Trois essais portant sur le rôle de la circoncision dans la réduction de la transmission du VIH à l’homme hétérosexuel dans des pays à forte prévalence VIH ont montré des résultats encourageants. Quand elle est associée à des conseils de prévention, au dépistage VIH et à la mise à disposition de préservatifs, la circoncision pourrait être un moyen de réduction de la transmission partiellement efficace pour les hommes.
C’est quoi la circoncision ?
La posthectomie est une intervention qui consiste à enlever le prépuce de la verge. Cette opération est plus connue sous le terme de circoncision mais ce mot est utilisé en principe pour des interventions pour motif religieux. Pratiquée depuis la préhistoire, on estime aujourd’hui que la circoncision concerne entre 25 et 30 % de la population mondiale adulte masculine. Elle est pratiquée majoritairement sur des enfants. Cette intervention chirurgicale simple, consiste à retirer entièrement le prépuce (parfois appelé « revêtement cutané ») laissant le gland du pénis à découvert. Le prépuce est un tissu cutané et muqueux. Son ablation peut présenter un intérêt pour réduire la transmission (ou plutôt la réception) du VIH, car la face interne du prépuce est une muqueuse très fine et perméable composée de nombreuses cellules cibles pour le VIH (les cellules de Langerhans qui sont des cellules dendritiques de l’épiderme peuvent être infectées par le VIH.). Après un rapport sexuel, des sécrétions vaginales peuvent rester dans cet espace chaud et humide propice au développement des virus et bactéries, comme les IST reconnues pour être des facteurs favorisant l’entrée du VIH. Une fois retiré, le prépuce ne protège plus le gland. Or sa constitution n’est naturellement pas faite pour rester à découvert, il doit donc se renforcer, s’épaissir, se kératiniser. (La kératine est une substance organique qui constitue la base de l’épiderme, des ongles, des poils et des tissus cornés) En durcissant, la peau diminue donc la possibilité de pénétration d’agents infectieux potentiels telles les IST ou le VIH. Enfin, après un acte sexuel, une verge circoncise sèche vite, état défavorable au VIH. Ces éléments font que la circoncision pourrait être envisagée pour réduire le risque de transmission du VIH de la femme vers l’homme. Toute fois, il est important de rappeler qu’elle ne présente qu’une protection partielle et qu’aucun essai n’a démontré que l’inverse, c’est-à-dire la transmission de l’homme vers la femme est réduite quand le partenaire masculin est circoncis.Epidémiologie
Ces informations pourraient avoir des répercussions intéressantes pour des pays à forte prévalence VIH, dans lesquels le VIH se transmet majoritairement par voie sexuelle hétérosexuelle. Prenons l’exemple du continent africain. La prévalence dans certains pays peut atteindre jusqu’à 38 % (Swaziland), 37 % (Botswana) et 29 % (Lesotho) de la population adulte. Dans le même temps, la circoncision concerne dans ces pays respectifs 50 %, 25 % et 0 % de la population. Les pays à faible prévalence VIH comme la Mauritanie (0,6 %), la Somalie (0,7 %), ou le Sénégal (0,8 %) ont des taux de circoncision élevés : 78 %, 93 %, 89 %. Mais ces parallèles ne sont pas suffisants pour expliquer la disparité des situations en Afrique. Certes la circoncision semble être un facteur-clé pour expliquer les disparités de prévalence du VIH dans les différents pays d’Afrique, mais seulement si elle coïncide avec certains facteurs culturels qui influent sur les comportements sexuels de la population (comme le contrôle social de la sexualité des jeunes femmes). Aux Etats-Unis où 90 % des adultes sont circoncis, la prévalence VIH est de 0,8 % alors qu’en France où 15 à 20 % des hommes sont circoncis, la prévalence VIH est estimée entre 0,3 et 0,7 %. Seules de nouvelles études pourront permettre d’aller plus loin dans l’analyse du rôle que pourrait jouer la circoncision dans une réduction globale de la dynamique pandémique. D’où l’importance des 3 études publiées depuis juillet 2005 et d’une analyse prudente des résultats obtenus.Afrique du Sud
Lors de la conférence de l’International Aids Society, en 2005 à Rio, les premiers résultats de l’étude ANRS 1265 ont provoqué quelques remous, et ont été largement médiatisés. Cet essai visait à évaluer l’impact potentiel de la circoncision sur la transmission du VIH chez des hommes sud-africains séronégatifs et non-circoncis L’étude démarrée en 2002 à Orange Farm (300 000 à 400 000 habitants dans cette région et une prévalence nationale du VIH chez les adultes de 15 à 49 ans d’environ 19 %) en Afrique du Sud, consistait à recruter 3 274 hommes ayant entre 18 et 24 ans séronégatifs, volontaires pour se faire circoncire. Dès leur entrée, une séance de conseils de prévention était dispensée à tous les participants, accompagnée d’une mise à disposition de préservatifs. Les hommes étaient ensuite divisés en deux groupes : pour se faire circoncire dès la première semaine de l’étude ou pour faire partie du groupe contrôle, auquel cas, si les analyses intermédiaires montraient un impact de la circoncision dans la transmission du VIH, elle leur était proposée à la fin du suivi. Tous les participants devaient se rendre à 4 visites de suivi (à l’inclusion, au 3ème, 12ème et 21ème mois). Résultats, dans le premier groupe de 1 568 personnes, on a constaté 20 contaminations contre 49 dans le groupe contrôle comprenant 1 560 participants. Ces résultats montrent une différence importante (61 % avec un intervalle de confiance compris entre 32 et 76 %) en faveur du groupe où les hommes ont été circoncis, et ont provoqué l’arrêt précoce de l’essai, en avril 2005. La circoncision a donc été proposée aux hommes du deuxième groupe : 70 % d’entre eux ont accepté, les 30 % restant étant soit perdus de vue, soit ont refusé de se faire ciconcire.Kenya et Ouganda
