Compte rendu de la troisième journée de la CROI 2007 à Los Angeles rédigé sur place par deux militantEs d’Act Up-Paris.
La plénière du jour nous fait visiter la planète sida par deux extrémités que l’on pourrait croire si différentes mais qui révèlent finalement toutes deux les faiblesses des systèmes qui les gouvernent. D’une part, Mathias Egger nous propose une analyse comparée de l’utilisation des traitements entre pays du nord et du sud. D’autre part, Harold Jaffe propose un tour d’horizon du sida aux Etats-Unis. Dans un cas comme dans l’autre, la preuve est étalée, flagrante, que l’on aurait pu faire mieux sans un acharnement à ne pas remettre en cause les idéologies et les ordres établis.
Africa is burning
Mathias Egger égrène les données avec son calme et sa rigueur toute helvétique tandis que se déroule devant nous le résultat de ce que les difficultés à faire parvenir des traitements en Afrique ont produit. Son analyse est faite de la compilation de données d’innombrables études de cohorte issues de 42 pays et de 176 sites de recherche. Un site internet est en train de rassembler toutes ces données ainsi que de proposer une observation régulière du devenir des personnes sous traitement antirétroviral. C’est donc une vision du devenir des personnes en traitement dans le monde à laquelle nous sommes conviés. Mathias Egger commence par présenter les conditions dans lesquelles les séropositifs commencent un traitement. Le compte moyen de lymphocytes CD4 des personnes au moment de la mise sous traitement est de 164 au Canada, 187 aux Etats-Unis, 102 dans les Caraïbes, 150 à 180 en Amérique du Sud, 200 en Europe de l’ouest, 179 à l’est, entre 123 et 86 en Afrique, entre 163 et 57 en Asie. Si une moyenne proche de 200 est à peu près stable au fil des années dans les pays occidentaux, elle est passée de 50 en l’an 2000 à 100 en 2005 en Afrique subsaharienne. Ces valeurs nous montrent que partout au monde, les traitements sont démarrés trop tardivement si l’on se réfère aux diverses recommandations. Sans surprise, ils sont d’autant plus retardés quand on est dans un pays pauvre.
Pour ce qui est des médicaments, les traitements les plus utilisés en première ligne sont lamivudine-zidovudine-efavirenz en Amérique du Nord, lamivudine-zidovudine-kaletra en Europe, lamivudine-stavudine-nevrapine en Asie et en Afrique. Mais la diversité des combinaisons n’est pas du tout la même selon la disponibilité des traitements. Ainsi pour 90% des patients, on utilise 59 combinaisons différentes en Amérique du nord, 47 en Europe, 11 en Amérique du sud et 3 en Afrique et en Asie. Puis vient la question du suivi. En compilant les données de 16 programmes d’accès au traitement, le chercheur montre que 4% des personnes ne reviennent pas après la première visite et que ce sont jusqu’à 16% des patients qui sont perdus de vue au cours des 6 premiers mois de traitement. Ce nombre de perdus de vue augmente avec le temps ainsi que chez les personnes ayant un compte de lymphocytes CD4 bas.
La réponse au traitement ne diffère pas lorsque l’on compare une cohorte de 2000 patients africains avec la cohorte suisse pour ce qui est de la réponse initiale ainsi que sur les rebonds de charge virale. En revanche, le nombre de changement de traitements est deux fois moindre en Afrique. Les maladies opportunistes ne sont pas les mêmes et ne se présentent pas du tout avec la même incidence. Si les malades africains sont surtout atteints de tuberculose (25%), d’herpès (8%) et de cryptococcose (2,5%) les Suisses connaissent des maladies différentes et surtout à une incidence bien plus faible, tuberculose, sarcome de Kaposi ou rétinite à CMV sont toutes en dessous de 2,5%.
Enfin la question de la mortalité montre une différence certaine entre le nord et le sud. Les données d’une cohorte africaine comparées à la cohorte européenne ART montrent 14% contre 5% de mortalité à un an. Le risque de mortalité dans le temps est systématiquement supérieur dans la cohorte africaine lorsqu’on l’analyse en fonction du compte de CD4 : la mortalité à un an pour plus de 200 CD4 est encore supérieure à ce qu’elle est à moins de 50 CD4 dans la cohorte européenne. Une analyse de l’évolution dans le temps comparant des cohortes africaines à des données des pays industrialisés montre que la mortalité est environ 8 fois supérieure à un mois en Afrique, cinq fois à 4 mois, et reste à 1,5 fois supérieure au-delà jusqu’à plus de quatre ans. Elle est de 9 à 10% dans la cohorte africaine contre 0,25 à 5% dans les cohortes Europe Etats-Unis. Mais lorsqu’on normalise ces données en fonction de l’age, du sexe, du compte de CD4, de l’année et de l’état de la maladie, les valeurs africaines se confondent avec les données occidentales. Ceci confirme clairement s’il le fallait encore qu’il est possible d’obtenir les mêmes résultats en Afrique pour peu qu’on démarre les traitements plus tôt avec un suivi adéquat.
Le cauchemar américain
Quel défi pour Harold Jaffe que de venir présenter dans la conférence américaine sur le sida « l’état de l’Union » non pas sur le plan politique mais bien pour ce qui est de l’épidémie de sida. Est-ce par avance pour calmer les esprits qu’il plaisante sur son origine, la célèbre université anglaise d’Oxford dont il montre longuement une photographie des bâtiments du dix-huitième siècle, un peu comme pour installer son autorité et son indépendance tant le sujet pourrait prêter à la critique.
