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Du 12 au 16 novembre 2006 deux membres de la commission traitements & recherche suivaient les présentations du 8ème congrès sur les traitements dans l’infection à VIH qui se déroulait comme tous les deux ans à Glasgow, en Écosse. Petit tour d’horizon de ce qui a attiré notre attention.

Criminalisation

Cette petite conférence réunit un peu plus de 3 000 personnes, présente l’avantage de ne pas placer les sessions en concurrence. Toutes les présentations avaient lieu dans l’amphithéâtre central ; à l’unique exception, de celle qui proposait un état des lieux de la criminalisation de la transmission du VIH, programmée en même temps qu’une autre session le dimanche matin. Ce type de condamnation se multiplie partout dans le monde. Cette rigueur judiciaire est inquiétante : en Europe, sur 45 pays, 36 ont légiféré contre la transmission, et 21 présentent des lois très contraignantes ; les peines allant de 1 à plus de 30 ans de prisons, pour une moyenne située entre 1 et 10 ans. Seule l’Allemagne a fait marche arrière en juin 2005 en admettant qu’une législation spécifique sur le VIH desservait les efforts de santé publique. Car, en effet, un tel cadre juridique laisse un faux sentiment de sécurité (« c’est punissable, donc mon partenaire ne prendra pas le risque de me contaminer ») et provoque par la même occasion une baisse des dépistages (« je ne connais pas mon statut donc on ne pourra pas m’accuser de transmission volontaire ou d’empoisonnement »).

Une des présentations intitulée « pourquoi la loi de criminalisation est mauvaise pour votre santé » en énumarait les principales raisons :
– Une loi ne peut gérer la complexité des cas : transmission sexuelle, partenaires informés, mensonges, ignorance du statut, rupture du préservatif, transmission de la mère à l’enfant, etc…
– L’impact est négatif sur la question de la responsabilité partagée, même si ce concept a des limites évidentes, notamment au sein des couples.
– Comment s’intègre l’utilisation du préservatif dans un cadre législatif ?
– Les conditions de détention ne permettent pas une prise en charge médicale efficace de l’infection à VIH.
– Il n’existe pas de principe de punition égale pour des situations égales.

Cette criminalisation symbolise l’échec de la société à reconnaître la nature profonde de cette maladie, et celui gouvernements à investir dans la santé publique et le bien être des citoyens. Elle traduit la volonté d’imposer des valeurs morales à la majorité. La transmission du VIH relève en réalité de la responsabilité partagée et de la responsabilité collective. Les résultats de l’enquête Vespa rappellent que les transmissions sont beaucoup plus rares chez les personnes qui se savent séropositives que chez celles qui ignorent leur statut. Un argument qui contrecarre les bien-pensants avides d’enfermer tous ces empoisonneurs potentiels.

En Angleterre, un jugement a provoqué effroi et stupeur : le fait que l’accusé ait utilisé un préservatif fut un argument à sa charge ; pour la partie adverse, cela signifiait qu’il pouvait se savait potentiellement contaminant… C’est absurde.

Les femmes

La conférence de Glasgow a également permis d’obtenir quelques réponses sur la question des femmes.

– En général, les femmes sont moins sujettes à des élévations de triglycérides que les hommes (7 % contre 25 %). Une étude allemande a voulu tester ces différences sur les personnes séropositives, et a comparé les taux de triglycérides de 163 femmes séropositives et 467 hommes séropositifs. Résultat : les femmes séropositives, sous antirétroviraux et naïves de traitement ont des taux de triglycérides plus élevés que les femmes séronégatives (20,4 % et 29,7 % versus 7 %) ; il existe également des différences significatives sur les taux de cholestérol HDL, mais pas pour le cholestérol LDL ; les femmes séropositives sous traitement ont, par ailleurs, des taux de triglycérides plus bas que les hommes séropositifs.