En 2005, l’institut national des allergies et des maladies infectieuses américain (NIAID) a lancé deux essais cliniques sur la circoncision et le risque d’infection par le VIH. Ces essais à grande échelle, ils ont été mis en place au Kenya et en Ouganda. Les résultats intermédiaires étaient si tranchés que les chercheurs ont considéré qu’il était inéthique de les poursuivre : les groupes d’hommes circoncis montraient un bénéfice supérieur et significatif sur les groupes contrôles. Commencés en septembre 2005, ces essais auraient dû se poursuivre jusqu’en septembre 2007. Les méthodes utilisées pour la circoncision étaient différentes. L’essai réalisé au Kenya utilise la même méthode que l’essai franco-sud-africain, soit la méthode dite aux forceps. Le prépuce est tiré, pincé et coupé à l’extrémité du gland. C’est la procédure traditionnelle, elle est simple et rapide (une demi-heure). La méthode utilisée dans l’essai du district de Rakai est plus longue mais préconisée par les spécialistes en urologie. Il s’agit de créer un cylindre de peau et de le découper selon les marques prises à la base extérieure et intérieure du prépuce. – Le premier essai (NCT 00059371) a commencé en février 2002 à Kisumu au Kenya (300 000 habitants, 28 % d’hommes circoncis, avec une prévalence de 20 % chez les hommes entre 15 et 49 ans et de 30 % chez les femmes de la même tranche d’âge). Il visait à évaluer si la circoncision diminue le risque pour les hommes circoncis d’être contaminés par le VIH. Il concerne 2 784 hommes âgés de 18 à 24 ans, sexuellement actifs, séronégatifs et volontaires pour se faire circoncire. 1 391 ont été circoncis dès leur entrée dans l’étude et 1 393 l’ont été deux ans après. Tous ont reçus des conseils de prévention et des préservatifs, ont pratiqué un test VIH et un examen clinique lors des 7 visites de l’essai (à l’inclusion, au 1er, 3ème, 6ème, 12ème et 24ème mois). L’essai a été arrêté mi-décembre 2006 après la troisième analyse intermédiaire indiquant de fortes différences : 22 personnes ont été contaminées par le VIH dans le groupe des hommes circoncis immédiatement contre 47 dans le groupe contrôle, ce qui marque une réduction du risque d’infection par le VIH de 53 % associée à la circoncision. – Le second essai (NCT 00425984) mené dans le district de Rakai en Ouganda (380 000 habitants avec une prévalence de VIH de 15 %, 6 fois plus élevée chez les femmes de 15 à 19 ans que chez les hommes du même âge mais identique dans la tranche d’âge supérieure) a démarré en août 2003. Il visait à mesurer l’influence de la circoncision sur la contamination par le VIH des hommes circoncis et de leurs partenaires. Il concerne 4 996 hommes entre 15 et 49 ans, séronégatifs, sexuellement actifs et volontaires pour réaliser une circoncision. 2 474 hommes ont été randomisés pour être circoncis dès leur entrée dans l’étude, les 2 522 autres participants devaient se faire circoncire après 24 mois, mais comme l’étude a été écourtée, en raison des résultats favorables obtenus, les hommes du second groupe qui le souhaitaient se sont fait circoncire avant la fin. Les participants ont eu 4 visites (à l’inclusion, à 6, 12, et 24 mois) où ils recevaient des conseils de prévention et des préservatifs, un test VIH et un examen clinique. Les résultats montrent moins de transmission du VIH dans le groupe des hommes circoncis immédiatement (22 circoncis contre 43 non circoncis), ce qui donne une réduction des risques d’infection de 48 % dans le groupe des hommes circoncis par rapport au groupe contrôle.Pistes
Les résultats de ces trois études en appellent évidemment d’autres. L’équipe de Bertrand Auvert de l’unité INSERM 687, financée par l’ANRS va poursuivre ses recherches à plus large échelle dans le site de Orange Farm en Afrique du Sud afin de vérifier l’efficacité préventive de la circoncision contre le VIH. Cette étude est prévue sur 5 ans, et devrait commencer en juin-juillet. Il ne s’agit plus d’un essai randomisé mais d’une recherche opérationnelle qui consiste à réaliser une intervention contrôlée afin d’en mesurer l’impact dans l’ensemble de la population. Elle consiste à informer toute la population de la région de l’impact éventuel de la circoncision sur la réduction du risque de transmission du VIH des femmes vers les hommes et de proposer à tous les hommes qui le souhaitent âgés de 18 à 39 ans une circoncision médicalisée et gratuite. Le nombre de participants potentiels correspond à la population masculine