Les troubles rénaux étant assez fréquents chez les personnes vivant avec le VIH, la prévention d’une évolution vers une atteinte rénale chronique est par conséquent essentielle.
Deux rôles principaux, joués par les antirétroviraux doivent être considérés : leur toxicité rénale à long terme, mais aussi leur place dans la survenue d’une atteinte rénale permanente faisant suite à un épisode aigu. Le diagnostic de toxicité rénale due à un traitement antirétroviral est facilement évoqué lorsqu’une personne est victime d’un trouble rénal aigu. Cependant, les troubles rénaux chroniques sont également fréquents chez les personnes vivant avec le VIH et, par conséquent, la toxicité rénale des antirétroviraux peut être sous-estimée comme origine d’une néphropathie. Il est donc essentiel de prendre en compte une toxicité rénale à long terme insidieuse des antirétroviraux dans la progression d’atteintes rénales. Pour cela, il est indispensable d’initier des études à long terme. La nécessité de telles études est renforcée par les études de sécurité réalisées avec l’indinavir qui montrent qu’une partie des personnes traitées, victimes d’un épisode rénal aigu, ne retrouvent jamais, à l’issue de celui-ci, une fonction rénale de base. De tels résultats renforcent l’idée de dommages rénaux définitifs après un épisode rénal aigu imputable à une trithérapie.
Quand la maladie rénale précède la prise d’antirétroviraux
Lorsqu’un traitement antirétroviral doit être initié chez une personne vivant avec le VIH ayant une atteinte rénale préexistante associée ou non au virus, deux aspects cliniques sont à prendre en compte. Premièrement, pour chacun des médicaments prescrits, le médecin doit estimer le risque d’effets secondaires provoqués par l’accumulation des antirétroviraux et de ses métabolites, dans la mesure où ceux-ci vont être moins facilement éliminés par voie urinaire en raison du dysfonctionnement rénal préexistant. Deuxièmement, le praticien doit envisager la possibilité d’une aggravation de l’atteinte rénale due aux antirétroviraux. Il y a là un risque de cercle vicieux : le dysfonctionnement rénal préexistant provoque l’accumulation anormale des antirétroviraux dont la toxicité rénale potentielle peut aggraver l’atteinte rénale de départ. Ces craintes ont malheureusement été confirmées par un cas concret qu’il est intéressant de relater. Il s’agissait d’une personne, âgée de 49 ans et présentant une atteinte rénale caractérisée par une vitesse de filtration glomérulaire beaucoup trop faible. Cette personne a été admise dans un service d’urgence pour une acidose particulièrement grave accompagnée d’une atteinte rénale aiguë. Cette hospitalisation d’urgence intervenait quelques semaines après un changement de traitement avec introduction de didanosine, sans adaptation de la dose pour tenir compte de la vitesse de filtration glomérulaire réduite, et ce malgré le dysfonctionnement rénal préexistant. Le médecin qui mentionne ce cas évoque une augmentation de la toxicité mitochondriale due à l’association ténofovir/didanosine dans un contexte d’atteinte rénale chronique entraînant l’accumulation de ces antirétroviraux et l’aggravation de l’atteinte rénale. La personne est décédée des suites de son acidose. Il existe maintenant des recommandations précises sur l’adaptation de dose en fonction de la valeur de la vitesse de filtration glomérulaire à effectuer en cas d’atteinte rénale chronique : à votre médecin de s’y référer impérativement.
Précautions à prendre
Malgré l’adaptation des doses d’antirétroviraux prises quotidiennement, certaines personnes vivant avec le VIH vont progressivement développer une atteinte rénale. Pour le médecin, la difficulté est alors de déterminer l’origine de cette maladie rénale évolutive. L’enjeu étant, à côté de mesures symptomatiques, de mettre en place une thérapeutique adaptée.
L’origine de l’atteinte rénale chez la personne vivant avec le VIH peut être de quatre grands types.
– Premier type, une néphropathie associée au VIH, notamment HIVAN, glomérulonéphrite et microangiopathie thrombotique (MAT).
– Un deuxième type tient à un déficit immunitaire, qu’il soit induit par une co-infection virale, bactérienne ou parasitaire notamment.
– L’atteinte rénale peut, en troisième lieu, trouver son origine dans une néphropathie due à la toxicité d’un médicament, notamment un antirétroviral.
