La quatrième conférence de l’International Aids Society sur la pathogenèse, les traitements et la prévention de l’infection par le VIH s’est ouverte dimanche 22 juillet à Sydney (Australie). Être à l’autre bout du monde suffit-il à générer des événements nouveaux ou seulement faire tourner la tête ? Après une journée comme celle que nous avons vécue, il y a de quoi en douter.
Vingt-quatre heures de voyage et huit heures de décalage horaire, passer dans l’autre hémisphère, partir de l’été et se retrouver en hiver, il y a déjà de quoi être un peu bousculé. Mais arriver là et se retrouver, pour nous, la poignée d’activistes d’Act Up-Paris, partis pour cette conférence, confrontés à tant d’événements avant même le début de la conférence, cela nous semblait être un signe que de grandes choses pouvaient se passer ici. Pourtant, après une journée mouvementée, la plénière d’ouverture de la conférence nous a laissés sur notre faim. Décalage horaire aidant, finalement, on peut attendre demain pour voir…
Abbott strikes again
La première surprise de notre arrivée a été de nous voir proposer par l’IAS une réunion de conciliation avec le laboratoire Abbott. Une réunion pesante où chaque mot compte mais pour du beurre. Le communiqué final de l’IAS se contente de traduire strictement ce que les deux parties ont en commun : une reconnaissance de l’importance de l’accès aux traitements et de la communication. Mais aussi le retrait de la plainte d’Abbott à notre encontre et quelques paroles sympathiques de l’IAS que le Président, Pedro Cahn, a eu beaucoup de peine à trouver.
Le communiqué de l’IAS n’est que la partie visible, et positive, d’une réunion au cours de laquelle Abbott a campé sur ses positions : nous avons eu droit à une leçon de morale : interrompre l’information destinée aux médecins sur diverses pathologies, « c’est pas bien ». Nous avons fait remarqué à notre interlocuteur qu’on ne se réveille pas un beau matin avec une envie irrépressible de faire sauter leur site internet mais que la vie des malades thaïlandais est en jeu.
On pourrait croire que tout le monde s’est quitté satisfait de sa victoire : Abbott se défait enfin de l’image désastreuse qui a fait l’unanimité contre lui dans toute la communauté sida — malades, activistes, médecins, chercheurs, institutions, ONG, politiques — , nous avons obtenu en partie leur capitulation et l’IAS a son événement d’ouverture de conférence. Pourtant, rien de ce qui est à l’origine de cette bataille n’est réglé : les Thaï sont exactement au même point. La bataille contre le laboratoire va donc continuer.
Les labos nous empoisonnent la vie
Il y en a qui finiront par croire qu’on en veut à l’industrie pharmaceutique. Deuxième sujet de la journée : l’affaire Viracept ® / nelfinavir a été l’autre sujet chaud de la journée. Dans cette affaire où un laboratoire pharmaceutique, non content de se retrouver avec un problème épineux de médicament contaminé par un toxique, pense s’en tirer à bon compte en ne fournissant que des réponses floues et lacunaires là où on attend un vrai plan de gestion de crise et une réaction de responsabilité. Les malades sont une fois de plus totalement oubliés. Depuis juin dernier, on a découvert que des lots de Viracept contiennent un produit toxique employé dans le processus industriel de fabrication du médicament. Or ce produit est cancérigène. Le laboratoire rappelle les lots incriminés tandis que les agences française et européenne communiquent dans l’affolement et finissent par retirer l’autorisation de vente du médicament.
Face aux inquiétudes, le laboratoire Roche a tout de même convié les associations à un débriefing à Sydney. Au cours de cette rencontre, la firme bâloise s’est engagée à fournir les résultats des études sur l’animal demandés par l’AFFSAPS pour déterminer la toxicité du produit, l’ethyl mesilate, qui a contaminé un certain nombre de lots. On les a entendus s’engager également sur la prise en charge des frais inhérents au rappel du médicament, c’est-à-dire les frais de transport, de changement de traitement , de consultations de son médecin ainsi que l’indemnisation des patients qui auraient un problème. Nous attendons maintenant que la laboratoire tienne ses engagements. Ce qui n’a pas empêché le TRT-5 de publier un communiqué de presse intitulé « Roche a vendu du Viracetpt® contaminé et ne répond pas aux questions posées !».
