Nous avons rencontré Sylvain et Manuel en début d’année à leur initiative afin de nous présenter leur étude Sport et VIH. La refléxion et le projet menés nous ont semblé particulièrement intéressante. Nous avons voulu les retrouver afin de faire connaitre une vision un peu différente des discours actuels sur le culte du sport.
Quelles sont les motivations qui vous ont conduits à mener votre étude « Sport et VIH ? »
Sylvain et Manuel : elles sont plurielles. D’abord l’étude « Sport et VIH » s’est inscrite dans le prolongement d’un travail en cours sur l’histoire du mouvement sportif gay et lesbien, qui fête cette année ses 20 ans en France, et de la charte Sport & VIH créée en 2001. Ensuite, nous avions envie de poursuivre notre collaboration dans une étude originale de sociologie appliquée, où nous pouvions chacun apporter notre expérience et notre background : l’un son approche sociologique et ses études dans le domaine du sport ; l’autre ses 22 ans de vie avec le VIH et son investissement dans le milieu sportif gay et lesbien, national et international. Enfin, nous pensons que cette étude intervient opportunément au moment où on s’intéresse toujours plus à la qualité de vie avec le VIH et où la santé et le sport sont regroupés dans un même ministère.
La Fédération Sportive Gaie et Lesbienne (FSGL*) a mis en place une charte « VIH et Sport ». Pourquoi et comment est née cette initiative ? En quoi consiste-t-elle ?
Manuel : la Fédération Sportive Gaie et Lesbienne est née à Paris, en 1987 au pire moment des années sida. Plusieurs actions de solidarité ont été réalisées pendant les premières années, mais ce n’était pas vraiment le cœur du sujet, voire aux antipodes. Au début des années 2000, alors que je dirigeais la Fédération, j’ai participé aux travaux de la Direction Générale de la Santé sur la prévention du VIH et des IST auprès des homosexuels. J’ai eu l’idée de mobiliser les clubs et les adhérents autour d’une charte commune sur « Sport et VIH ». La participation a été forte, mais les réticences aussi grandes. Finalement, j’ai proposé un texte de synthèse issu des discussions. Cette charte a été adoptée en assemblée générale et devait l’être par tous les clubs membres de la Fédération. Je crains que cette étape n’ait pas été bien formalisée. L’objectif était triple :
– informer et prévenir en réservant une place systématique à la prévention du VIH et des IST lors des communications et des événements sportifs ou conviviaux de la FSGL et des clubs sportifs ;
– accueillir et être solidaire en s’assurant que toute personne séropositive puisse être accueillie dans chaque club et chaque manifestation et aider à l’amélioration du bien-être par le sport ;
– communiquer et responsabiliser en utilisant les valeurs du sport comme outil de communication et de responsabilisation individuelle autour d’un slogan du genre, « soyez sport, protégez-les, protégez-vous ».
On entend beaucoup parler de l’effet positif du sport sur la santé. Mais dans le cadre de cette étude, vous ne partez pas forcément de ce principe. Pouvez-vous nous l’expliquer ?
Sylvain et Manuel : ce n’est pas une étude scientifique sur les effets du sport sur la santé. Il existe une littérature scientifique qui s’intéresse aux effets physiologiques de l’exercice chez les séropositifs, mais dans des conditions expérimentales d’exercice qui n’ont pas grand rapport avec les usages et les significations associés au terme « sport ». Parallèlement, d’autres travaux attestent des processus de stigmatisation des séropositifs, qui génèrent des processus d’exclusion sociale (qui sont d’ailleurs souvent des processus d’auto-exclusion) et des difficultés d’accès aux pratiques de loisirs, notamment lorsqu’elles engagent le corps. Nous refusons donc de céder a priori à l’idée reçue selon laquelle le sport aurait, en soi, nécessairement un effet positif sur la santé des personnes, leur qualité de vie et leur insertion sociale, a fortiori lorsqu’elles sont considérées comme « malades ». Il s’agit pour nous de confronter cette idée reçue à la réalité des expériences et des pratiques. L’objectif est ainsi :
1. de produire des connaissances à la fois sur les manières de considérer le corps atteint par le VIH, sur les conséquences que cela génère sur sa prise en charge, et sur la façon dont les personnes séropositives vivent elles-mêmes ces regards et ces modes de traitement de leur corps ;
2. d’impliquer les acteurs sociaux susceptibles d’être intéressés par la prise en charge sportive des personnes séropositives dans le travail de recherche, mais aussi de les accompagner dans la tentative d’appliquer les résultats finalement obtenus.
On sait que le VIH modifie profondément sa relation au corps. Comment le sport intervient-il dans ce rapport ?
