Jeudi 10 mai, nous annoncions la lourde condamnation de notre association et deux de ses militantes par la dixième Chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris pour violation de domicile, suite au zap des éditions Blanche en avril 2003. Malgré le caractère disproportionné du verdict [[5 000 euros d’amende pour Act Up-Paris, 1 000 euros pour chacune des deux militantes condamnées et 2 000 euros de dommages et intérêts au directeur des Editions Blanche.]], nous avons décidé de ne pas faire appel.
Les raisons du zap
Parmi les livres publiés par les éditions Blanche, ceux homophobes et misogynes d’Alain Soral ou celui d’Erik Rémès qui prône la baise sans capote, sont des livres pleins de violence : ils incitent à la haine et à la discrimination. C’est le rôle d’une association de lutte contre le sida, et contre les discriminations, comme Act Up-Paris, de les dénoncer et de le faire savoir. En avril 2003, des militantEs ont ainsi fait intrusion dans le bureau des éditions Blanche pour interpeller son directeur sur les responsabilités qu’il prend objectivement en publiant des livres où l’on peut lire : « Pour plomber [=contaminer] quelqu’un, c’est également très simple. Il suffit d’un peu de doigté (…). On retire discrètement la capote pendant la baise. On fait semblant de la mettre. Des plombeurs crèvent préalablement les capotes avec une aiguille, etc. » ; et où le jeu initial de l’auteur était littéralement de nous contaminer : « J’ai plombé une actupienne, tralalalaire, tralalala (…). La mode est lancée ».
Pourquoi faire appel à la désobéissance civile ?
Pour dénoncer de tels discours, le choix qui s’offre à nous est considérablement réduit. L’urgence de l’épidémie, la dynamique des nouvelles contaminations nous obligent à être réactifVEs. Le temps des institutions, notamment de l’institution judiciaire, n’est pas adapté.
Face à la faiblesse des campagnes de prévention publiques, il est indispensable qu’une association de malades comme Act Up-Paris interpelle publiquement celles et ceux qui se rendent complices de la pandémie. Nos actions sont pacifiques, la violence que nous exerçons est symbolique, mais elle reste liée à la désobéissance civile : nous ne sommes pas poliEs, nous ne demandons pas la permission avant d’interpeller un éditeur qui se fait de l’argent en appelant à la contamination par le VIH.
Une condamnation disproportionnée
Pendant très longtemps, les actions basées sur la désobéissance civile et donc illégales d’Act Up-Paris n’ont pas fait l’objet de plainte, ou ces plaintes n’ont pas été suivies. La société comprenait la légitimité de nos zaps, même quand elle pouvait en désapprouver les modalités. Cette condamnation est un nouveau signe, à la fois de la répression comme seule réponse que peut nous apporter la société face aux problèmes que nous soulevons, mais aussi de la banalisation croissante de l’épidémie de sida.
Parce que nous assumons la désobéissance civile, nous pouvons comprendre que la justice nous condamne. Il n’en reste pas moins que cette décision est disproportionnée par rapport à ce qui nous est reproché : ainsi, une militante sans revenu est condamnée à 1 000 euros d’amende ; ainsi, nous devons payer aux éditions Blanche 2 000 euros de dommages et intérêt, pour intrusion dans un domicile privé, alors que la partie civile n’a produit aucune pièce justificative et que les accusations de dégradations ont été classées sans suite.
Pourquoi nous ne faisons pas appel
Malgré nos difficultés à accepter cette décision, nous n’en ferons pas appel. D’une part, des militantes, et non la seule association, y sont impliquées. Et il n’est pas question qu’elles risquent une peine plus lourde en appel – ce qui est loin d’être improbable dans un contexte de répression croissante. D’autre part, le combat juridique demande beaucoup d’énergie et de moyens. Nous préférons les consacrer aux luttes actuelles contre l’épidémie, et notamment aux nouveaux enjeux de la prévention chez les LGBT.
Frank Spengler, directeur des Editions Blanche, a tiré profit de la vente du livre d’Erik Rémès qui appelait à ce qu’il y ait davantage de malades du sida. Le sida : beaucoup en meurent, mais certains, comme Franck Spengler, peuvent en vivre. Il obtient aujourd’hui condamnation d’Act Up-Paris à 2 000 Euros de dommages et intérêts : pourquoi ne les reverserait-il pas à une association de lutte contre le sida ?