Plénière un peu vide
La journée s’est conclue par la plénière d’ouverture de la quatrième conférence de l’IAS. Une plénière sans grand relief. Distraits par les danseurs arborigènes venus apporter la couleur locale aux travaux de la conférence, les quelque 6700 participants sont partis au fil des présentations somme toute assez classiques.
Le président de l’IAS, Pedro Cahn, a ouvert la conférence en rappelant qu’à chaque étape, cette rencontre connaît un peu plus de succès. On doit reconnaître que la qualité du programme de cette année a de quoi satisfaire les congressistes. Il a rappelé aussi que la prévention, introduite il y a deux ans à la conférence de Rio se concrétise ici à Sydney par de multiples sessions qui discuteront de l’avancée de nouvelles techniques de réduction des risques (circoncision, microbicides, PrEP et vaccins). Nous y reviendrons dans une prochaine chronique. Il a rappelé enfin que la conférence de Sydney est assortie d’un engagement dont il encourage la signature et qui défend la libre circulation des personnes séropositives : « combattez le sida, pas les séropositifs » a-t-il martelé. De l’activisme poli et bien élevé comme l’aime l’IAS.
Suivent ensuite les remerciements du président local de la conférence, le catalogue des « réussites » du Ministre fédéral de la Santé en matière de lutte contre le sida en Australie, dont une tentative désespérée de justification des tests pratiqués à la frontière australienne. Si personne n’a été testé pour assister à cette conférence, les candidats à l’immigration le sont systématiquement. Et le ministre de préciser que cette mesure serait nécessaire mais non discriminatoire : elle viserait à mieux traiter les personnes ! Toutes ces précautions oratoires ne tromperont personne.
À la suite de ces discours officiels suivront les présentations de synthèses de deux pointures de la communauté sida. Le Pr. Michel Kasatchkine, directeur exécutif du Fond Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme rappelle à la fois les engagements politiques et les avancées scientifiques réalisés ces dernières années ainsi que les enjeux à venir. Une présentation titrée « accès et espoir » que l’on peut voir avec autant d’optimisme que d’effroi selon la place que l’on occupe, un plaidoyer tout à l’image du diplomate que fut encore Michel Kazatchkine il n’y a pas si longtemps, alors ambassadeur de France pour le sida. Quant à Antony Fauci, son exposé couvrait les trois thèmes de la conférence : pathogenèse, traitements et prévention. Mais le directeur du NIAID, l’agence américaine, est resté dans un propos entendu, sans relief.
Finalement, la seule note discordante de la soirée fut Maura Elaripe Mea, l’activiste de Papouasie-Nouvelle Guinée. Elle seule est venue apporter de l’émotion dans une salle endormie. Avec des mots simples, cette femme séropositive a réclamé non seulement des soins mais aussi des droits. Elle a ramené les congressistes à la dure réalité d’un combat inachevé. « Parlez avec nous, pas de nous » a-t-elle lancé à l’adresse des chercheurs. Son allocution a aussi sonné comme un rappel du malaise de ceux qui semblent les maîtres et qui ne sont que des envahisseurs. Du coup, on regardait les danseurs arborigènes d’une autre manière, l’atmosphère est redevenue celle de la lointaine terre australe, les discours entendus ont paru encore plus fades, les enjeux sans réponse encore plus angoissants tandis que pour se rassurer, tels une bande de touristes sortis d’un autocar, quelques congressistes attardés se sont pressés autour de la scène pour photographier de près les danseurs tandis que la foule se précipitait à l’extérieur.
Cette première chronique de Sydney a été dure à écrire. Car nous avons appris hier le décès de notre ami Daniel qui a milité de longues années à Act Up-Paris. Nous lui dédions cette série de chroniques envoyée du bout du monde.