Sylvain : avant même l’existence de symptômes, le simple fait qu’une autorité compétente pose le diagnostic de séropositivité au VIH transforme profondément le rapport au corps. Le sujet se voit doté d’une nouvelle identité, qui est d’abord une identité de « malade ». Cette identité lui donne des droits et des devoirs, et s’assortit d’une attention particulière au corps. Le « malade » doit prendre garde à son corps car, pour plus que tout autre, sa santé est directement en jeu. Cette attention permanente est stimulée et renforcée par les systèmes sociaux, médicaux ou associatifs, qui prennent en charge et contrôlent régulièrement son corps, et l’incite à en faire de même (en jouant sur le registre de la responsabilisation). On voit bien quelle place la pratique sportive peut prendre dans ce mode de gestion sanitaire du capital corporel. Elle peut devenir un aspect périphérique de plus dans le traitement thérapeutique, s’accomplir dans un souci de compliance médicale. Mais le sport peut aussi être vécu comme un moment où le corps permet de sortir de ce rapport contraignant au corps, un espace ludique, un moment de plaisir et de liberté qui permet d’échapper à cette logique de surveillance corporelle de tous les instants. On le voit, le sport et la pratique physique n’ont pas un effet simple et univoque sur la relation au corps de la personne. Les effets peuvent être multiples et opposés selon l’histoire des individus (les choses semblent par exemple très différentes pour les personnes qui ont un passé sportif et celles qui n’en ont pas) et selon les cadres d’activités envisagés. Ainsi, la pratique sportive peut tout à la fois confronter à l’incapacité et à la faible « productivité » associée au corps malade, ou être un moyen de réappropriation de son corps, motif de plaisir et de fierté.
Comme dans d’autres domaines, il peut y avoir une certaine contradiction entre la volonté d’être un sportif comme un autre, tout en désirant que le VIH, les traitements ou les effets secondaires ne soient pas mis de côté. Comment les personnes que vous avez déjà rencontrées gèrent-elles cette « dualité » ?
Sylvain et Manuel : nous ne pouvons pas encore livrer des conclusions sur notre étude mais nous entendons en effet souvent cette dualité. Elle implique des réactions très personnelles comme d’arrêter brusquement l’activité ou tout au contraire la mener à l’extrême des possibilités. Parfois, elle entraîne l’auto-exclusion, de la compétition par exemple. De fait, le sport est un symbole de vie et apparaît assez fréquemment antinomique avec l’évocation du VIH, encore très chargée émotionnellement. C’est sans doute là un axe intéressant de recherche. Le but serait de faciliter les déblocages des freins à l’activité sportive quel que soit l’état de santé et finalement cette thématique peut largement dépasser la seule pandémie du VIH.
Pour en revenir à l’étude, avez-vous déjà rencontré beaucoup de personnes ? Quel est le profil des participants ? Cela correspond-il à ce que vous pouviez attendre de ce genre de recherche ?
Sylvain et Manuel : nous n’avons pas l’impression de nous être éloignés de l’étude [rires] ; notre étude comprend en fait 3 phases qui, faute de financement pour le moment, vont s’étaler sur une période plus longue.
La 1ère phase consiste à mener une série de 20 témoignages individuels (et anonymes) avec des personnes séropositives afin de recueillir des informations sur la manière dont leur séropositivité a affecté leur expérience du corps et du sport (un entretien de 1h30 à 2h) ;
Ensuite, nous allons constituer un groupe de réflexion d’une dizaine de personnes en vue d’élaborer, au cours de 3 réunions, un questionnaire visant à étudier les pratiques physiques et sportives des personnes séropositives, et la manière dont l’infection les a fait évoluer ;
Enfin, nous présenterons les résultats et débattrons de solutions pratiques à mettre en œuvre avec l’ensemble des acteurs sociaux, sportifs et politiques concernés lors d’assises sur Sport & VIH.
Pour les entretiens individuels, nous avons réalisé douze entretiens, recrutés au travers de canaux variés comme les clubs sportifs gays et lesbiens, les associations de lutte contre le sida ou les lecteurs de la presse communautaire. Evidemment, cela se passe toujours sur la base du volontariat ; nous avons rencontré surtout des hommes, plutôt sportifs et plutôt franciliens. Nous devrons encore interviewer davantage de femmes et des provinciaux, mais dans l’ensemble les contacts jusqu’à présent nous ont permis de bien avancer la recherche. Nous avons évidemment encore besoin de témoignages !
Quel accueil avez-vous reçu des associations sportives et des associations de lutte contre le sida ?
Sylvain et Manuel : nous avons reçu partout un accueil sympathique et une écoute attentive. Peut-être arrivons-nous à un moment où cette problématique concerne l’ensemble des acteurs. Notre étude est soutenue officiellement par la FSGL et plusieurs clubs sportifs, ainsi que des associations de lutte contre le sida comme Act Up-Paris, Envie Montpellier et le Kiosque Info Sida. Nous sommes aussi en contact avec Aides, Action Traitements et Sidaction. Finalement, le lieu de rassemblement est le groupe de réflexion. Et nous sommes ravis d’y voir travailler ensemble tous les acteurs sociaux et sportifs. Cela augure bien des assises du Sport & VIH.
Quelles sont maintenant les prochaines étapes ? Où en êtes-vous de l’organisation des assises « Sport et VIH » ?
Sylvain et Manuel : nous avons démarré la phase II de notre étude. C’est-à-dire que nous continuons les entretiens individuels mais réunissons également le groupe de réflexion pour réaliser un questionnaire qui pourra être distribué très largement à toutes les personnes vivant avec le VIH, courant 2008. En fonction des réponses et du soutien que nous obtiendrons, nous pourrons finaliser les résultats plus ou moins rapidement. Idéalement, notre souhait est de réunir des assises du Sport & VIH pour le 1er décembre 2008, mais le sujet mérite que l’on ne le bâcle pas par une échéance trop proche.
Appel à témoignages
Si vous souhaitez participer à cette étude « Sport et VIH », vous pouvez contacter directement Sylvain ou Manuel