Le premier semestre 2007 aura été particulièrement chargé en affaires judiciaires. Toutes les plaintes, dont une remontait à 2003, ont fait l’objet d’audiences de plaidoieries, certaines de jugement, parfois de lourdes condamnations. Cerise sur le gâteau : alors que nous n’avions plus fait l’objet de plainte depuis plus d’un an et demi, le laboratoire Abbott nous poursuit au pénal. Cette actualité judiciaire est l’occasion d’une revue de détail des affaires, d’une mise au point sur la désobéissance civile, la responsabilité et l’engagement militant ainsi qu’une interview croisée de deux actupienNEs directement touchéEs par des condamnations.
Affaire Jacquin : l’illustration du mépris de l’Eglise catholique à l’égard des LGBT.
21 février 2007 : dans une petite salle du Palais de justice de Paris se tient le procès que Patrick Jacquin, recteur de Notre-Dame-de-Paris, a intenté au civil à Act Up-Paris et certainEs de ses membres. Selon lui, nous aurions porté atteinte à « la liberté religieuse, au libre exercice du culte et à l’affectation cultuelle » en organisant un mariage symbolique de deux femmes dans la cathédrale, le 5 juin 2005 (voir Action n°99).
Patrick Jacquin demandait 1 euro de dommages et intérêts, 10 000 euros de frais d’avocatEs et la publication de la décision judiciaire dans 5 organes de presse, à hauteur de 10 000 euros chacune. Nous aurions donc eu à payer éventuellement 60 000 euros, pour un mariage symbolique qui aura duré à peine 5 minutes, n’aura perturbé aucun office, et où aucunE croyantE n’aura été interpelléE.
Nous avons été condamnéEs à 1 euro de dommages et intérêts, et 2 000 euros de frais judiciaires. Alors que Patrick Jacquin affirmait qu’à travers lui, c’est l’ensemble des croyantEs que nous visions, et qu’à ce titre, nous devions rendre des comptes publiquement en payant des encarts dans la presse, les juges ont considéré ces prétentions disproportionnées et n’y ont pas fait droit.
Le jugement reconnaît que notre action n’avait pas pour but de « remettre en cause la liberté de religion ou de ridiculiser l’Eglise Catholique, mais, par un acte symbolique, d’interpeller celle-ci sur la discrimination dont [nous estimons] être victimes en raison de [notre] appartenance sexuelle ». Enfin, au cours de l’audience, le Parquet a marquer ses distances avec le terme utilisé par Patrick Jacquin pour décrire notre action, « parodie » de mariage.
Il n’en reste pas moins que nous sommes condamnéEs. Le jugement repose sur l’affirmation « que les faits se sont déroulés sans l’autorisation du recteur de la cathédrale et même contre sa volonté et malgré son opposition expressément manifestée ». Nous ne voyons pas bien de quelle opposition il pourrait s’agir puisque toute l’action s’est déroulée en l’absence de Patrick Jacquin : celui-ci ne nous a interpelléEs qu’à la sortie de la cathédrale.
Nous n’avons pas fait appel car il s’agit d’une condamnation au civil, symbolique, qui aura eu pour seul résultat le versement de 2 000 euros à un avocat sur les fonds d’une association de malades. Autant dire que par cette plainte, et en faisant notamment valoir l’ « affectation cultuelle » – une sorte de droit d’attribution – pour montrer qu’un couple de lesbiennes est malvenu dans « sa » cathédrale, il a suffisamment montré au grand jour la position de la hiérarchie catholique vis-à-vis des LGBT : haine, mépris et exclusion. Inutile, dès lors, de s’encombrer d’un appel pour le prouver à nouveau.
Affaire Blanche : une colère sans appel face à des mots qui tuent.
En avril 2003, des militantEs ont fait intrusion dans le bureau des éditions Blanche pour interpeller son directeur, Frank Spengler, sur les responsabilités qu’il prend objectivement en publiant des livres où l’on peut lire : « Pour plomber [=contaminer] quelqu’un, c’est également très simple. Il suffit d’un peu de doigté (…). On retire discrètement la capote pendant la baise. On fait semblant de la mettre. Des plombeurs crèvent préalablement les capotes avec une aiguille, etc. » ; et où le jeu initial de l’auteur était littéralement de nous contaminer : « J’ai plombé une actupienne, tralalalaire, tralalala (…). La mode est lancée ». Parmi les livres publiés par les éditions Blanche, ceux homophobes et misogynes d’Alain Soral ou celui d’Erik Rémès qui prône la baise sans capote, sont des livres pleins de violence : ils incitent à la haine et à la discrimination. C’est le rôle d’une association de lutte contre le sida et contre les discriminations, comme Act Up-Paris, de les dénoncer et de le faire savoir.
