Fin 2006, nous prenions connaissance du projet de réglementation des « programmes patients » et des implications que cela pouvait entraîner. L’état des lieux présenté ci-dessous peut inciter certainEs à se joindre à nous pour y travailler.
Tout comme pour apprendre à conduire une auto, il est évident que nous passons par différentes phases de conduite, puis d’amélioration, avant d’acquérir de réels automatismes, et d’être capables ensuite de copier des modes de conduite observés chez les autres. Nous nous apercevons, sur plus de dix ans, que nous avons su intégrer plusieurs stratégies de gestion, entre confort et sécurité.
Si la prise quotidienne d’un médicament est contraignante, les personnes n’ayant pas été confrontées à ce problème pendant au moins un an ont du mal à imaginer qu’il est loin d’être évident pour un malade chronique de devenir autonome dans la gestion de sa propre maladie. Face au VIH, c’est la dimension multidisciplinaire médicale qui nous impose l’effort majeur d’être à la fois le malade et le coordinateur des spécialistes qui nous suivent, qui sont parfois peu enclin au travail d’équipe. Nous devons apprendre et élaborer ensemble des recettes « à toutes épreuves » pour chaque étape de la vie, en y intégrant nos stratégies de fuite et d’évitement, mais aussi celles de nos soignants. C’est notre capacité à régulièrement nous auto-évaluer pour « corriger le tir », si nécessaire, qui garantira une autonomie dans le temps. En tant que malades, nous savons aujourd’hui encore à quel point rien n’est acquis pour toujours.
Apprendre à apprendre
L’éducation thérapeutique est un ensemble de pratiques visant à l’autonomie et la responsabilité du malade pour gérer sa maladie. Elle doit lui permettre également d’acquérir des compétences pour s’impliquer activement dans la prise en charge de sa maladie et le suivi au long cours de son traitement en partenariat avec les soignants. Elle ne se réduit donc pas à l’observance*, et doit être considérée comme faisant partie d’une éducation à la santé.
Elle s’adresse aux personnes atteintes de maladies chroniques et cherche à diminuer les risques de complications propres à la maladie et aux traitements prescrits, et surtout à éviter les hospitalisations coûteuses. L’éducation thérapeutique vise à rendre les malades capables de réagir précocément, d’améliorer le dialogue avec leur médecin, de lire leurs résultats d’analyse et d’assurer une adhésion étroite des malades aux diverses modalités du traitement et de la surveillance (prise de médicaments, suivi de régime, auto-surveillance de paramètres biologiques, examens, etc.).
Le secteur de la santé est unanime quant à la nécessité d’organiser l’éducation thérapeutique, pour quatre raisons : l’augmentation du nombre des maladies chroniques ; les problèmes d’observance des prescriptions ; une nouvelle attitude des malades face au personnel médical (demande légitime d’information, de compréhension, voire de participation aux décisions médicales), un accès facilité par internet à une information médicale qu’il faut donc souvent réévaluer.
Sur la planète sida
Pour le sida, l’éducation thérapeutique existe de fait, mais reste empirique. Mais, contrairement à l’asthme ou au diabète, il n’existe pas de document consensuel ou officiel définissant clairement ce que la communauté entend par « éducation thérapeutique », ou même l’observance (objectifs, contenu, mise en place, acteurs, etc.) et les pratiques diffèrent selon les équipes. Enfin, il existe différents «prestataires» : associations de malades, médecins traitants, personnel soignant dans le milieu hospitalier, associations spécialisées, médiateurs en santé, etc.
Avant l’arrivée des antirétroviraux, l’éducation thérapeutique consistait essentiellement à soutenir et accompagner les personnes mourantes. Fortes de cette compétence, les associations de malades ont pris le pouvoir et assuré des permanences d’équipes de bénévoles dans les services hospitaliers. La technicité nécessaire pour accompagner des traitements de plus en plus complexes, et la démobilisation des militants après le succès des antirétroviraux ont laissé à nouveau la porte ouverte au compassionnel. L’expertise de l’éducation thérapeutique par des malades et des proches a fait des progrès, mais moins dans le milieu hospitalier ou en ville, que dans les locaux des associations de malades. Alors que tous les acteurs sont convaincus de l’utilité de l’éducation thérapeutique pour les séropositifs, on se retrouve aujourd’hui face aux problèmes de la définition de recommandations spécifiques pour le VIH, de la création de formations diplômantes adaptées, et de l’organisation et de la réglementation de ces nouveaux métiers.
A ce jour, la question de l’éducation thérapeutique se pose avec acuité pour les personnes atteintes du VIH. D’abord, l’efficacité des antirétroviraux nécessite une observance draconienne ou au moins supérieure à 85 % des prises prescrites, sinon les difficultés d’observance peuvent favoriser l’apparition de souches résistantes aux traitements. Enfin, cette épidémie est un trottoir vers la précarité, imposant que la prise en charge médicale intègre les enjeux sociaux pour qu’un malade puisse le cas échéant retrouver son autonomie. Il semble que si la nécessité d’une véritable éducation thérapeutique concernant les personnes vivant avec le VIH soit reconnue par les pouvoirs publics, en revanche, les contraintes budgétaires les découragent de participer à l’élaboration d’une telle éducation thérapeutique ; aussi le rapport d’un groupe de travail sur l’éducation thérapeutique de la DGS ne mentionne-t-il pas une fois le mot sida ou VIH.
