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Abbott engage des poursuites contre nous, en mai, et retire sa plainte en juillet. Que le laboratoire ait beaucoup perdu en termes d’image publique n’y change rien : le géant pharmaceutique a voulu nous faire taire, et à travers nous, toutes celles et ceux qui veulent s’opposer à sa politique criminelle. Ce texte, paru dans le numéro 41 de Vacarme, analyse la stratégie minable d’Abbott et la résistance qui lui a été opposée.

La plainte d’Abbott contre Act Up-Paris visait à faire taire les groupes contestant la politique du géant pharmaceutique en Thaïlande. Des équipes de communication regroupant des dizaines de salariéEs et l’embauche du prestigieux cabinet Backer et MacKenczie n’ont pourtant pas empêché que le laboratoire, qui a réalisé 22,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2006, fasse l’unanimité contre lui et abandonne ses poursuites deux mois après.

Si l’arme de pression a pu se retourner à ce point contre son utilisateur, c’est qu’elle a été prise au sérieux par les personnes qu’elle visait. Bien sûr, Abbott avait tout à prouver, notamment la réalité du « blocage » de son site et les préjudices supposés. Il n’en reste pas moins que le laboratoire a porté plainte au pénal, montrant par là que ses intentions ne se limitaient pas à obtenir des réparations civiles, mais bien de faire taire des militantEs, en menaçant la survie même de l’association. Rendue publique, cette menace révélait la position réelle du laboratoire, rouleau compresseur prêt à tout écraser sur son passage, et rendait vains les prétextes philanthropiques qu’Abbott cherchait à vendre pour justifier sa politique.

La plainte a ainsi pu catalyser les soutiens traditionnels, mais aussi ceux d’associations d’habitude très critiques vis-à-vis des méthodes d’Act Up-Paris, ou encore de chercheurEs et de médecins qui ne s’étaient jamais prononcéEs sur les questions de fond posées par la politique d’Abbott. La menace juridique a enfin permis de resserrer les liens d’Act Up avec les activistes et les malades de Thaïlande, réunis au sein du TNP+, accélérant ainsi les communications et les échanges d’information.

Ces liens ont permis d’éviter le piège principal de la plainte. Du point de vue des dirigeantEs d’Abbott, celle-ci ne pouvait être efficace que s’ils/elles avaient pu séparer la forme du fond, c’est-à-dire discréditer le mode d’action utilisé par Act Up-Paris, pour en faire oublier les raisons. Or, si les activistes et leurs soutiens ont revendiqué le retrait de la plainte, leur exigence première restait la levée du blocus thérapeutique exercé par Abbott contre la Thaïlande. Cette position est bien résumée par le directeur de Aides qui demande, dans son discours d’ouverture d’une conférence sur le sida le 1er juillet : « Je demande enfin à Abbott de mettre fin à ses poursuites contre Act Up, mais ça ne suffira pas, ça ne suffira plus. Je demande à Abbott et aux autres laboratoires de cesser les représailles envers les pays usant de la licence obligatoire. » (lire les morceaux choisis de ce discours).

Un article du code pénal utilisé par Abbott indique que la mise à disposition d’un outil de blocage d’un site Internet est un délit, sauf en cas de « motif légitime ». Le procès aurait donc consisté à savoir si la dénonciation du blocus thérapeutique conduit par Abbott en Thaïlande en est un. Dès lors, tout journaliste qui s’intéressait au sujet ne pouvait évoquer l’action d’Act Up sans rappeler l’émission, légale, par la Thaïlande d’une licence obligatoire, ni la mesure de rétorsion d’Abbott, illégitime, mais contre laquelle il n’existe aucun recours juridique. Au lieu de détourner l’attention de sa politique, la plainte a permis d’en faire parler encore plus. Le procès d’Act Up, s’il avait eu lieu, se serait transformé en procès d’Abbott.

Pris au piège, le laboratoire a piteusement retiré sa plainte, refusant à tout moment de discuter publiquement de sa décision en Thaïlande. Le blocus thérapeutique y est maintenu. Cet épisode n’aura été qu’une petite parenthèse, sans doute réjouissante, mais très limitée dans l’histoire de l’accès aux traitements et de la circulation des médicaments génériques : alors que les pressions continuent contre le gouvernement de Bangkok (États-Unis, Commission européenne), il est désolant de constater qu’il aura fallu une action en justice contre une association française pour que les médias et les scientifiques se préoccupent de la situation des malades de Thaïlande.