’emploi de leur fonds. L’ONUSIDA restera une administration fantoche tant que les pays riches ne rechigneront à tenir leurs engagements pris en 2001 pour financer la lutte contre le sida au niveau mondial.
Avec plus de 6 millions de nouvelles contaminations par an, l’hécatombe ne suffit pas à contenir le développement de l’épidémie. Si l’accès au traitement dans les pays du Sud devient aujourd’hui en partie une réalité, il ne concerne toujours qu’une infime partie des malades. Chacun le sait l’enjeu est avant tout un enjeu politique et financier. Car cette épidémie n’est pas une fatalité, et cette conférence a été l’occasion de le rappeler avec force, elle pourrait n’être plus qu’un sale cauchemar si l’on mettait au moins en œuvre des moyens qui ont fait leurs preuves et qui sont à notre disposition aujourd’hui. Ces 3,4 millions de mortEs seraient des mortEs évitables sans les politiques commerciales meurtrières menées sur le front des brevets et des accords de libre-échange. Des mortEs évitables sans l’incurie des pays riches si peu prompts à tenir leurs engagements face à une épidémie dont ils savent pourtant qu’au-delà du désespoir semé, elle sera à l’origine de désordres géostratégiques mondiaux. Chaque année, le retard accumulé dans le financement de la lutte contre le sida augmente dramatiquement l’effort nécessaire pour juguler l’épidémie. Plus que jamais, la planète entière était au rendez-vous à Toronto. Douce illusion de croire que 27 000 personnes engagées à tous les niveaux du combat, recherche, médecine, travail social, activisme et personnes atteintes feraient basculer la planète. L’engagement politique, voilà ce qui manque une fois de plus à ce grand rendez-vous. Ni les incantations du comité d’organisation, ni les beaux discours des deux Bill (Clinton et Gates) ne seront capables de changer la décision du congrès et de l’actuel président américain de ne soutenir que des politiques de prévention puritaines basées sur l’abstinence. Pas plus n’influenceront-elles le président Poutine afin qu’il abandonne sa politique de lutte contre la drogue en Russie pour adopter les mesures de réduction des risques dans une région du monde où près de 80% des séropositifVEs se sont contaminéEs par usage de drogue. Aucun discours de Toronto ne fera frémir non plus un seul sourcil de touTEs les dirigeantEs politiques de ces pays qui continuent de discriminer les homosexuelLEs ou qui veulent criminaliser la transmission du VIH. Rien ne changera en matière de liberté de circulation pour les séropositifVEs. Et ce, bien que les chercheurSEs aient accumulé avec acharnement les preuves de l’inefficacité stupide de ces approches en matière de prévention. Parce que le sida est une épidémie politique, chaque année d’élection présidentielle représente pour nous, séropositifVEs, étrangèrEs ou minorités un enjeu fondamental. Nous n’avons jamais été dupes des déclarations tonitruantes de Jacques Chirac sur l’engagement de la France dans la lutte contre le sida ; elles ne pèsent pas grand chose rapportées à la réalité de son action. Mais le lourd silence sur le sida des prétendantEs à l’élection suprême est terrifiant. Il ne semble choquer personne comme si tout le monde s’était habitué à cet état de fait. Pour nous cette indécence est telle que nous avons un moment caressé l’idée de communiquer à l’occasion du 1er décembre sur une comparaison morbide entre les désastres du tsunami et les ravages de l’épidémie qui ne nous paraissait pas plus indécent. L’épidémie n’est pas une fatalité et c’est pourquoi le mot d’ordre que nous avons choisi à l’occasion de la manifestation organisée à l’occasion du 1er décembre est « sida : où sont les candidatEs ? ». Il y a des batailles à gagner à l’occasion de ces élections. L’engagement de la France et des pays riches dans la lutte contre le sida et contre les discriminations bien sûr, mais aussi plus directement en France pour nos vies. Après quatre années d’attaques répétées à l’encontre de l’accès aux soins des étrangèrEs malades, Nicolas Sarkozy est à nouveau à l’origine d’une circulaire qui vise à anéantir totalement les possibilités de régularisation pour les malades étrangèrEs ce qui les condamne à une mort certaine dans leur pays d’origine. La loi sur le handicap de 2005 qui prétendait améliorer les conditions de vie des personnes handicapées se révèle complètement inadaptée à la situation des malades atteintEs de pathologies lourdes et exclue la plupart des séropositifVEs de toute revalorisation de la prestation de compensation. Le numéro de décembre de la prestigieuse revue internationale AIDS est consacré à la publication de l’enquête VESPA. Cette grande étude menée sur un échantillon représentatif de 8 000 séropositifVEs suivis à l’hôpital en France démontre ce que nous affirmons depuis plusieurs années : nous sommes de plus en plus souvent confrontéEs à des situations de grande précarité et cette précarité s’aggrave avec la durée de la maladie. L’InVS s’apprête à publier des données indiquant clairement une reprise des contaminations notamment chez les gays. Pour autant les campagnes de prévention restent aussi pudibondes et si peu nombreuses. Financement international, droits sociaux, prévention, homophobie et droits des trans’, prison et séropositivité, étrangèrEs malades, recherche thérapeutique et accès aux soins : où sont les candidatEs sur tous ces sujets ? A l’occasion du 1er décembre 2006, Act Up-Paris publiera des mesures d’urgence pour lutter contre l’épidémie de sida. Face au mépris, face à la violence du sida sur nos vies, cette journée mondiale de lutte contre le sida n’a de sens que si dans chaque ville, des milliers de personnes sont dans les rues. C’est ensemble que nous pourrons donner quelque poids à ces revendications et faire en sorte que le sida redevienne l’enjeu politique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être en France. Rejoignez-nous pour notre manifestation de la journée de lutte contre le sida, qui se tiendra exceptionnellement le 30 novembre au soir, à 18h30, place de la Bastille.Venez nombreuxSES.