Une proposition, moultes réactions
Le projet de réglementation des « programmes patients » émane du cabinet de Xavier Bertrand, qui espère répondre discrètement par voie d’ordonnance[[Proposition inscrite dans le projet de loi n°3062 « portant diverses dispositions d’adapation au droit communautaire dans le domaine du médicament ».]] à la pression des laboratoires. En janvier 2007, les acteurs de la santé reçoivent le texte suivant :
« Article L.5122-17. Les programmes d’accompagnement des patients directement liés à l’utilisation d’un traitement médicamenteux nécessitant un geste technique pour son administration, financés directement ou indirectement par les établissements pharmaceutiques, ainsi que les documents et autres supports relatifs à ce programme, sont soumis à une autorisation préalable délivrée par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, après avis des associations de patients atteints de la pathologie concernée par le programme. Les modalités de désignation et de consultation de ces associations sont fixées par décret en Conseil d’Etat.»
Ce texte a fait l’objet d’une double critique des associations : sur la forme, puisque si le texte est adopté par ordonnance, il n’y aura pas de concertation ; et sur le fond car il plane un flou conceptuel (accompagnement = observance = éducation ?). Mais sur le fond, d’autres problèmes se posent : la confidentialité n’est pas abordée ; la place faite aux laboratoires est inquiètant (ils pourraient faire de l’aide à l’observance une publicité directe déguisée) ; le rôle des associations est très peu précis (comment seront-elles consultées sur les programmes proposés ?). Le système paraît bancal et sans garde fou.
Les réactions du ministre suivent. D’abord, il propose de remplacer l’ordonnance par un amendement gouvernemental devant être discuté au Sénat. Dans un second temps, face au mécontentement des acteurs de la santé sur l’absence de prise en compte des critiques de fond, le Ministre décide de ne pas présenter le texte. En revanche, Nicolas About, Président de la Commission des Affaires Sociales, s’engage à faire une proposition de loi pour octobre 2007. En attendant, l’IGAS est chargée de faire une enquête sur « les critères propres à garantir la sécurité des patients », dixit l’ex-ministre.
Que dit la loi ?
Un projet de loi visant à encadrer les « programmes patients » est l’occasion de définir et batir une éducation thérapeutique digne de ce nom pour le VIH.
Depuis deux ans, une quinzaine de « programmes patients » proposés par les laboratoires ont été soumis à l’Afssaps, et la moitié a été refusée. Il s’agit d’éducation thérapeutique à moindre coût pour l’Etat, puisque organisée et donc financée par les firmes pharmaceutiques, mais posant des problèmes de déontologie, des critères mercantiles risquant de fausser les informations nécessaires.
Trois observations s’imposent, d’ores et déjà, et montrent les insuffisances du système :
– C’est la commission de la publicité de l’Afssaps qui autoriserait ou non de tels programmes… ce qui en dit long, et pose l’un des termes fondamentaux du problème. Les « programmes patients » assurés par les laboratoires ressemblent de très près à de la publicité directe auprès des malades[[Voir les articles écrits dans Protocoles n° 22,25,35.]], contamination d’une logique sanitaire par une logique économique.
– L’absence de cadre réglementaire favorise les pratiques « sauvages » (c’est-à-dire sans autorisation et sans forme établie), comme le numéro vert pour perdre du poids.
– La confidentialité n’est pas assurée (élaboration d’une base de données à partir du suivi individuel des malades concernés, pouvant être utilisée voire revendue à des fins marketing). Ainsi un projet des laboratoires Roche s’adressant aux personnes sous Fuzeon® a été refusé en raison d’un rapport bénéfice/risque jugé défavorable.
Ce projet de réglementation des « programmes patients » porté par l’ex-ministre de la Santé Xavier Bertrand est avant tout un moyen d’éviter la mise en place d’une politique plus ambitieuse et plus coûteuse d’éducation thérapeutique, impliquant les malades et les associations.
Contre-propositions
Aujourd’hui le projet de loi est reporté, mais les associations se préparent à la suite. Concernant le projet de réglementation, on peut soulever plusieurs séries de problèmes :
– champ de la loi : doit-elle porter sur les « programmes patients » des laboratoires ou sur l’éducation thérapeutique en général ?
– financement : qui doit payer ?
– organisation : place d’éventuels prestataires, ou d’un organisme centralisant les fonds pour le développement de programmes d’éducation thérapeutique menés par des acteurs non-industriels ; des postes réservés aux soignants ou intégrant des malades devenus « patients-formateurs » ?
– acteurs : concertation entre les associations, implication des universités médicales et éthno-sociales ?