adulte non circoncise, soit près de 50 000 personnes, et des études menées en Afrique indiquent que 60 % des hommes seraient prêts à se faire circoncire en cas d’efficacité démontrée. Les chercheurs espèrent circoncire entre 30 et 40 000 hommes (20 000 hommes espérés les 2 premières années). Avant le début de l’intervention un travail de communication auprès des leaders d’opinion sera engagé afin d’éviter tout dérapage ou toute rumeur. Pendant les cinq ans que dura la recherche trois enquêtes transversales seront menées pour évaluer l’impact de l’intervention. Il s’agit de sondages dans la population auprès de 2 000 personnes (hommes circoncis ou pas, femmes) sur leurs attitudes, comportements, connaissances vis-à-vis de la circoncision. Le questionnaire social comportemental sera accompagné d’un prélèvement de sang devrait aussi permettre de connaître le taux de circoncision dans la ville, ainsi que mesures de prévalence (HIV, Gonococcies, chlamydia, Herpès génital). Ces trois enquêtes auront lieu juste avant l’intervention (début de l’information sur la possibilité de circoncision médicalisée gratuite), deux ans et demie après et à la fin de la recherche opérationnelle. Ces enquêtes transversales quantitatives seront accompagnées d’étude qualitative consistant en la création avec la création de « focus groupes » de femmes, d’hommes, de leaders, etc. Une autre étude (NCT00124878) financée par la Fondation Bill et Melinda Gates est menée actuellement en Ouganda dans le district de Rakai. Depuis août 2003, elle se penche sur la population féminine et vise à évaluer si la circoncision peut réduire les risques de transmission du VIH de l’homme à la femme. Cette étude concerne 800 hommes séropositifs, 1 000 dont le statut sérologique n’est pas connu et 5 000 femmes séronégatives, partenaires des hommes participants aux études menées dans ce district (soit 6 800 participants). Le suivi est de 2 ans et 4 visites sont prévues pour chaque participant. Une recherche parallèle sera menée sur les taux de diverses IST. Les résultats sont attendus fin 2007.Recommandations
D’ores et déjà en mars dernier l’Organisation Mondiale de la Santé et le programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida) ont organisé une consultation d’experts internationaux sur la question de la circoncision. Sur la base des résultats des trois essais publiés, des recommandations ont été émises afin de « considérer la circoncision comme un moyen supplémentaire important de réduire le risque de transmission hétérosexuelle de l’infection à VIH chez l’homme ». On l’a vu, ces recommandations nous semblent prématurées : les bénéfices éventuels de cette méthode, partiellement montrés par ces essais, peuvent très largement être remis en cause par un relâchement général du préservatif, que des annonces prématurées peuvent induire. Ce risque n’a pas encore été étudié, et des enquêtes en sciences humaines sont indispensables. La réduction globale de la transmission est une chose, le discours sur la prévention, à l’échelle de la responsabilité individuelle, sur laquelle s’appuie la lutte contre le sida depuis ses débuts, en est une autre : il est indispensable de trouver des discours complémentaires, et non de les mettre en concurrence. Après la publication des recommandations de l’OMS l’ANRS a décidé d’organiser un séminaire en sciences humaines et sociales les 20 et 21 septembre prochains pour de définir les axes prioritaires de recherche dans lesquels l’ANRS et les autres promoteurs de recherche européens devront s’investir afin de répondre que posent le passage à l’échelle populationnel de la circoncision comme mode de réduction de la transmission du VIH. Il réunira chercheurs, associatifs et institutionnels. Nous reviendrons sur ces sujets dans le prochain numéro.A retenir
La diffusion de l’information sur le rôle éventuel de la circoncision dans la réduction de la transmission du VIH ne peut pas faire l’économie d’une réflexion scientifique et éthique. En effet, des informations ou des analyses incomplètes risqueraient de faire passer la circoncision pour un outil de prévention qui se substituerait à la capote, ruinant ainsi les efforts des 20 dernières années sur l’usage des préservatifs masculins et féminins. Si les essais menés montrent que la circoncision médicalisée, associée à des conseils de prévention, et la mise à disposition de préservatifs et de tests VIH donnent des résultats encourageants en matière de réduction globale de la transmission du VIH à l’homme, cette méthode ne protège que partiellement les hommes dans des rapports hétérosexuels et on ne sait encore rien de la protection qu’elle pourrait apporter aux femmes. Par ailleurs, aucune étude n’est en cours pour l’instant pour évaluer l’impact de la circoncision dans la réduction de la transmission du VIH chez les gays. Si les essais ont montré une réduction de la transmission du VIH dans le cadre de relations hétérosexuelles insertives, les gays peuvent avoir des pratiques sexuelles tantôt actives tantôt passives, ce qui pourrait limiter l’impact de la circoncision comme mode de réduction de la transmission dans cette population.