Le sida tue 10 000 personnes par jour. Chaque année, en France, il y a près de 10 000 nouvelles contaminations, et entre 3,6 et 6,6 millions dans le monde. La lutte contre le sida est liée à l’urgence, mais de nombreuses institutions ne sont pas adaptées à cette urgence. La lutte contre le sida est extrêmement fragile, menacée par des impératifs financiers, par l’ignorance et l’incurie de certainEs responsables, par la haine et l’exclusion dont sont victimes les malades et les minorités particulièrement exposées à la pandémie.
Désobéissance civile : pourquoi ?
Nous sommes des malades. Pour nous, la lutte contre le sida est une question de vie et de mort, et non une « noble cause », un « juste combat ». Face à l’inertie des pouvoirs publics, face à la complicité d’individus ou de groupes dans la pandémie, face au silence dans lequel on veut nous enfermer, nous avons le devoir de réagir. Et quand le recours légal aux institutions n’est pas suffisant, il faut trouver d’autres moyens pour agir, mobiliser, dénoncer ou interpeller. Le recours à la désobéissance civile se justifie par la nature même de notre combat et l’insuffisance des institutions. Croit-on réellement que nous nous exposons à l’illégalité pour le seul folklore ? Pense-t-on vraiment qu’avant d’en venir à une action de désobéissance civile, nous n’avons pas envisagé tous les recours légaux possibles ? Peut-on imaginer que sans les actions spectaculaires que nous organisons, le grand public serait encore moins mobilisé sur les enjeux de la lutte contre le sida et des situations des malades ?
Où est la violence ?
Il faut rappeler contre tous les mensonges tenus publiquement à notre égard, qu’Act Up-Paris ne s’en prend pas physiquement aux personnes. L’inverse n’est pas vrai.
Nos actions sont souvent jugées violentes. Mais pourquoi avoir recours à ces actions, si ce n’est pour combattre la violence quotidienne qui est faite aux malades et aux minorités que nous sommes ? Pourquoi aucun des donneurSEs de leçon qui nous reprochent de « pervertir une juste cause » (avocat et procureur dans l’affaire des Editions Blanche, avocat de Colette Chiland) n’est-il capable de mettre en balance la violence symbolique de nos actions et celle, bien réelle que nous subissons quotidiennement ? Publier un livre où on appelle à la contamination des militantEs d’Act Up est d’une violence insoutenable, qui n’a rien à voir avec le fait d’entrer sans autorisation dans un bureau pour interpeller le responsable. Jeter du faux sang, lavé au bout d’une heure, sur la façade de l’Elysée est d’une violence dérisoire par rapport aux promesses non tenues du Président de la République en matière de financement de l’accès aux soins dans les pays pauvres, sauf pour celles et ceux qui préfèrent la protection des vieilles pierres à celle des vies humaines.
Notre responsabilité, et les difficultés de la faire reconnaître face à la justice
Act Up-Paris est un groupe, la responsabilité y est collective. Les textes sont écrits en commun, les décisions y sont prises ensemble, les stratégies élaborées en groupe. La justice a du mal à reconnaître cette responsabilité collective. Elle préfère souvent juger des personnes réelles, des individus, et voit dans la mention d’une responsabilité collective un moyen de fuir nos responsabilités individuelles. C’est dire si notre militantisme est mal appréhendé par les représentantEs du pouvoir judiciaire. Qu’y a-t-il de plus responsables, pourtant, que des personnes qui prennent un risque judiciaire pour lutter contre la pandémie et les discriminations qui lui sont associées ? Qu’y a-t-il de moins responsables que des gens qui se servent des moyens légaux les plus détournés, en appellent à des valeurs importantes comme la liberté d’expression, ou la liberté du culte, pour masquer leur complicité objective dans l’épidémie de sida ?
Le poids des condamnations dans l’engagement militant
Les plaintes contre nous représentent un poids financier : frais d’avocatEs, d’huissiers de justice, amendes, dommages et intérêts. Ce poids menace notre équilibre budgétaire, notre indépendance financière (puisque les frais de justice sont payés sur nos fonds propres, et pas sur les financements fléchés). De plus, le temps que nous passons à constituer notre défense est perdu pour des enjeux cruciaux et actuels de la lutte contre le sida. Enfin, la crainte de nouvelles affaires nous obligent à plus de prudence, à restreindre pour un temps nos modes d’action. La lutte contre le sida en est la première perdante.
Au nom de la responsabilité collective, les frais financiers des militantEs poursuiviEs individuellement sont pris en charge par l’association. Mais chacunE doit assumer le poids des audiences, la responsabilité vis-à-vis du groupe et des autres prévenuEs, enfin et surtout un casier judiciaire, qui peut avoir des conséquences dans nos vies personnelles ou professionnelles. A l’inverse, ce que chacunE d’entre nous apporte à la lutte contre le sida, et en général, à la société en participant à une action de désobéissance civile n’est jamais mis en valeur dans le cadre d’un procès. Il s’agit donc d’une expérience dure et injuste.