Quand rien ne va plus entre le malade et son médecin, que la relation existe depuis quelques semaines ou plusieurs années, l’intervention d’un tiers peut permettre de repartir sur d’autres bases, tout en conservant un passé chargé d’informations qu’un changement de médecin ne permettrait pas. C’est le rôle des médiateurs en santé qui commencent à œuvrer dans certains services hospitaliers.
L’accompagnement des malades par leurs proches ou entre eux date de la nuit des temps. Dans les années 70, les premières luttes ont ouvert la voie aux malades cherchant à affirmer leur place dans une relation où les médecins restaient omnipotents. Il était nécessaire de faire comprendre que les malades avaient besoin de partager le pouvoir afin de mieux lutter ensemble contre le seul réel ennemi commun : la maladie ! La première bataille pour obtenir des droits commence en France pour et par les malades diabétiques. C’est eux qui seront les premiers à acquérir des droits reconnus par des lois, toujours en vigueur aujourd’hui et dont certains ne sont pas encore appliqués dans le cadre du VIH-sida.
Ainsi, tout diabétique peut obtenir la prise en charge d’un stage d’une semaine de formation, entre malades dans un centre spécialisé, géré par des malades et des infirmiers, où il pourra apprendre la base indispensable pour mieux gérer sa maladie. Les proches peuvent aussi bénéficier de stage équivalent, entre proches, où des compétences spécifiques peuvent être acquises pas à pas, grâce à des techniques basées sur l’auto-support.
Le Pr André Grimaldi, Député PS, en dénonçant le plan hôpital 2007 de Xavier Bertrand, déclarait délicatement : « En diabétologie, de manière provocante et factuellement exacte, on peut dire que dialyser ou amputer un diabétique est plus rentable que de prévenir la dialyse ou l’amputation. Les unités d’éducation thérapeutique, qui assurent cette prévention, et sont par nature plus consommateurs de personnels que de techniques, voient leur développement entravé. ».
Malade de métier ?
C’est ce que nous appelons à Act Up-Paris « apprendre notre métier de malade ». Si cette expression peut encore en choquer certains, c’est pourtant une réalité dès que surviennent des complications, le temps de gestion peut rapidement représenter jusqu’à l’équivalent d’un travail à mi-temps.
Il ne s’agit pas seulement, contrairement à ce que beaucoup pensent, du moment de la prise de médicaments, c’est aussi de nombreux rendez-vous avec les médecins, les associations, les conseillers, les infirmiers, les spécialistes, les pharmaciens, les laboratoires. C’est encore le temps d’information et d’échanges, les rencontres entre malades, c’est enfin les « délicieux » rendez-vous administratifs, dont nous avons l’excellence et le secret absolu en France.
En 2002, le « livre blanc des malades du cancer » va déclencher la fameuse loi du 4 mars 2002 et donner naissance à une nouvelle pratique et des moyens enfin reconnus pour développer ce champ, encore en jachère, des droits de tous les malades et de l’éthique de la prise en charge.
Evolutions
La médiation est un concept apparu aux Etats-Unis dans les années 80, en réponse aux problèmes du consumérisme capitaliste et libéral. À l’époque, il s’agissait uniquement de résoudre des conflits commerciaux face aux consommateurs, tout en évitant la judiciarisation. Cette médiation profitait bien évidemment aux « plus puissants », qui trouvaient là un moyen subtil d’éviter d’être stigmatisé publiquement par un procès aux lourdes conséquences. Le concept a une efficacité certaine et, de fait, est reconnu et officiellement instauré dans de nombreux secteurs de la société civile sociale, commerciale et diplomatique où la médiation peut éviter des guerres frontales et permettre de rétablir un dialogue. Nombre de chef de services ont regretté les compétences des activistes quand la fin du bénévolat a provoqué une désertion des permanences associatives à l’hôpital. Il fallait créer une nouvelle compétence professionnelle si on ne voulait pas laisser disparaître ces « experts improvisés ».
Au début de l’épidémie de sida, des médiateurs familiaux et des médiateurs culturels, essentiellement bénévoles et militants, ont joué un rôle important. Notamment quand il a fallu essayer de recréer un lien entre des familles homophobes et le partenaire homosexuel du défunt, entre des soignants sur-protégés et des malades terrorisés, ou encore face au refus de famille d’aider un proche, toxicomane hospitalisé, voire mourant. Le scandale du sang contaminé va provoquer une remise en cause des processus de décisions, même si sur certains sujet la réalité en est encore au stade du débat.
Définition
La dernière définition officielle de la médiation en santé est un : « processus de création, de re-création du lien social et de gestion de conflits (prévention ou règlement) qui reposent sur l’autonomie des partenaires et dans lequel un tiers, impartial, indépendant et sans pouvoir de trancher : le médiateur favorise par l’organisation d’entretiens confidentiels le rétablissement de la communication ou la solution du conflit. ». Cette définition a été adoptée à la suite d’un séminaire sur la médiation sociale organisé par la France en 2000, réunissant les 15 membres de l’Union européenne et des experts du Conseil de l’Europe.