– En parallèle, une étude espagnole évaluait les facteurs de risque cardio-vasculaires sur les 548 femmes de la cohorte Vach (3500 participants) : les femmes séropositives présenteraient un risque plus élevé que la population générale de développer des problèmes coronaires, mais plus faible que les hommes séropositifs. Près de 9 % des femmes se positionne dans la première catégorie en termes de risques cardio-vasculaires. De plus, une autre présentation rappelait que, chez les femmes, le risque de développer des problèmes cardiovasculaires augmente fortement après 5 ans de traitement, pour alors rejoindre celui des hommes ; alors qu’auparavant, sans traitement, il en est très éloigné (grâce à la protection naturelle qu’ont les femmes, jusqu’à la ménopause, contre les problèmes cardio-vasculaire).

– Par contre, une petite étude qui comparait 9 hommes et 11 femmes sur le métabolisme du Kalétra en prise quotidienne n’indique aucune différence significative entre les sexes.

L’une de nos revendications concernant les femmes porte sur les interactions entre pilule contraceptive et antirétroviraux. Sur ce sujet, un poster a été présenté par une équipe belge qui a étudié chez une trentaine de femmes séronégatives, les interactions entre le TMC 125 et la pilule contraceptive Ortho-Novum®. Les deux molécules testées utilisent les mêmes cytochromes pour être métabolisées. Le but de cette étude était de voir si l’une pouvait interagir avec l’autre et vice versa. Les participantes ont pris la pilule pendant 3 cycles de 28 jours et le TMC 125 a été pris pendant les 15 premiers jours du 3ème cycle. Les analyses ont montré que le TMC 125 n’interagit pas avec la pilule contraceptive ; sa concentration ayant certes légèrement augmenté par rapport aux résultats obtenus sur des hommes, mais sans conséquence clinique. On note cependant l’incidence plus élevée de rash chez les participantes séronégatives par rapport aux séropositives. Les chercheurs rappellent également qu’une prescription simultanée des molécules est possible sans changement de dose.

Par ailleurs, on sait depuis longtemps que les femmes ont des charges virales plus basses que celles des hommes, surtout si elles ont beaucoup de CD4. Il est donc important de surveiller attentivement leur charge virale qui, avec le temps, rejoint celle des hommes malgré leur taux de CD4 plus élevé.

Enfin, une équipe espagnole qui étudiait les conséquences des thérapies hautement actives sur des femmes ayant des problèmes de fertilité (14 étant séropositives et 10 séronégatives) a conclu que les ovocytes des femmes séropositives sous traitement présentent un ADN mitochondrial affaibli (La fécondabilité d’un ovocyte humain est associée à la quantité d’ADN présent dans les mitochondries); ce qui pourrait expliquer cette baisse de la fertilité. Cette première et unique étude mérite d’être approfondie.

Effets secondaires

Plusieurs sessions de plénière ont fait l’état des lieux de pathologies associées au VIH : problèmes cardio-vasculaires, rénaux, de diabète, de répartition des graisses, co-infection VIH/hépatite.

Les problèmes des reins sont l’objet de plus en plus de présentations, tant en posters qu’en session plénière. Les recommandations reposent sur une surveillance attentive notamment par le contrôle du métabolisme et de la pression artérielle, car les problèmes rénaux touchent beaucoup de séropositifs et pas seulement en cas de prise de ténofovir (bien connu pour augmenter les taux de phosphate dans le sang). Si les traitements antirétroviraux (amprénavir, delavirdine, emtricitabine, indinavir) sont en cause, ils n’expliquent pas à eux seuls le problème. Et comme dans d’autres pathologies telles que le diabète ou les lipodystrophies, la prévention des problèmes rénaux est plus facile que leurs traitements. Le changement du traitement suspecté d’être à l’origine du problème est la base même d’une bonne gestion thérapeutique. S’il convient de bien définir les antirétroviraux néphrotoxiques (toxiques pour le rein) qui ne devront être utilisés qu’avec précaution, certains énoncent le besoin d’identifier les paramètres à regarder avant et pendant la mise sous traitement. En termes de prévention, on sait déjà qu’avant la mise sous antirétroviraux des analyses sont nécessaires (présence de protéines dans les urines, volumes des urines sur 24 heures, dosages sanguins et urinaire de l’urée et la créatinine, information sur les antécédents de la personne) ; de plus, chaque année, dans le suivi habituel, une attention doit être portée à ce sujet. Enfin, la mise sous antirétroviraux doit être faite avant une immunodépression trop sévère. En termes de suivi, le traitement antirétroviral doit être optimum, la pression sanguine et le métabolisme doivent être contrôlés régulièrement, les dosages des antirétroviraux doivent être ajustés et les molécules néphrotoxiques évitées.