Le nombre de séropositifs cumulé estimé aux Etats-Unis est de 978.287 adultes et adolescents et de 9.089 enfants depuis le début de l’épidémie. Le nombre de décès cumulés est de 545.529 adultes et adolescents et 4.865 enfants. La réduction de la mortalité et le maintien de nouvelles contaminations fait que ce demi million de séropositifs est toujours en augmentation. L’analyse de ces malades par catégories montre d’une part que les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes reste prépondérante et d’autre part que plus de la moitié de ces personnes sont des afro-américains.
En matière de prévention, les études sur le comportement sont le fait du National HIV Behavioral Surveillance, le NHBS. L’orateur insiste particulièrement sur quelques points critiques : chez les gays, une étude sur 10.030 participants de 15 villes, réalisée entre novembre 2003 et avril 2005, montre que 47% des personnes interrogées déclarent avoir eu des relations sexuelles non protégées avec un partenaire habituel au cours des 12 derniers mois tandis que 11% ont eu des relations sexuelles non protégées avec un partenaire de statut inconnu récemment. La contamination de la mère à l’enfant a chuté drastiquement de 894 cas en 1992 à 58 cas en 2005. Harold Jaffe présente également quelques résultats sur la promotion du préservatif qui ne sont pas très significatifs, un peu comme si ce mode de protection n’intéressait pas les études américaines.
L’orateur tente d’explorer diverses interventions susceptibles d’infléchir la progression de l’épidémie. Il présente ainsi les résultats des essais de circoncision en Afrique dont on ne peut que saluer l’intérêt et s’empresse de préciser que leur application aux Etats-Unis n’est pas très claire. D’autres modes d’intervention doivent faire l’objet d’études et de résultats avant de pouvoir être mis en application comme les microbicides, les vaccins, les prophylaxies pré-exposition, la prévention des infections herpès et l’application des traitements antirétroviraux. Il aborde alors les questions susceptibles de faire polémique. L’échange de seringues et les programmes de réduction des risques ont eu un accueil assez limité aux Etats-Unis et selon les études réalisées elles ont aussi eu un effet non convaincant. L’autre sujet c’est le résultat des tentatives d’interventions sur le comportement et en particulier les programmes de promotion de l’abstinence comme exclusive méthode de prévention de l’infection par le VIH. Est-ce vraiment surprenant d’apprendre que ces méthodes n’ont pas montré de résultat significatif après 12 mois de suivi alors qu’elles ont coûté une fortune à l’état ? Dans le même registre, les résultats d’un programme d’éducation de la jeunesse à l’abstinence a eu pour seul résultat une réduction très temporaire de l’activité sexuelle.
C’est ainsi que Harold Jaffe tente de conclure cette présentation par un élan d’activisme extrême : il montre les images de Larry Kramer et de manifestations d’Act Up New York des années 80 en appelant à la responsabilité des dirigeants… Il rappelle que la santé publique est efficace quand elle a une solution simple et facile comme un vaccin qui protège. Lorsqu’elle n’a rien d’autre que le changement des comportements à opposer à une épidémie, il faut du temps et de l’acharnement. C’est pourquoi il conclue en citant Kevin de Cock : la santé publique est impuissante lorsqu’elle demande plus aux citoyens que ce qu’ils réclament pour eux-mêmes.
Le grand Barnum
La journée n’était pas finie pour autant. L’après midi de ce mardi fut consacrée à deux sessions sur la recherche vaccinale. Une manière pour les chercheurs de faire valoir le travail important que la recherche américaine réalise dans ce domaine surtout depuis le vote d’un budget sans précédent. Puis la soirée s’est installée avec la session tant attendue sur les nouveaux traitements. On s’y était préparé depuis le matin. La télévision était prévenue, les grands médias se sont déplacés. Le media center de la conférence n’avait jamais vu autant de monde travailler aussi fiévreusement. Dans les couloirs l’annonce avait circulé. A la conférence de presse quotidienne, John Mellors, coprésident de la conférence avait annoncé un événement exceptionnel « qui marquera les anales de la recherche sur le sida ». Et puis vers 18h, on a vu un mouvement général de tous les participants se diriger vers la grande salle de plénière. Il ne manquait plus que les trompettes de Jéricho pour ouvrir la séance : le géant de l’Industrie Pharmaceutique Pfizer va parler ! Le rendu des résultats intermédiaires des essais Motivate I et II est annoncé ! Chapeau bas ! Dans une ambiance d’annonce du Messie, les orateurs – ils sont deux – égrènent les données des essais du premier anti-CCR5, le maraviroc chez des patients ayant une forte expérience de traitement.
Certes, la réduction de charge virale, 1,03 log dans le bras placebo contre 1,82 à 1,85 log dans les bras de traitement est assez impressionnante, surtout avec le décorum et les courbes en cinq mètres de haut. Mais qui a vu ces résultats passés rapidement, dans lesquels on voit que les personnes chez qui les autres molécules du traitement sont toujours actives, le maraviroc ne rajoute rien contrairement à d’autres traitements ? Peu de gens sans doute, l’illusion est à son comble. L’empereur de l’industrie pharmaceutique a fait son show.
C’est une présentation des essais Benchmark I et II qui suit. Il s’agit des derniers résultats de l’anti-intégrase de Merck, le MK 0518 baptisée désormais Raltegravir. Voilà des résultats intéressants d’un nouveau produit qui promet de renforcer utilement la palette des traitements antirétroviraux. Pour ce produit aussi, l’étude faite chez des personnes ayant eu plusieurs traitements, la comparaison de l’efficacité selon le nombre de molécules encore active a été faite. El dans ce cas, même lorsque le traitement de base est encore totalement actif, le raltegravir rajoute de l’efficacité.
Il ne nous reste plus qu’une journée. D’autres travaux nous attendent demain, dont la présentation par Yves Levy des premiers résultats des essais de l’interleukine 7 que nous suivrons avec beaucoup d’intérêt.