Mais dans le cadre d’une maladie chronique, les choses se compliquent quand un malade est en conflit avec ses pilules. Elles n’ont pas la parole, même si elles ont l’art de nous rendre dingues et de nous faire hurler par moments. L’accompagnement de malades chroniques nécessite d’apprendre à gérer toutes les représentations et les conflits que peuvent engendrer les relations entre un malade, ses soignants, ses traitements, ses examens, ses diagnostics et surtout ses doutes. Le plus délicat à faire évoluer sont toujours nos propres représentations.
De plus, l’arrivée des nouveaux traitements toujours très contraignants et les progrès de la recherche nous impose sans cesse une technicité à apprendre et à mettre à jour. C’est là justement que le médiateur en santé prend tout son sens. Du moins c’est bel et bien cette technicité de la gestion d’une maladie qui rend d’autant plus complexe et conflictuel son acquisition et son apprentissage. Le travail idéal d’un médiateur est donc l’accompagnement d’un malade, perdu dans les contraintes auxquelles il doit faire face, pour l’amener petit à petit vers une autonomie où il puisse gérer sa situation et les multiples évolutions potentielles, avec l’aide de proches tout aussi formés, compétents et impliqués et de son ou ses médecins, attentifs à son suivi. Le comportement révélateur d’une autonomie acquise, c’est quand un malade est devenu capable, par lui-même, de changer d’interlocuteur, sans avoir forcément à déclencher de scandale mais en évitant de perdre son temps, si précieux, comme ne cesse de nous le rappeler les médecins lors de « consultations éclaires ».
Le rôle du médiateur est donc d’accompagner, et surtout pas de décider à la place d’une des parties. Le but est d’apprendre au malade à prendre ses propres décisions, de mieux en mieux, en faisant ses propres expériences et au médecin l’écoute et le partage des décisions.
Pour prétendre à l’impartialité, le médiateur ne devrait pas être médecin. Mais se pose alors le débat plus délicat de savoir s’il peut être malade et présenter sa propre expérience comme une compétence acquise dans son action professionnelle ? Ce n’est pas l’avis de tous. Ainsi, lors de la signature d’un contrat de médiateur en santé par un grand professeur, chef de service, il a été clairement stipulé, alors que l’employeur sait que ce nouveau professionnel est malade : « je ne veux pas entendre parler de vos problèmes de santé ici ! ». C’est le comble de l’hôpital, le mépris des malades par contrat d’engagement.
Information = Pouvoir
L’accès à l’information médicale a totalement explosé aussi grâce aux outils numériques. Heureusement car c’est une base indispensable pour se former et pouvoir échanger entre malades aux quatre coins de la planète. Il faut pourtant pouvoir apprendre à trouver des sources fiables et régulièrement mises à jour. La formation continue est aussi un des problèmes des médecins. Or de nombreux spécialistes du suivi de malades chroniques reconnaissent que des informations pertinentes leur sont souvent amenées par les malades, avant même qu’ils croisent ces informations sur des publications officielles et scientifiques. Évidemment, ils n’ont pas le temps de tout lire. C’est là une de nos chances de pouvoir faire valoir un échange fructueux en vue d’un partage du pouvoir.
Le médiateur doit pouvoir apprendre à un malade comment trouver des informations fiables. Son rôle n’est pas toujours de les donner ou de se substituer à tous ceux qui font déjà ce travail de manière très compétente comme les associations de malades ou les centres de ressources. Une grande partie de la réalité de la médiation consiste dans un travail de mise en relais selon les compétences nécessaires. C’était pourtant un des rôles confiés aux médecins via les fameux « réseaux-ville-hôpital ». Les compétences des médecins en matière de relais sont souvent limitées car peu de médecins connaissent les différentes associations de malades et leurs outils disponibles puisqu’ils ne sont toujours pas formés pour cela. Il est évident qu’un médiateur en santé pourrait intervenir par exemple lors de la formation initiale des médecins pour leur apprendre ces outils et les méthodes de passage de relais. Projet d’autant plus utile qu’il permettrait de mieux connaître la réalité des formations médicales universitaires afin d’apprendre aux malades à ne pas non plus se faire trop d’illusions. L’engagement sans cesse croissant des associations a permis l’éclosion d’un nombre d’outils exponentiels. Un médiateur en santé ne pourra être efficace que pour un champ donné qu’il maîtrise grâce à ses formations et son expérience, et non pas pour toutes les maladies chroniques comme certains employeurs hospitaliers en rêvent aujourd’hui.
Un des buts de la médiation en santé est de retrouver une conscience et une confiance.
Médiation critique
Il serait pourtant naïf de ne pas faire de critiques de ce nouveau concept dont on connaît les limites. En effet, tant qu’aucun statut professionnel n’a été reconnu par l’Etat, il est facile à n’importe qui de s’improviser médiateur en santé.
Le débat sur les moyens et les droits pour la professionnalisation de l’accompagnement des malades chroniques et de la médiation en santé émerge aujourd’hui, et l’État se doit de répondre par des textes législatifs d’une reconnaissance professionnelle concrète et pas seulement de sempiternelles promesses souriantes au SMIC.
