Le nombre croissant de personnes vivant avec le VIH sous multithérapie et ayant eu ou non une atteinte rénale donne son sens à la question des effets secondaires rénaux des antirétroviraux.
La liste des antirétroviraux identifiés comme potentiellement responsables d’une toxicité rénale sont présentés ici. Il est à noter que certaines complications rénales sont le fait de cas rapportés isolés et concernent des personnes recevant en plus de la multithérapie antirétrovirale un nombre parfois élevé d’autres traitements. Dans ces circonstances, l’implication univoque des antirétroviraux dans la survenue d’une complication rénale n’est pas toujours claire. Ainsi, d’autres médicaments, notamment les amino-glycosides comme les antibiotiques contre les staphylocoques et les mycobactéries (responsable en particulier de la tuberculose), l’amphotéricine B utilisé dans le traitement des candidoses, le foscarnet efficace contre le CMV, peuvent également présenter une toxicité rénale.
La cohorte Aquitaine de suivi des personnes vivant avec le VIH a permis de faire émerger les trois principaux facteurs de risque d’une atteinte rénale : un âge supérieur à 50 ans, un poids trop faible, et la prise de ténofovir. Dans cette cohorte, près de 23 % des participants présentent une atteinte rénale : modérée pour 18 %, assez sérieuse pour 4,5 % et sévère pour 0,3 %. Pour 0,2 % des personnes l’atteinte rénale observée est définitive.
Inhibiteurs de la protéase
Parmi les inhibiteurs de protéase, l’indinavir est l’antirétroviral le plus fréquemment impliqué dans la survenue de troubles rénaux tels que l’accident rénal aigu ou chronique, la leucocyturie, la protéinurie modérée, l’hématurie, la néphrolithiase (présence dans les cavités rénales d’un ou plusieurs calculs) ou la nécrose papillaire (mort de certaines cellules du rein). Les symptômes d’une toxicité rénale peuvent apparaître une semaine après l’initiation du traitement par l’indinavir. Ils sont dus à la cristallisation, c’est-à-dire au dépôt de l’indinavir sous forme solide, dans certaines parties du rein. Les facteurs de risque sont, outre ceux habituellement associés à une néphrolithiase (déshydratation et température ambiante élevée), un pH urinaire inférieur à 6, des urines « acides » et la prise de fortes doses d’indinavir. Un co-traitement par du cotrimoxazole (Bactrim®) ou de l’aciclovir peut aussi constituer un facteur de risque supplémentaire à un effet secondaire rénal associé à l’indinavir. La prévalence et l’incidence des effets secondaires rénaux et urinaires dus à l’indinavir sont variables d’une étude à l’autre. La prévalence a été estimée, sur un groupe de 54 personnes naïves de tout traitement par l’indinavir, à près de 70 % en début de traitement, mais, fort heureusement, celle-ci chute à 25 % après deux semaines. La fréquence des complications urinaires, notamment les coliques néphrétiques, est, quant à elle, estimée entre 7 % et 21 % selon l’étude. Par exemple, dans une étude portant sur 1 219 personnes dont 644 traitées par l’indinavir, l’incidence des troubles urologiques / néphrologiques dus à l’indinavir, en particulier une néphrolithiase avec douleur aiguë, a été estimée à 8 % contre moins de 1 % pour les autres inhibiteurs de protéase. Dans une autre étude portant sur 555 personnes traitées par l’indinavir dans le cadre d’une multithérapie, l’incidence des coliques néphrétiques sur 2 ans était de près de 27 % des malades. Dans une autre étude de 48 semaines, incluant 55 personnes et visant à évaluer l’association ritonavir/indinavir, 100/800 mg deux fois par jour dans le cadre d’une multithérapie, près de 35 % des malades ont dû interrompre le traitement suite à une néphrolithiase. La fréquence de troubles rénaux modérés, en particulier élévation de la créatinine au-delà de 14 mg/L et une leucocyturie, a également été estimée : elle est comprise entre 9 % et 25 % selon les études.
Les effets secondaires rénaux et urinaires associés à l’indinavir sont généralement réversibles et cessent à l’arrêt du traitement par cet antirétroviral. Il faut donc pour le médecin mettre en balance l’efficacité du traitement par l’indinavir et le risque d’effets secondaire rénaux, voire d’atteinte rénale irréversible. Plusieurs études, fondées sur l’examen de biopsies, ont montré qu’une néphropathie induite par l’indinavir pouvait être la cause de troubles rénaux permanents. Quelle que soit la nature des complications urinaires ou rénales rencontrées, elles sont à l’origine de l’arrêt du traitement par indinavir chez 33 % des personnes chez lesquelles ces complications sont observées. En cas de survenue de troubles rénaux et/ou urinaires dus à la prise d’indinavir, la poursuite du traitement doit être associée à une surveillance rénale accrue, à une augmentation de la miction (il faut donc boire beaucoup), à un ajustement de la dose d’indinavir, à un examen régulier des urines et enfin à une mesure régulière de la créatinine.
