Depuis bientôt 10 ans, chaque mercredi une poignée de militantEs d’Act Up tient une permanence des droits sociaux (PDS) et accueillent les personnes embourbées dans des situations aberrantes. Avec près de 1 000 dossiers, nous avons appris beaucoup au fil des rendez-vous, notamment sur la relation des malades avec leur médecin quand il s’agit de leur demander de remplir un dossier pour la MDPH, par exemple.
Dans le cadre de cette permanence les personnes qui viennent ont rencontré des problèmes lors du renouvellement de leur AAH, de la carte invalidité ou lors de la première demande. En général, la raison principale des refus est que le dossier est mal rempli par le médecin. Dans les services hospitaliers où les médecins n’ont pas le temps, c’est souvent la secrétaire qui fait du remplissage sans avoir toutes les données, en se basant uniquement sur les CD4 et la charge virale sans tenir compte de la situation globale du malade (problèmes psychologiques, fatigue, douleurs, effets indésirables, etc.). Ces éléments sont importants à prendre en compte mais n’apparaissent pas dans les dossiers. Ceux-ci doivent être le plus détaillé possible, reflétant au mieux l’état de santé du demandeur. Et c’est ici que la relation malade/médecin joue un rôle clé.
Mieux vaut faire figurer dans le dossier un historique du parcours de la personne (infections opportunistes passées, traitements ou examens subis, etc.). Il est conseillé que le médecin le rajoute sous forme de courrier manuscrit. Ce n’est pas demandé mais c’est un plus.
Entre frère et père
Il existe une vraie différence dans la relation établie entre les malades récents et ceux séropositifs depuis plus longtemps. Les nouveaux considèrent leur médecin comme la personne qui a le savoir, et n’osent pas s’interposer ou demander quoi que ce soit. Ainsi, s’ils ne sont pas en forme et ont des effets indésirables mais que le médecin considère que le taux de CD4 est bon, ils ne protesteront pas devant leur dossier d’AAH incomplet ou mal rempli. Il y en a même qui arrivent à douter d’eux-mêmes : « puisque le médecin l’a dit, c’est que c’est vrai ».
Les personnes vivant avec le VIH depuis plus longtemps rencontrent d’autres difficultés. Du fait de leur passé, elles ont souvent une relation très proche avec leur médecin, qu’elles considèrent comme un membre de la famille, comme quelqu’un qui les a sauvées de la mort. Mais quand il s’agit de remplir un dossier, si le médecin ne le fait pas au mieux pour ces personnes, elles sont alors très déçues et le prennent souvent comme une trahison.
Il est essentiel de rester maître de soi-même, car le malade, celui qui vit la maladie au jour le jour, c’est nous-même. Le dialogue est essentiel mais il vaut mieux garder une certaine distance avec son médecin, savoir s’imposer sans entrer en conflit. Dès qu’on est trop proche et que le côté affectif se met en place, il devient parfois plus difficile d’intervenir. On peut avoir un très bon rapport avec son médecin mais ce n’est ni un père, ni un juge. Le médecin peut interpréter des marqueurs biologiques mais il peut se tromper, il ne faut pas entièrement s’en remettre à ses décisions. Il est important d’avoir son mot à dire.
Quand motivation rime avec argumentation
A notre permanence du mercredi, pour résoudre les problèmes de refus, ou d’attente d’un dossier AAH ou d’invalidité, dans un premier temps nous discutons avec les personnes afin de cerner leur situation. Une fois pointés les problèmes de santé, on compare avec le contenu du dossier, et on s’aperçoit souvent que les problèmes n’y apparaissent pas, on peut alors légitimement penser que tout va bien. Or un dossier incomplet ou vide sera refusé. Il faut donc le refaire, revoir son médecin et argumenter avec lui pour qu’il le remplisse en fonction de son état de santé général. Il peut être nécessaire de lui expliquer ses motivations et pourquoi l’obtention d’une carte à 80 % est important. Les nouveaux malades n’osent pas demander à leur médecin de refaire le dossier, ils considèrent le médecin comme seul juge. Certains soignants tentent de se justifier en prétextant qu’il ne sert à rien de monter un dossier car il ne sera pas accepté. Ils se positionnent en tant que juge alors que l’appréciation du dossier ne sera donnée que par les instances après examen. Les anciens par contre sont dans une sorte d’incompréhension envers leur médecin qui n’a pas répondu à leur demande et retournent le voir sans intention de dialogue.
Mieux vaut ne pas envoyer un dossier mal rempli car une fois dans les rouages administratifs, cela prend du temps : automatiquement 6 mois de délais. Si le dossier est refusé, il est indiqué qu’un recours est possible auprès du tribunal du contentieux, mais les délais sont alors démultipliés. Diplomatiquement, il est préférable de faire un recours à l’amiable, c’est-à-dire remonter un dossier d’aggravation plus détaillé qui sera mieux « accueilli ». (La MDPH n’est pas forcément en tort car si un dossier est vide ou mal rempli, elle ne peut pas faire autrement.)
Reprendre les rênes
Si le médecin refuse de remonter ou compléter un dossier, il faut peut-être envisager d’en changer, tout en sachant qu’un nouveau médecin ne remplira pas un dossier MDPH sans connaître le malade, ce qui peut prendre du temps. Les personnes qui viennent à la PDS doivent se battre pour que les choses soient faites correctement, ce n’est pas le travail des associations. Nous sommes là pour expliquer les procédures et aider à remplir au mieux les dossiers mais nous ne voulons pas nous substituer au médecin, ni au malade, ce n’est pas notre rôle. Les personnes qui ont réussi à faire modifier leur dossier ont compris ce qu’il fallait faire et où était leur intérêt. Elles ont su parler à leur médecin, lui décrire suffisamment bien leur état de santé et pourquoi ce dossier était important pour elles. Ce n’est pas facile mais c’est possible.
Inutile d’arriver en consultation avec des pages de Protocoles ou des références trouvées sur Internet. Par expérience, l’effet obtenu sera inverse à celui attendu. Les médecins prennent cela pour une remise en cause de leurs compétences. La lecture des journaux associatifs et la consultation des permanences sont importantes pour nourrir le discours et parfois trouver la force de faire face à son médecin, mais inutile de le mentionner.