Le 26 avril 2007, les militantEs de la lutte contre le sida du monde entier ont organisé une journée internationale de protestation contre le laboratoire Abbott et sa scandaleuse politique de chantage aux médicaments en Thaïlande.
Cette journée d’action, initiée par les activistes thaïlandaiSEs coïncidait avec la tenue, à Chicago, de l’Assemblée Générale annuelle des actionnaires d’Abbott. En France, à 10 heures, Act Up-Paris lançait un netstrike (grêve internet) contre le site web d’Abbott, et une campagne de protestation par e-mail auprès des actionnaires du groupe. A travers le monde, des milliers de personnes ont sollicité le site internet d’Abbott, ralentissant son accès puis le rendant impossible. A 17 heures, Abbott faisait envoyer par son cabinet d’avocatEs, Baker et McKenzie, un fax à Act Up-Paris, dans lequel le laboratoire nous menaçait d’une plainte pour « Déni de Service » (qui n’existe pas en droit français). Le 15 juin, Act Up est citée à comparaitre sur ce dossier. Mais au cours de ces quelques mois, les profits d’Abbott ont augmenté de 18,6 %.
Le courage thaïlandais
En janvier dernier, le gouvernement thaïlandais décidait, conformément aux accords internationaux sur la propriété intellectuelle, de baisser drastiquement les prix de deux médicaments sida, l’efavirenz et le lopinavir. Le lopinavir est couvert par un brevet, détenu par Abbott. Grâce à ce brevet et au monopole qu’il produit, Abbott avait pu imposer en Thaïlande un prix quatre fois supérieur au prix en Afrique (2 200 dollars par an au lieu de 500 dollars). La Thaïlande se trouvant dans l’incapacité de soigner ses malades à ce prix, le gouvernement thaïlandais a décidé de lever le brevet d’Abbott et d’autoriser l’importation de versions génériques du lopinavir. Cela a abouti à une baisse du prix de 55% en seulement trois mois.
En réponse à cette perte de monopole, Abbott a annoncé qu’il allait priver la Thaïlande de tous les nouveaux médicaments qu’il s’apprête à commercialiser, y compris son médicament anti-VIH star, le lopinavir thermo-résistant (particulièrement utile pour les malades des pays pauvres et chauds comme la Thaïlande). Sans considération pour le sort des malades, de manière unilatérale et particulièrement écoeurante, Abbott prend ainsi sciemment les malades thaïlandais en otages dans le seul but de faire pression sur leur gouvernement.
Ce que dit le Droit international
La décision de la Thaïlande de lever le brevet du lopinavir, en soumettant ce brevet à la procédure dite de la « licence obligatoire », est parfaitement légale : l’article 5(b) de la Déclaration de l’OMC sur la Propriété Intellectuelle et la Santé Publique, signée à Doha en novembre 2001, stipule que « chaque état membre de l’OMC a le droit d’accorder des licences obligatoires, et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées ». Particulièrement en cas « d’urgence sanitaire », un pays est ainsi en droit de lever un brevet pour importer ou fabriquer les génériques nécessaires à sa population. En plus des nombreuses pressions que font porter les Etats-Unis et l’Europe sur les pays pauvres pour qu’ils ne touchent pas aux monopoles des multinationales du médicament, c’est maintenant un laboratoire pharmaceutique qui met gravement en danger la vie de malades du sida. C’est inacceptable pour la Thaïlande, et cela crée un précédent qu’Act Up-Paris refuse.
«Leurs profits contre nos vies»
La décision d’Abbott n’a pourtant aucune justification. Il est d’abord question de santé, de vie et de mort, alors que le laboratoire ne parle que de ses profits. La licence obligatoire thaïlandaise ne signifie pas la ruine du laboratoire ni la fin de la recherche fondamentale, spectre souvent agité. Les résultats semestriels annoncés le 18 avril (plus de 16,5 % d’augmentation des bénéfices au premier trimestre 2007 pour la branche pharmacie) montrent bien que le maintien des brevets dans les pays développés, seuls capables de payer le prix fort, suffisent à assurer la rentabilité de la recherche privée. Dès l’annonce de la décision d’Abbott, les réactions se sont multipliées pour dénoncer la mise en danger de milliers – voire de dizaine de milliers si le cas Abbott devait faire école – de malades du sida. Aux protestations des activistes thaïs, vite relayées par leurs homologues du monde entier, d’autres dénonciations ont fait suite : celles de 22 sénateurRICEs américains, celle de la fondation Clinton, mais aussi de fonds d’investissements privés, possédant des dizaines de millions de dollars en actions du laboratoire, ou encore la fondation Gates (qui possède 169 millions de dollars d’actions Abbott). De même, plusieurs associations dont Act-Up en France relaient un texte invitant les médecins et les séropositifs à ne plus recourir, dans la mesure du possible, aux produits du groupe en proposant des solutions alternatives. Lors de la conférence des pays francophones sur le sida, à Paris, en mars dernier des dizaines d’activistes ont interrompu un symposium d’Abbott et occupé le stand du laboratoire, relayant activement la pétition des malades thaïs, ainsi qu’un appel aux prescripteurs à boycotter Abbott.
La mobilisation doit continuer
Le 10 avril , Abbott acceptait dans un accord important avec l’OMS de fournir aux pays en développement des trithérapies à un prix inférieur que ceux proposés par les producteurs de génériques, preuve supplémentaire qu’une baisse de prix était possible. Le laboratoire peut bien faire passer cette mesure pour un signe d’apaisement, ou envisager de revenir sur sa décision en Thaïlande, nul ne peut se permettre un quelconque triomphalisme. Le taux d’accès aux médicaments dans les pays en développement témoigne à lui seul du chemin à parcourir et des entraves que rencontrent les Etats, y compris les plus volontaires. Mais ce pas en arrière du laboratoire pourrait en même temps être le signal et le vecteur d’une évolution fondamentale dans les pratiques commerciales des firmes pharmaceutiques: ceux-ci pourraient désormais être dans l’impossibilité de recourir à des pratiques de chantage, hier acceptées. Et la « jurisprudence Abbott », au vu de l’importance que connaît le relais de l’appel au boycott et à la journée mondiale de protestation du 26 avril, pourrait s’avérer un modèle de régulation a minima qui interdirait l’exposition au grand jour du cynisme le plus voyant.