A côté de l’indinavir, certains autres inhibiteurs de protéases provoquent des effets secondaires rénaux, comme les coliques néphrétiques sous nelfinavir ; cependant les troubles urinaires et/ou rénaux observés avec cet antirétroviral demeurent très rares.
Le ritonavir est lui aussi parfois responsable de troubles rénaux aigus. Une augmentation de la créatinine peut être observée dans les 3 jours suivant l’initiation du traitement et peut nécessiter une mise sous dialyse. Ces effets secondaires sont généralement réversibles à l’arrêt du traitement par le ritonavir. En outre, une étude mentionne la survenue de troubles rénaux chez 12 % des 87 personnes enrôlées et recevant une association ritonavir/saquinavir. Mais dans cette étude, réalisée sans groupe contrôle ne prenant pas de ritonavir et pour laquelle l’augmentation moyenne de la créatinine était de 66 %, les manifestations rénales observées ne pouvaient pas être imputées sans équivoque au ritonavir. La survenue de calculs rénaux dans le cadre d’un traitement par saquinavir a été observée, mais elle demeure exceptionnelle. De fait, aucune toxicité rénale attribuée à cet antirétroviral n’a été mentionnée lors d’un essai clinique avec groupe contrôle. Un autre médicament de cette classe, l’atazanavir, provoque la survenue d’urolithiase après une durée moyenne de 23 mois de traitement chez environ 1 % des personnes traitées. Ce résultat a été obtenu à partir d’une étude rétrospective portant sur un peu plus de 1 100 personnes, parmi elles, 11 ont présenté une urolithiase. L’âge moyen des personnes concernées par cet effet secondaire était de 45 ans ; 5 étaient co-infectées par le virus de l’hépatite C et 4 avaient déjà eu une urolithiase. Cette urolithiase s’est manifestée chez 10 des 11 personnes par de fortes douleurs rénales : chez 5 d’entres elles, le traitement par atazanavir a dû être interrompu. Elle semblait provoquée par la précipitation d’atazanavir pur sous forme de calcul dans les urines. Les médecins responsables de cette étude rétrospective pensent que la survenue d’un premier épisode d’urolithiase chez une personne sous atazanavir ne doit pas conduire à l’arrêt du traitement. En revanche, il est fortement conseillé à ces personnes de boire beaucoup d’eau. Les médecins concluent par ailleurs que le fait de ne pas boire suffisamment et la survenue d’urolithiase dans le passé seraient deux facteurs de risque dans l’apparition de cet effet secondaire.
Inhibiteurs nucléotidiques de la transcriptase inverse
Le ténofovir présente une toxicité rénale de type troubles rénaux aigus. Comme pour les inhibiteurs de protéase, les effets secondaires observés sont généralement réversibles à l’arrêt du traitement par cet inhibiteur non nucléotidique de la trancriptase inverse. Un cas de syndrome néphritique aigu avec syndrome de Fanconi et leucocyturie a été décrit. Chez la personne concernée, deux mois après l’arrêt du ténofovir, la créatinine n’était toujours pas revenue à sa valeur de base. Cependant, la toxicité rénale du ténofovir demeure assez rare, moins fréquente en particulier que celle de l’adéfovir, association de cidofovir et ténofovir prescrite dans le traitement de l’hépatite B chronique.
Inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse
La toxicité des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse est moins fréquente que celle des inhibiteurs nucléotidiques. Deux types d’atteintes rénales ont été décrits. La toxicité rénale de ces antirétroviraux peut être du même type que celle observée avec les inhibiteurs nucléotidiques. Un cas a ainsi été décrit avec la didanosine et un autre avec la lamivudine et/ou la stavudine. Un autre type d’atteinte rénale aiguë est observé chez des malades présentant une acidose métabolique secondaire à une toxicité mitochondriale imputable aux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse. Par ailleurs, un cas de biopsie rénale démontrant la présence d’une néphrite intersticielle immuno allergique a été signalé chez une personne sous abacavir présentant une atteinte rénale aiguë. La fonction rénale de cette personne s’est améliorée à l’arrêt du traitement par abacavir et initiation d’une corticothérapie.