sida, envie d’en être ? À cette question, nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Gérald. Mise à jour du 7 février 2011 : Gérald Sanchez est mort du sida et du VHC le 7 février 2011. Nous republions dans l’Action 126, l’entretien publié en novembre 2006.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates. – Juillet 1962- Ma mère atterrit à Paris, je nais. – 3 ans- Elle rencontre mon beau-père à l’Ecole Normale et se marie. Donc fils de deux instits, j’habite dans mon école où mes parents exercent, à Nemours (77), je suis tête-en-l’air et déjà je plane dans ma bulle. – 14 ans- 1ère guitare. Des élèves que je retrouve au collège, ayant subi, plus jeunes, les nerfs de mon père, m’attendent à la sortie. En rentrant je le subis aussi. – 17 ans- Mais pourquoi les filles tombent amoureuses de moi ? Vive la forêt de Fontainebleau et mes premières pipes en stop. – 19 ans- Mes parents me font cadeau de la maison pendant l’été, sans être préparé à l’autonomie. Une éducation stricte. Pétards, premiers sniffs et shoots. Tournée des festivals pop. À la rentrée, ils me mettent à la porte. Rencontre avec Emmanuel, premier amant qui, quelques années plus tard, décédera rapidement du sida. Angoisse de mes premiers tests : séronég ! Éducation activiste dans la lutte antinucléaire. Découverte du catalogue psychotrope. 2 ans de prison pour escroquerie aux carnets de chèques échangés entre amis, la ruse du siècle, merci Mitterrand pour tes grâces, plus que 15 jours en prison à Fontainebleau ! ouffff ! – 23 ans- Les flics chassent l’héroïne en grande banlieue. – 25 ans- Passion pour le spectacle et l’éclairage. Je plaque amis et shooteuse, pour être éclairagiste à Paris. Découverte du milieu gay (saunas, backrooms et parcs). – 29 ans- Les VRP, la Mano Negra, Sylvie Joly, Philip Glass, les Voix Bulgares, etc. Rencontre de Vincent, deuxième amant -pédé-militant-anarco-libertaire. – 32 ans- Lolo, p’tit blond yeux bleus, je le connais depuis 5 ans, il m’ouvre son lit et son appartement pour 4 ans. 1ère relation amoureuse passionnelle, jusqu’à la dépression, puis les pratiques à risques. – 34 ans- Contamination VIH. On m’annonce aussi une coinfection par l’hépatite C, chronique, sûrement due au shoot. – 35 ans- Découverte du Prozac®, primo-infection sévère, 1ère trithérapie. Besoin d’aide. 1ère réunion à Act Up-Paris, pour un débat « la légalisation contrôlée des drogues ». – 36 ans- Rencontre de Pierrot, quatrième boyfriend, avec qui je vis 3 ans. Découverte du monde techno et de ses drogues, 1er Teknival, en bénévole de la mission rave de Médecins du Monde. – 37 ans- Salariat à Act Up pendant 4 ans, sur la coinfection VIH-hépatites et les drogues et leurs usages. – 39 ans- Drame de la cirrhose et traitement très lourd PEG-interféron-ribavirine en urgence. Infection, opération d’un pied, béquilles. Je tiens sept mois, pour un échec du traitement cité, un an et demi pour m’en remettre. J’en fais mon métier. No comment ! – 43 ans- DU « information et médiation en santé » à Paris VIII et à la Faculté de Médecine du Kremlin-Bicêtre. Premiers contrats de médiateur en santé, nouvelle profession pour les militants associatifs sur l’éducation thérapeutique. MSN et les chats gays, changement de mode relationnel. Énorme envie de me poser, après 25 ans de galère d’appart et d’aventures chez des amiEs! Merci. – 44 ans- Cet été, feux d’artifices et rencontres époustouflantes d’amis, d’amants diamants et de leur trésors : un dictionnaire et quelques photos acidulées. Fier d’être quadra pédé emmerdeur et heureux de vivre à la quête de scrountchs et autres synchros surprises. Si ton enfance était un arbre fruitier, ce serait ? Un mûrier. J’adore les mûres, à force de me les prendre. Tant pis pour les piqûres, on se fait mal et l’on s’éclate bien. Tu as eu une jeunesse alternative ? Non, une enfance très introvertie, enfermée dans un cadre trop rigide, que je ne sais pas dépasser, sauf