Le 18 juillet dernier, le commissaire européen au commerce Peter Mandelson écrivait à la Thaïlande. Le courrier est poli, le ton est diplomatique, mais ne trompe personne : il s’agit bel et bien de pressions contre la politique sanitaire du pays.
Le commissaire affirme que rien, « dans les accords TRIPS ou dans la Déclaration de Doha ne semble justifier un recours systématique aux licences obligatoires quand les prix des médicaments dépassent un certain montant ». Or, d’une part, avec trois molécules sous licences obligatoires, la politique de la Thaïlande n’a rien de systématique. D’autre part, elle aurait toute légitimité pour l’être. L’alinéa 5.b de la déclaration de Doha indique précisément que « chaque Membre a le droit d’accorder des licences obligatoires et la liberté de déterminer les motifs pour lesquels de telles licences sont accordées ».
D’ailleurs, le droit interne de l’Union européenne liste expressément les prix excessifs comme motif d’émission par ses Etats-membres de licences obligatoires à visée de santé publique (par exemple, l’article L613-16 du Code français de la propriété intellectuelle indique : « Les brevets peuvent être soumis au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique dès lors que ces produits sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés »). Si on suivait le raisonnement de Peter Mandelson, la France serait donc dans l’illégalité.
Le commissaire européen encourage ensuite la Thaïlande à négocier avec l’industrie pharmaceutique détentrice de brevets, et cite précisément Sanofi Aventis. Or, rien dans les accords TRIPS comme dans la déclaration de Doha, n’oblige les gouvernements à agir ainsi en cas de crise sanitaire grave. Une fois de plus, Peter Mandelson réécrit le droit et se comporte en véritable VRP de l’industrie de marque. Ses remarques sont d’autant moins justifiées que la Thaïlande a négocié pendant deux ans avec les laboratoires concernés avant d’envisager les mesures qu’elle a prises.
Il écrit enfin que la politique thaï « risque d’obliger plus de compagnies à abandonner leurs brevets et pourrait conduire à l’isolement de la Thaïlande vis-à-vis des investisseurs ». C’est-à-dire que Peter Mandelson menace de façon à peine voilée un gouvernement souverain. La Commission européenne, qui n’a jamais condamné le blocus d’Abbott, cautionne ses pratiques en les présentant comme normales et en imputant à la seule Thaïlande la responsabilité de son isolement : bizarre façon de considérer le rapport de forces, qui serait en défaveur de la pauvre Big Pharma. Est-il dans les attributions d’unE Commissaire européenNE de participer à la prise en otage des malades d’un pays ?
La lettre de Peter Mandelson coincide avec une résolution du Parlement européen, adopté le 12 juillet dernier, dans laquelle il demande à la Commission européenne de soutenir les pays qui, tels la Thaïlande, utilisent les flexibilités prévues par les accords TRIPS et la déclaration de Doha. De toute évidence, Peter Mandelson se moque de telles résolutions.
Mi-août, Aides et Act Up-Paris écrivaient au Commissaire pour lui demander des comptes. Quinze jours plus tard, nous recevions une non-réponse : des propos généraux, aucune information sur nos sollicitations, et la volonté, toujours manifeste, de réécrire le droit international pour servir la soupe à l’industrie de marque. Globalement, la position de Peter Mandelson est : « je soutiens la déclaration de Doha tant qu’elle n’est pas appliquée ». Et qu’importe les vies des malades de Thaïlande, tant que les bénéfices de l’industrie sont assurées.