L’Etat tique en médiation
Aujourd’hui la DGS ou les DRASS ont bien compris les enjeux et l’urgence de clarifier ce domaine où des circulaires récentes de l’Europe leur imposent de rattraper un retard certain.
Grâce à des budgets de la politique de la Ville, l’IMEA (Institut de médecin et d’épidémiologie appliquée) a su mettre en place dès 2000, la première formation dite de « médiateur en santé ». Tout en saluant l’initiative, il reste important d’en tirer quelques conclusions capitales pour la suite.
Cette première formation de l’IMEA a mélangé plusieurs concepts de médiation. Le flou conceptuel a également été illustré par la création de 1 500 postes relais devant servir d’expériences de recrutement pour les différents types de médiation nécessaires face à la croissance de la précarité malgré des droits sociaux pourtant disponibles. On a la sensation d’un beau méli-mélo organisé, afin de noyer les différentes revendications naissantes.
La médiation inter-culturelle ou la médiation sociale sont des spécificités essentielles pour des dialogues à renouer et des compétences à acquérir pour bénéficier de droits sociaux. Tous les médiateurs se doivent d’être capable d’un minimum sur des domaines sociaux ou culturels. Mais, la médiation repose aussi sur une forme de clinique sociale, sans qu’il y soit question de « soigner ou guérir ». Dans le cadre de la médiation en santé, la compétence principale concerne avant tout la technicité du suivi médical ; l’incroyable « prise de tête » au sujet des traitements, des contraintes horaires et de l’observance, des examens et du vocabulaire médical, des progrès scientifiques, etc.
Si ça marche, on court
En 2002, grâce à l’acharnement des malades du cancer et, entre autres, d’Anne Festa, le premier Espace-Rencontre-Information, a été créé au sein de l’Institut Gustave-Roussy. Depuis, cet espace public de médiation en santé, dédié aux malades et à leurs proches, au sein d’un service hospitalier public, a fait des petits puisqu’il y aurait aujourd’hui plus de douze autres espaces créés en Ile de France, sur ce modèle.
Il est plaisant de voir que de plus en plus de médecins jouent le jeu et frappe à la porte avant de savoir s’ils sont admis « exceptionnellement » dans ce lieu ou leur présence n’est pas indispensable au bon fonctionnement de cette initiative hospitalière, une première ! Autre exemple, ces médiateurs en santé ont droit à une prise en charge psychologique de soutien, car c’est pas le tout de vouloir soutenir les autres, mais ils ont le choix de leur spécialiste, y compris privé, en dehors de cet hôpital ou ils exercent bien sûr. L’idée de neutralité a été pensée face au pouvoir médical puisque hiérarchiquement le médiateur dépend directement du directeur de la qualité de l’hôpital, membre du CA. Concept indispensable pour neutraliser toute lutte ou rivalité d’Egos subalternes, que le médiateur pourra alors paisiblement prendre en compte, comme un frein potentiel générateur de conflits.
Il faut saluer d’un grand bravo l’initiative de ces malades du cancer qui ont permis grâce à leur ténacité d’arriver à résoudre des conflits pour mettre en place un terrain de conseil et de neutralité face au pouvoir des soignants. C’est une vraie réussite politique sur le fond.
La médiation de bon aloi
En Janvier 2001, Bernard Kouchner signait le premier Plan National d’Education pour la Santé. Les principes de ce plan consistent surtout à promouvoir l’importance de l’éducation thérapeutique. Il s’agit d’une version essentiellement consacrée aux soignants les incitant à mieux s’investir dans ce domaine grâce à quelques moyens. Il est précisé toutefois qu’une place doit être accordée aux « associations d’usagers », concernant les formations en éducation thérapeutique. Il s’agit d’un premier cadrage de l’INPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) et du CFES (Comité français d’éducation pour la santé) : « Néanmoins l’ensemble des acteurs souffre d’un manque de légitimité (non reconnaissance des compétences), d’un manque de stabilité (course aux financements) et d’un manque de cohérence (compétition entre les structures) ».
En mars 2002, Bernard Kouchner signait le « grandiose » rapport rédigé par Mme Brigitte Sandrin Berthon : « Education pour la santé, éducation thérapeutique : quelles formations en France ? Etats des lieux et recommandations ». Ce rapport brillant de 4 pages est une « commande » de l’OMS qui ne pouvait exiger moins face au retard français en la matière. Mais le must est que le mot « malade » n’apparaît pas une seule fois ; une prouesse absolue en matière d’éducation thérapeutique…
Le 15 juin 2007, sortait le texte de référence, la nouvelle circulaire de la DGS et la DHOS qui définit les missions des établissements de santé en matière « d’éducation thérapeutique et de prévention dans le champ de la sexualité chez les personnes vivant avec le virus de l’immunodéficience humaine VIH ». Il s’agit du premier texte définissant clairement les missions, les enjeux et les modalités d’intervention de l’éducation thérapeutique dans le domaine du VIH. De plus ce texte est accompagné de dotations financières sur des lignes de crédits spécifiques.