La surveillance des problèmes rénaux est d’autant plus importante qu’ils peuvent interagir avec la minéralisation osseuse.

La toxicité de certains traitements est connu sur ces organes qui ont une fonction de filtre. Il ne s’agit pas des antirétroviraux, mais de traitements utilisés dans les pathologies liées au VIH : cotrimoxazole (antibiotique à large spectre), amphotericine B (candidoses, cryptococcose), sulphadiazine (toxoplasmose), ganciclovir (CMV, rétinite), foscarnet (CMV, herpès hépatite B), pentamidine (pneumocystose), cidofovir (CMV, rétinite), aciclovir (herpès) et rifampicine (tuberculose).

Les cas de diabète représentent à l’heure actuelle la partie émergée de l’iceberg. Une étude belge a recensé dans 11 cohortes, comportant au total 33 389 participants. 952 personnes ont été dépistées comme souffrant d’un diabète insulino-dépendant, soit 2,85 %. L’incidence du diabète est multipliée par 4 pour les séropositifs sous traitement (soit 4,7) contre 1,7 pour les séropositifs sans traitement et 1,4 pour les séronégatifs. L’effet de la stavudine (Zérit®) sur l’insulino-résistance est aujourd’hui confirmé. L’insulino-résistance est retrouvée chez 25 à 62 % des personnes sous multithérapies antirétrovirales. Nous y reviendrons dans le prochain numéro de Protocoles.
Plusieurs présentations ont eu pour sujet les transplantations (essentiellement celles de foie et de reins). On commence aujourd’hui a bien maîtriser l’acte chirurgical, le problème tient dans les suites opératoires. Le VIH n’est pas une contre-indication mais nécessite une approche multidisciplinaires et une évaluation prospective (sur ce sujet, nous organisons le 24 janvier prochain une RéPI sur les transplantation en cas de co-infection VIH/hépatite).

Concernant les problèmes liés aux lipodystrophies et plus particulièrement les méthodes de comblements des lipoatrophies, une présentation sud-américaine a permis de faire le point des produits existants, (photos assez spectaculaires à l’appui). Les produits utilisés se répartissent en 4 familles : le collagène, New Fill®/Sculptra®/Eutrophill®, CaHA®/Radiesse®/Aquamid®, et Bio alcamid®. A cette liste s’ajoute la technique d’auto-transplantation de graisse. Cette méthode permet de remplir les joues, mais aussi les tempes, les genoux, et les fesses et plus précisément en dessus, au-dessous et sur les côtés, des implants pouvant en plus être posés à l’intérieur. La graisse prise dans la bosse de bison ne tient pas, c’est donc la graisse viscérale et non subcutanée qui est recommandée.

Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour identifier les personnes à risques et pour définir le meilleur suivi des conséquences métaboliques des effets secondaires des analogues non nucléosidiques de transcriptase inverse et des antiprotéases ainsi qu’un meilleur suivi des toxicités rénales et osseuses associées au VIH et aux antirétroviraux.
Les malades qui commencent un traitement antirétroviral le prendront pendant plusieurs années. Les effets secondaires potentiellement irréversibles doivent donc être pris en compte dans la sélection initiale (et ultérieure) des molécules.

A retenir

La prise sur le long-terme de thérapies très puissantes n’est pas anodine pour les personnes vivant avec le VIH. Les effets secondaires sont lourds et peuvent être dangereux. Rien ne vaut la prévention. Une prise en compte en amont de certains paramètres peut améliorer la qualité de vie des malades mais également préserver leur santé. Si tout au long des séances de ce congrès, des recommandations ont pu être citées, souvent celles de l’OMS, parfois celles des USA ou de l’Angleterre, on ne peut que regretter que le travail réalisé par les experts français n’ait pas eu cet honneur. Citées une seule fois, elles dataient de 2002. Pour rappel, en 2004 et 2006 le travail de l’équipe du Pr Delfraissy puis du Pr Yéni a abouti à l’édition de deux nouveaux rapports et ces recommandations sont de grande qualité et vont dans le sens de préserver l’avenir médical des malades.