Deux études américaines viennent de confirmer les résultats d’une étude française sur le rôle de la circoncision masculine dans la transmission vaginale du VIH lors de rapports hétérosexuels en Afrique. Dans le cadre de ces essais, la circoncision masculine diminue le risque de transmission du VIH de la femme séropositive vers l’homme séronégatif entre 50 et 60 % (48 % dans l’étude en Ouganda[[Gray RH, Kigosi G, Serwadda D et al. Male circumcision for HIV prevention in len in Rakai, Uganda : a randomized trial. Lancet. 2007 ; 369 : 657-666.]], 53% dans l’étude kenyane[[Bailey RC, Moses S, Parker CB et al. Male circumcision for HIV prevention in young men in Kisumu, Kenya : a randomized controlled trial. Lancet. 2007 ; 369 : 643-656.]] et 61% au cours du premier essai réalisé en Afrique du Sud[[Auvert B, Taljaard D, Lagarde E et al. Randomized, controlled intervention trial of male circumcision for reduction of HIV infection risks : the ANRS 1265 trial. PLoS Med. 2005.; 2 : e298]]). Cependant cet effet positif, qui ne concerne que les hommes dans le cadre de relations hétérosexuelles, serait considérablement moindre à l’échelle de l’ensemble d’une population, parce que les femmes sont physiologiquement plus vulnérables que les hommes en ce qui concerne la transmission du virus du sida.
Forts de ces résultats, l’OMS et le programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida (Onusida) ont proposé que dans les pays à forte prévalence VIH et où le taux de circoncision est bas, l’opération soit considérée comme un moyen supplémentaire de réduire le risque de transmission hétérosexuelle de l’infection à VIH chez l’homme. Ces recommandations sont prématurées. Si la réduction globale de la transmission à l’échelle des populations est une bonne chose en théorie, on ne connaît pas encore les conséquences éventuelles de la circoncision pratiquée à une large échelle, sur le comportement et les représentations de la maladie. Le risque est grand, en effet, de voir se développer, à l’échelon individuel, un sentiment de fausse protection chez les hommes circoncis. Or, ce risque n’a pour l’instant pas fait l’objet d’études comportementales, complément indispensable pour juger de l’intérêt réel de la circoncision. L’abandon du préservatif que pourrait entraîner une foi inébranlable dans les supposées vertus de la circoncision aurait des conséquences redoutables, tant en ce qui concerne la diffusion du VIH que des autres IST, pour l’ensemble des partenaires de ces relations non protégées. Et il est consternant de voir que cette dimension n’a pas été prise en compte par l’OMS, ou par un chercheur comme Bertrand Auvert, qui ne témoigne d’aucune prudence dans la communication publique des résultats de son étude.
Il persiste en outre de nombreuses inconnues soulevées par ces trois enquêtes. En tout premier lieu, la circoncision confère-t-elle une protection concernant la transmission du VIH de l’homme séropositif vers la femme séronégative ? Cette question est primordiale dans des pays où les droits des femmes, et en particulier celui de disposer de son corps, ne sont pas réellement reconnus, ni respectés. On doit craindre que les hommes circoncis, faussement rassurés sur l’absence de risque de contracter le VIH, n’y trouvent une raison supplémentaire d’imposer des rapports non protégés à des femmes sans réel moyen pour s’y opposer. Si la circoncision ne protégeait pas ou peu la femme du risque d’infection, préconiser cette technique de réduction des risques au détriment de messages clairs sur les bénéfices mutuels de l’utilisation des préservatifs, accentuera les inégalités qui existent déjà entre les hommes et les femmes en matière de prévention, de santé ou d’accès aux soins. Aucune étude nouvelle sur la circoncision ne peut faire l’impasse sur cette question.
La seconde question, et non des moindres, concerne l’effet de la circoncision masculine sur la réduction des risques en cas de pénétration anale. Que celle-ci survienne lors de rapports hétérosexuels ou homosexuels importerait peu au demeurant. Qu’en est-il donc de la circoncision et de ses supposés bénéfices chez les gays ?
La circoncision peut-elle réduire l’épidémie chez les gays ?
Actuellement, nous ne disposons que de peu d’études qui permettent de subodorer l’intérêt de la circoncision dans les relations anales entre hommes. Seules deux études d’observation ont été publiées et elles ne présentent pas les mêmes niveaux de preuve scientifique que les 3 études réalisées en Afrique. La première étude[[Kreiss JK, Hopkins SG. The association between circumcision status and human immunodeficiency virus infection among homosexual men. J Infect Dis. 1993 Dec ;168(6):1404-8.]] a été publiée en 1993 et visait à évaluer la corrélation entre l’acquisition du VIH et la circoncision. Il s’agissait d’un questionnaire adressé à 316 hommes séropositifs et 186 hommes séronégatifs, tous homosexuels. L’infection par le VIH semblait associée de manière significative avec le fait de n’être pas circoncis. Ainsi, ne pas être circoncis augmentait d’un facteur deux le risque d’infection par le VIH. Cependant, les deux groupes n’étaient pas nécessairement comparables en termes de pratiques sexuelles ou de comportements de prévention. Une autre étude[[Buchbinder SP, Vittinghoff E, Heagerty PJ et al. Sexual risk, nitrite inhalant use, and lack of circumcision associated with HIV seroconversion in men who have sex with men in the United States. J Acquir Immune Defic Syndr. 2005 May 1 ;39(1):82-9.]], prospective, publiée en 2005, étudiait la séro-incidence du VIH (nombre de nouvelles infections par le VIH apparues chaque année) chez 3 257 hommes homo ou bisexuels de six villes américaines, afin d’identifier des facteurs de risques associés. Parmi ceux-ci, une fois encore, le fait de n’être pas circoncis augmentait le risque d’infection vis-à-vis du VIH par deux. Toutefois, le type d’enquête réalisé ne permettait toujours pas de s’assurer que les deux groupes d’hommes (circoncis ou non) étaient comparables et présentaient les mêmes comportements ou pratiques sexuelles.
Physiologiquement, la pénétration anale n’a que peu à voir avec la pénétration vaginale. Seuls des essais cliniques randomisés, ayant pour but d’établir les bénéfices de la circoncision masculine lors de pratiques de sexe anal pourront préciser les données des enquêtes existantes. Il faudra de surcroît que ces essais évaluent les bénéfices aussi bien pour les partenaires insertifs (actifs) que réceptifs (passifs), afin de clarifier les choses pour ceux (et ils sont nombreux) qui sont les deux à la fois. Le fait que les gays soient le plus généralement versatiles hypothèque sérieusement le bénéfice éventuel de la circoncision à l’échelle de cette population. Les études réalisées en Afrique concernent des pays où l’usage du préservatif est très faible, l’impact éventuel de la circoncision dans une communauté qui utilise encore majoritairement le préservatif serait sans doute minime.
Si, à l’avenir, il était établi que la circoncision masculine ait une relative efficacité lors des pénétrations anales, cela n’impliquerait pas nécessairement une baisse des contaminations dans notre communauté. La dynamique de l’épidémie de VIH est capricieuse. C’est ce que l’on a appris avec l’arrivée de traitements antirétroviraux efficaces. En diminuant l’infectiosité (la charge virale notamment), ceux-ci auraient pu contribuer à diminuer le nombre total de contaminations. Mais le relâchement dans l’usage du préservatif, intervenu dans le même temps a annulé ces gains et conduit à une augmentation de l’épidémie dans la communauté. Aussi, l’apport que pourrait (peut-être ?) fournir la circoncision en terme de baisse des contaminations pourrait très bien être annulé par un accroissement du no-kapote.