Pour dénoncer de tels discours, le choix qui s’offre à nous est considérablement réduit. L’urgence de l’épidémie, la dynamique des nouvelles contaminations nous obligent à être réactifVEs. Le temps des institutions, notamment de l’institution judiciaire, n’est pas adapté. Face à la faiblesse des campagnes de prévention publiques, il est indispensable qu’une association de malades comme Act Up-Paris interpelle celles et ceux qui se rendent complices de la pandémie. Nos actions sont pacifiques, la violence que nous exerçons est symbolique, mais elle reste liée à la désobéissance civile : nous ne sommes pas poliEs, nous ne demandons pas la permission avant d’interpeller un éditeur qui se fait de l’argent en appelant à la contamination par le VIH.
Parce que nous assumons la désobéissance civile, nous pouvons comprendre que la justice nous condamne. Il n’en reste pas moins que cette décision est disproportionnée par rapport à ce qui nous est reproché (5 000 euros d’amende pour Act Up-Paris, 1 000 euros pour chacune des deux militantes condamnées et 2 000 euros de dommages et intérêts au directeur des Editions Blanche.) : ainsi, une militante sans revenu est condamnée à 1 000 euros d’amende ; ainsi, nous devons payer aux Éditions Blanche des dommages et intérêts, pour intrusion dans un bureau, alors que la partie civile n’a produit aucune pièce justificative et que les accusations de dégradations n’ont pas été retenues.
Mais nous n’avons pas fait appel. D’une part, des militantes, et non la seule association, y sont impliquées. Et il n’est pas question qu’elles risquent une peine plus lourde en appel – ce qui est loin d’être improbable dans un contexte de répression croissante. D’autre part, le combat juridique demande beaucoup d’énergie et de moyens. Nous préférons les consacrer aux luttes actuelles contre l’épidémie, et notamment aux nouveaux enjeux de la prévention chez les LGBT. Frank Spengler, directeur des Editions Blanche, a tiré profit de la vente du livre d’Erik Rémès qui appelait à ce qu’il y ait davantage de malades du sida. Le sida : beaucoup en meurent, mais certains, comme Franck Spengler, peuvent en vivre. Il a obtenu condamnation d’Act Up-Paris à 2 000 euros de dommages et intérêts : pourquoi ne les reverserait-il pas à une association de lutte contre le sida ?
Affaire Pharma Concept/Viralgic® : « J’ai confiance dans la justice de mon pays. »
Cette affaire nous aura permis de connaître toutes les subtilités d’une procédure au civil, et de profiter de la valeur poétique d’expressions comme : « sursis à statuer » ou de découvrir la Principauté de Hutt River, et son Vice Ministre des Affaires Etrangères S.E. Sir Edmond Suchet.
Au départ : un texte que nous avons publié dans Action n° 81 en juillet 2002 (!), puis sur notre site Internet, lors de la Conférence internationale sur le sida de Barcelone, qui alerte sur la diffusion d’un produit nommé Viralgic®, commercialisé par la société Pharma Concept. Présenté dans sa notice comme un antiviral efficace dans le cadre de l’infection à VIH, le produit n’a fait l’objet d’aucune étude clinique – même si Pharma Concept fait valoir une AMM dans la principauté de Neverland, pardon de Hutt River. L’AFSSaPS avait déjà enjoint, en 2001, la société Pharma Concept de faire tester son produit avant de procéder à ce genre de communication.
Le 10 février, Pharma Concept nous assigne devant le TGI et par une procédure en référé (d’urgence), à la fois pour diffamation, injure, au titre de la loi sur la liberté de la presse, et pour dénigrement et référencement privilégié au titre de la faute, entendue selon le Code Civil. C’est ce qu’on appelle partir à la pêche. Le 6 mars 2006, l’audience en référé a lieu ; un militant représente l’association, sans avocat. La première exception en nullité est retenue.
Reste la procédure « normale ». Depuis la première audience, fixée au 6 avril 2006, il y a eu maintes demandes de report, échanges de conclusions, audiences de fixation, etc. Les attaques contre nous se sont élargies : au titre de la « faute » civile, Pharma Concept a rajouté l’usurpation de leur code source, parce que le terme « Viralgic » apparaît dans les titres de nos rubriques. Rendre clair un site Internet avec des chapitres serait donc de l’usurpation… Certaines autres attaques ont été déboutées, comme tout ce qui concerne le droit de la presse. Le 16 avril se tenait l’audience de plaidoierie. Le jugement sera rendu le 12 septembre 2007.