– Enfin, il peut s’agir de néphropathies indépendantes de l’infection par le VIH, de ces conséquences et des traitements.
Pour s’aider, le médecin utilisera la présentation clinique de l’atteinte rénale de la personne vivant avec le VIH et, en fonction du syndrome rénal, il essaiera de classer ce dernier dans l’un des quatre groupes définis ci-dessus. Dans certaines situations, une biopsie rénale peut être nécessaire.
Pour s’aider, le médecin doit se souvenir aussi que la majorité des atteintes rénales touchant les glomérules sont, chez la personne séropositive, soit une HIVAN soit une autre inflammation des glomérules dues au VIH soit encore la complication d’une co-infection par une hépatite B et/ou C. Mais d’autres inflammations des glomérules sont aussi souvent le fait de bactéries ou parasites. Une histologie rénale sera très utile en cas de situation équivoque. Cependant, ce type d’examen lourd est délicat, nécessitant une biopsie, c’est-à-dire un prélèvement du tissu rénal, ne peut être envisagé que dans le but d’initier un changement profond de la thérapie.
Des conséquences à ne pas prendre à la légère
Une néphropathie vasculaire aiguë, c’est-à-dire une atteinte générale des vaisseaux du rein avec hypertension sévère, indique généralement une microangiopathie thrombotique due notamment au VIH ou à une infection opportuniste. Les atteintes vasculaires du rein peuvent également être dues aux antirétroviraux dans la mesure où les personnes sous trithérapie sont plus à risque de développer prématurément une athérosclérose. Dans ce contexte, il faut savoir que les complications les plus fréquentes de l’athérosclérose rénale chez les personnes sous multithérapie, sont la néphropathie ischémique. Cette affection des vaisseaux du rein qui correspond à leur obstruction progressive avec diminution de l’apport sanguin au niveau du rein, est responsable d’insuffisances rénales chroniques et d’infarctus du rein.
Autre type d’atteinte rénale, la néphropathie tubulo interstitielle est normalement facilement identifiable. Malheureusement, chez les personnes vivant avec le VIH, la néphropathie tubulo interstitielle est souvent plus insidieuse, pouvant revêtir divers aspects tels que syndrome de Fanconi, acidose tubulaire qui précède souvent une élévation de la créatinine. Dans cette dernière situation, deux diagnostics semblent devoir retenir l’attention. Premièrement, celui de néphrite tubulo-intersticielle infectieuse, notamment à mycobactéries (bactéries du type de celles responsables de la tuberculose). Un deuxième diagnostic qui semble pouvoir être posé plus fréquemment est celui de néphrotoxicité médicamenteuse, les tubules étant en effet une cible privilégiée de la toxicité des antirétroviraux. Le diagnostic clinique de néphrite tubulo-intersticielle infectieuse peut être facilité par des manifestations cliniques extra-rénales et une histologie rénale, cette dernière nécessitant une biopsie. Pour ce qui concerne la néphrite tubulo intersticielle d’origine médicamenteuse, un examen attentif de la chronologie comparant l’évolution de l’atteinte rénale avec l’introduction du traitement potentiellement néphrotoxique, peut aider à la mise en cause d’un antirétroviral donné. Cependant, dans la plupart des cas, un antirétroviral précis ne peut être spécifiquement incriminé. Ajoutons que dans cette situation, l’histologie rénale n’est pas d’un grand secours, mais l’intérêt de cet examen vise uniquement à éliminer une autre cause possible de l’atteinte rénale considérée. Dans certains cas, l’effet de l’interruption d’un antirétroviral suspecté entraînant la régression ou la stabilisation de l’atteinte rénale, peut être d’une aide précieuse au diagnostic. Enfin, dans les cas sévères pour lesquels le diagnostic vital ou la perte d’un rein sont en jeu pour une raison médicamenteuse, un arrêt total de la multithérapie peut s’avérer nécessaire. En revanche, si un antirétroviral précis est incriminé, l’arrêt de celui-ci est recommandé.
A retenir
Les atteintes rénales en lien avec l’infection par le VIH peuvent être le fait du VIH lui-même, mais depuis l’apparition des multithérapies, l’implication des traitements est également bien établie. Il est essentiel de surveiller la fonction rénale car une atteinte du rein est parfois d’installation lente et insidieuse. Les effets secondaires liés aux médicaments peuvent aller de la présence de calculs à des affections rénales beaucoup plus sérieuses.