excès d’adolescent plutôt underground-porteNawak et riche en expériences. Quelles drogues prends-tu aujourd’hui ? Très fier d’avoir découvert tant de plaisirs et d’ivresses, d’avoir su les goûter, en changer, puis abandonner la plupart pour ma santé, en commençant par la plus détestée de mes ivresses, l’alcool. Aujourd’hui, quelques pétards, accompagnés de très rares sniffs. Cette année, je me débarrasse de la plus addictive de toutes, la cigarette. La découverte de l’homosexualité ? Terrorisante. Pas de ça dans mon éducation et mon entourage. Double vie de chasseur vorace et charmeur asexué. C’est d’abord le spectacle, puis l’électrochoc de la séropositivité qui me pousseront à m’assumer et m’épanouir… mdr La réaction de ta famille ? C’est la maladie d’Emmanuel évoluant très vite qui me pousse à le dire publiquement. À 27 ans, je l’annonce à mes parents, la réponse de ma mère : « ça va te passer », celle de mon père : « je le savais, tu es dangereux ». Depuis on se voit beaucoup moins, mais j’ai su pardonner. Ma sœur, que j’adore, m’invite avec Vincent, qui me fait voir mes difficultés à m’assumer socialement. Quand la première fois as-tu entendu parler du sida ? Avant 1985 à la télé. Emmanuel reçoit une convocation suite à un don du sang, mon premier amant est fauché. Peux-tu nous parler de la découverte de la séropositivité ? La séropositivité d’Emmanuel, l’inoubliable dernière fois où on a fait l’amour, lui mourant. Son décès et celui de bon nombre d’amiEs de shoot. Je me suis toujours protégé me sachant chasseur et chassé. On ne nous apprend pas à quel point une déception amoureuse peut nous mener droit à la dépression et comment nos gestes habituels de prévention peuvent alors être très vite oubliés. Mon père en l’apprenant m’a dit : « Alors tu vois, je te l’avais dit, tu es dangereux, non ? ». Une injustice. J’ai payé très cher de n’avoir voulu aimer que comme je voulais, trop vite et très seul. Avant l’annonce de ta séropositivité, comment te protégeais-tu ? Et après ? Avant : ma meilleure amie s’en veut de ne pas m’avoir assez hurlé dessus pour mes IST récurrentes. 4 en 10 ans. Je suis 50/50 et toutes mes pénétrations ont toujours été protégées, sauf cette fois-là ! Après : pour les pipes, j’ai testé avec capote, jusqu’à arriver à y prendre un nouveau plaisir, je ne l’impose pas à mes partenaires. J’aime le sperme, j’aime sucer et me faire sucer, mais il ne faut pas confondre sperme et dentifrice ! Depuis, je continue à découvrir d’autres pratiques, bougies, fist, et le plaisir incroyable des gants avec une lubrification adaptée, à base de plusieurs types de gel. Tu annonces ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Non. Dans les rencontres de chasse, contrairement à ce qu’on croit, le langage n’est pas toujours verbal et permet de partager ce qui n’est pas négociable, rapports « SAFE only ». J’aime les jeunes, 20-25 ans. Je suis émerveillé, et je ne cesse de remercier ces jeunes inconnus qui ont appris le courage de demander simplement : « Et au niveau santé ? », avant qu’on s’entrelace. L’annonce de sérologie est une responsabilité à partager. Si on me le demande, je le dis. Ça s’est toujours bien passé au final, même si la 1ère fois, la réponse a pu être : « Ah non, je ne peux pas, ça me bloque ! », on s’est revus, on a rediscuté et finalement, cette première fut magnifique pour eux et moi. Merci à tous ces amants passés, présents et à venir, d’être vivants et beaux, et de rester intelligents. Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ? Ma 1ère trithérapie n’a duré que 15 jours, le temps de me détruire un peu plus le foie. Puis « bithérapie du tox », D4T-3TC pendant 2 ans, le temps de sortir de la dépression et de changer de médecin. Ça n’est qu’après que j’ai ressenti les effets secondaires, car en dépression, n’importe quoi est un effet secondaire. Aujourd’hui, je n’ai plus qu’une prise par jour ! Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? Étant usager de drogues, les médecins ont été tour à tour amis-ennemis parfois amants et même aussi injecteurs. Ça se passe trés bien. En tant que médiateur en santé, j’arrive à cette étape essentielle de la lutte contre le sida où des malades seront payés pour donner des cours en fac de médecine, toujours timide pour détruire cette peur du médecin, responsable de tant de dégâts. Je serai fier de les aider à ne plus avoir peur de « ces malades » ! Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité à ton entourage ? Accueillie par mes amiEs avec la chaleur et le soutien dont j’avais vraiment besoin. As-tu déjà souffert de discriminations ? La mienne ! Qui a été étonnement, la plus coriace, peut-être aussi celle de mon père, bref des comportements absurdes. J’ai toujours évolué dans des milieux militant sur la tolérance, même si l’homosexualité n’y avait parfois qu’une place un peu cliché. Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ? Pour moi, être malade chronique, ça a d’abord été se battre pour renoncer à ce plaisir pervers du gémissement maladif et plutôt me servir de ma propre lutte contre mes maladies pour en aider d’autres « bien portants très inquiets » ou des malades dans le déni ou en manque d’infos accessibles pour eux. Les premier pas de cette bataille, c’est réapprendre à s’aimer soi-même et malade, pour à nouveau mieux aimer les autres. Une seconde chance pour quelques zonards ! Comment vois-tu l’avenir moléculaire ? Il n’y a pas un « avenir moléculaire », mais une nouvelle science, la génétique, qui bouleverse la médecine. Le premier épisode passionnant, je l’espère, m’évitera une greffe du foie dans les 3 à 5 ans, et me replongera alors dans cette angoisse banale pour les quadras soucieux : « J’en ai encore pour combien de temps ? ». Comment vis-tu ? Je savoure une nouvelle énergie amoureuse qui m’aide à moins sombrer quand j’arrive à faire évoluer un domaine (logement, finance, profession, santé, etc.) pendant qu’un autre s’écroule. Je suis beaucoup plus solide et sûr de mes doutes. Mais je m’aime mieux. Avec cette attribution HLM que j’attends, mon « chez moi oublié », je pourrais enfin me replonger à fond dans ma vie et mes rêves, et reprendre ce à quoi j’ai renoncé à cause de mes maladies, la passion de la création et de ses artifices. Dans dix ans, tu te vois comment ? C’est paisible. Dans le spectacle, un régisseur, soixantenaire bourru, m’a convaincu que « chiant comme je suis », je ferais un grand-père génial. Grâce à lui, j’ai réalisé que j’ai un désir d’enfant, pour lequel je ne suis pas encore tout à fait prêt, wooooops … ;o)) Si tu devais changer quelque chose dans ta vie, ce serait quoi ? Gérer l’argent. Pour le reste, j’ai eu autant de plaisir que de douleurs, je les gère sans regret. Qu’est-ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Sur ma fiche de chat gay, j’avais écrit « séropo stabilisé ». 75 % des mecs qui viennent me brancher ne lisent pas cette fiche, préférant les photos. Y compris ceux avec qui je vais coucher, qui parfois la lisent après, de manière souvent douloureuse. S’ouvre alors cette discussion qui peut des fois nous apaiser. 90 % de ceux qui me désirent, et qui ont lu cette annonce de séropositivité, renoncent direct à tout échange sexuel. C’est aussi pour eux que j’ai fait ce choix d’affirmer ma séropositivité. Depuis deux ans de chat, je passe beaucoup de temps à expliquer que faire l’amour avec un séropo qui a le courage de l’afficher, c’est à son tour avoir le courage d’apprendre et de découvrir qu’il y a tellement de pratiques et de gestes dont on oublie l’importance et le plaisir. Trop de mecs ne pensent qu’à la pénétration, les pédés comme les autres, alors qu’il est simple de renoncer à une pratique pour en savourer dix autres, tout aussi jouissives. Aimons-nous comme des fous, comme des savants, comme des chiens, intensément et intelligemment.