Le 18 juillet dernier, le commissaire européen au commerce Peter Mandelson écrivait au gouvernement de Thaïlande pour désapprouver l’émission de licences obligatoires. Après les pressions d’Abbott, la Thaïlande doit donc maintenant faire face à la Commission européenne qui n’hésite pas à réécrire le droit international pour menancer le gouvernement de Bangkok et sacrifier les malades aux intérêts de l’industrie pharmaceutique.
Aides et Act Up-Paris demandent des comptes à Peter Mandelson dans le courrier dont vous trouverez copie ci-dessous. – En pièces jointes, au format PDF, ce courrier, ainsi que la lettre du commissaire européen et la réponse du ministre thaï de la santé.Monsieur, En tant qu’associations françaises de personnes infectées et affectées en lutte pour l’accès mondial aux antirétroviraux pour tous les malades du sida, nous avons apporté notre soutien au combat que mène le Réseau Thaïlandais des Séropositifs (TNP+) pour obtenir du gouvernement de Thaïlande qu’il autorise la concurrence générique sur l’ensemble des antirétroviraux et des produits de santé dont ont besoin les malades du sida. Le TNP+ a obtenu gain de cause fin 2006 et début 2007, lorsque le gouvernement militaire de Thaïlande a émis des licences obligatoires pour deux antirétroviraux et un anti-thrombotique. C’est pourquoi nos associations sont directement heurtées par le courrier que vous avez envoyé au gouvernement de Thaïlande, le 18 juillet dernier, pour remettre en cause sa politique sanitaire à l’égard de l’accès aux médicaments génériques par voie de licence obligatoire. Certaines des assertions que vous tenez dans ce courrier contredisent directement la position que, depuis Pascal Lamy, la Commission avait jusqu’ici affichée au sujet de l’accès aux médicaments et de la Déclaration de Doha. En effet, vous écrivez dans ce courrier : « Neither the TRIPS Agreement nor the Doha Declaration appear to justify a systematic policy of applying compulsoy licenses wherever medicines excess certain prices. ». Or, l’alinéa 5.b de la déclaration de Doha indique précisément que « Chaque Membre a le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées ». D’ailleurs, le droit interne de l’UE liste expressément les prix excessifs comme motif d’émission par les Etats Membres de l’UE de licences d’office à visée de santé publique (Par exemple, l’article L613-16 du Code français de la propriété intellectuelle indique que : « Les brevets peuvent être soumis au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique dès lors que ces produits sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés »). Vos arguments contre la Thaïlande ne sont donc pas pertinents. De telles approximations donnent l’impression que vous entendez réécrire le droit international pour le seul compte de l’industrie pharmaceutique de marque, sans vous soucier des conséquences pour les malades. De même, vous encouragez la Thaïlande à négocier avec l’industrie pharmaceutique détentrice de brevets. Mais rien, dans les accords ADPIC comme dans la déclaration de Doha, n’oblige les gouvernements à agir ainsi en cas de crise sanitaire grave. Une fois de plus, vous semblez réécrire le droit pour empêcher un pays de soigner ses malades. Par ailleurs, la Thaïlande a négocié pendant deux ans avec les laboratoires concernés avant d’envisager les mesures qu’elle a prises, alors que rien ne l’y obligeait. Vos remarques sont d’autant moins justifiées. Enfin, vous écrivez que la politique thaï « risks forcing more drug companies to abandon their patents and could lead to the isolation of Thaïland from the global biotechnology investment community ». Cela pourrait sonner comme une menace déguisée. En février dernier, le laboratoire Abbott a annoncé qu’il priverait les malades de Thaïlande de toute innovation thérapeutique, puisque le gouvernement refusait de revenir sur l’émission de licences obligatoires, pourtant légales. Vous n’avez jamais condamné cette décision alors que c’est de votre ressort et qu’Abbott condamne la vie de milliers de personnes en échappement thérapeutique. Aujourd’hui, vous semblez cautionner ces menaces en les présentant comme « normales », et en imputant à la seule Thaïlande la responsabilité de son isolement. Cela ne correspond pas à l’état actuel du rapport de forces, et il est choquant de voir un commissaire européen participer, consciemment ou non, à la prise en otage de malades par l’industrie pharmaceutique. Enfin, le Parlement européen a adopté une résolution le 12 juillet dernier dans laquelle il demande à la Commission européenne de soutenir les pays qui, tels la Thaïlande, utilisent les flexibilités prévues par les accords ADPIC et la déclaration de Doha. . Quelle réponse concrète entendez-vous donner à cette demande ? Votre courrier à la Thaïlande, qui rentre en contradiction avec cette résolution, semble indiquer que vous êtes indifférent aux suggestions du Parlement. 10 000 personnes meurent chaque jour du sida, faute de traitements. Ce n’est pas une fatalité. La pandémie a des causes humaines, politiques, économiques. La pression que vous exercez sur la Thaïlande peut faire de vous un complice objectif de la pandémie, dans la mesure où, pour défendre les seuls intérêts de l’industrie pharmaceutique, vous semblez prêt à sacrifier l’accès aux traitements, donc la vie des personnes séropositives. Nous vous demandons donc de corriger vos erreurs et approximations, de rappeler fermement que la politique thaï est conforme au droit international et de soutenir, comme vous l’a demandé le Parlement européen, les pays qui utilisent les flexibilités prévues par les accords ADPIC et la déclaration de Doha pour soigner leurs malades. Faute de quoi, nous serions amenés à condamner publiquement votre position. Certains que vous comprendrez l’urgence d’une réponse publique rapide, nous vous prions agréer, Monsieur, l’expression de notre vive inquiétude, Act Up-Paris
AIDES