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Derrière le discours qui victimise et stigmatise les femmes étrangères séropositives se cache une politique migratoire qui contribue à précariser ces femmes et à propager l’épidémie. Les femmes séropositives étrangères que nous rencontrons chaque semaine à la permanence étrangerEs ne peuvent aujourd’hui ni se soigner, ni vivre correctement avec leurs proches en France.

Triplement minoritaires. Si nous choisissons de parler de femmes étrangères c’est que les désignations de femmes migrantes ou immigrées soulignent la mobilité des personnes, les plaçant dans un entre deux – entre leur pays d’origine et la France – alors que nombre d’entre elles sont en France depuis plusieurs années et que leur contamination et la découverte de leur séropositivité ont eu lieu ici.
De plus, le terme de femmes étrangères met en avant la situation administrative de ces femmes par rapport à l’Etat français et l’on sait que la régularité du séjour est une condition première pour l’accès aux soins, à la prévention et au dépistage. Au titre de la régularisation pour soins, prévue par la législation de 1997, les séropositifVEs étrangerEs qui viennent de pays où les traitements sont inabordables devraient avoir accès à un titre de séjour. Aujourd’hui cette procédure relève de plus en plus du parcours du combattant.

Enfin, même pour les personnes régularisées, la difficulté à obtenir un renouvellement de titre et la multiplication de la délivrance d’infra-titres comme les Autorisations provisoires de séjour (APS) amènent des femmes à perdre leurs droits sociaux, le droit au travail et l’accès aux soins.

Mme C, camerounaise, a découvert sa séropositivité en France. Gravement malade, elle ne peut plus désormais que se déplacer en fauteuil roulant. Depuis trois ans, la Préfecture ne lui délivre que des APS. Elle ne peut donc bénéficier ni de l’Allocation adulte handicapé, ni de la CMU complémentaire. Elle survit en banlieue parisienne grâce à la solidarité de sa communauté qui l’héberge et lui permet de se nourrir. La Préfecture refuse de lui délivrer une carte de séjour car son mari, dont elle est séparée, a fait une demande de titre avec une autre adresse. Ce type de refus de régularisation induit inévitablement une précarisation des personnes et forcément un séjour en France de plus en plus pénible.

En première ligne. Les populations étrangères en France sont parmi les plus touchées par l’épidémie de sida. Les personnes en situation irrégulière bénéficiant de l’Aide médicale d’Etat (AME) sont 19 fois plus touchées par le sida que la population générale (source rapport IGAS/IGF).

Selon l’Institut national de veille sanitaire (INVS), entre 2003 et 2006, parmi les 8 670 découvertes de séropositivité de personnes étrangères ou dont la nationalité n’était pas connue, 4 611 concernaient des femmes, soit plus de 53 % des nouvelles contaminations, et sur le total des découvertes de séropositivité sur la même période toutes nationalités confondues, 30 % concernaient des femmes étrangères.

Les difficultés d’accès au dépistage, particulièrement accrues pour les femmes étrangères, laissent penser que ces chiffres ne rendent pas compte de l’ampleur de l’épidémie dans cette population. La découverte de la séropositivité se fait souvent lors d’une grossesse ou d’un examen médical, rarement lors d’un dépistage.

Mme D, séropositive, gagne plus de 2 000 € par mois. Ses enfants vivent encore au Sénégal. Malgré des revenus jugés importants par la préfecture, ses demandes de regroupement familial sont systématiquement rejettées, raison invoquée : son appartement est trop petit. L’OPAC ne veut pas lui donner un appartement tant que ses enfants ne sont pas effectivement en France. Derrière cette situation absurde, c’est le droit de vivre en famille pour les malades qui est attaqué.

Derrière le Droit, les injustices. Du point de vue du Droit, rien ne distingue les femmes et les hommes séropositifVEs étrangerEs. Pourtant, dans une période où l’on observe une dégradation de la situation des étrangerEs malades en matière d’accès aux soins et au droit au séjour, les femmes sont incontestablement en première ligne. Les durcissements successifs de la législation sur le regroupement familial, et en dernier lieu, la loi Hortefeux de septembre 2007, touchent tout particulièrement les femmes. En effet, nous avons constaté à la permanence étrangerEs que statiquement ce sont les premières à vouloir vivre avec leurs enfants et à en être empêchées. Vivre seulEs ou mourir, vivre ici avec des antirétroviraux ou mourir en famille dans leur pays d’origine, l’Etat français les réduit à faire ce sinistre choix. A la permanence étrangerEs d’Act Up-Paris, nous avons rencontrés plusieurs femmes dont l’annonce de la séropositivité a amené à un isolement social très grand et a entraîné une période de grande fragilité psychologique.

Mme K, camerounaise, séropositive, a deux enfants dont un est né en France. Son mari, camerounais, atteint également d’une pathologie chronique grave, a été placé en centre de rétention. Son expulsion a pu être arrêtée in extremis. Mais, l’Administration française avait bien l’intention de laisser cette femme seule avec ses enfants en France, en envoyant son mari dans un pays où il n’aurait pas eu de traitement. C’est la conséquence directe d’une logique cynique et comptable en matière d’expulsion.

Une visibilité ambiguë. Les femmes étrangères séropositives restent en général invisibles. Elles ne correspondent pas aux représentations communément admises du migrant et du séropositif, qui sont des hommes, jeunes. De plus, quand elles sont visibles, c’est souvent dans une posture victimaire qui souligne les multiples dominations qu’elles subissent. Le caractère triplement minoritaire lié au fait d’être femmes, séropositives, et étrangères est indéniable, la réduction de cette population à sa domination est souvent la justification de l’inaction des pouvoirs publics. Le succès médiatique des thèmes tels que la polygamie ou l’excision – sans nier ces réalités – conduisent à faire du machisme et du sexisme, l’apanage des cultures « non occidentales ». La sexualité des femmes étrangères serait également culturelle, pour ne pas dire étrange, de telle façon que les pouvoirs publics seraient dans l’incapacité de s’investir de ces questions. Derrière les préjugés culturalistes, l’objectif est donc de faire porter la responsabilité de la contamination à la culture d’origine des femmes, tout particulièrement dans le cas des femmes africaines. Pourtant, en maintenant les femmes dans l’irrégularité, en réduisant l’accès aux soins et en confondant prévention et stigmatisation, les autorités françaises sont responsables à part entière de l’épidémie de sida parmi les femmes étrangères.

Mme C, est ivoirienne et a appris sa séropositivité en France. Titulaire d’une APS, elle a laissé ses trois enfants en Côté d’Ivoire, mais ne peut déposer de demande de regroupement familial. Même si elle obtient une carte de séjour, ses revenus seront certainement jugés trop faibles pour que la préfecture l’autorise à faire venir ses enfants. Elle ne peut pas demander de faire dépister ses enfants en Côte d’Ivoire car la stigmatisation des personnes séropositives est encore trop forte pour que cette démarche ne risque pas de les exclure de leur entourage social. Retourner en Côte d’Ivoire, c’est se condamner à vivre sans traitement et risquer de voir son état de santé se dégrader, privant sa famille de moyen de subsistance. Rester ici, c’est vivre seule, loin de ses enfants, sans savoir s’ils sont séropositifs ou non. Cette politique restrictive en matière d’accès au droit au séjour est un des facteurs de propagation de l’épidémie ici et dans les pays d’origine.

Nous exigeons :
– le respect de la loi sur le droit au séjour des malades et la délivrance de véritables titres de séjour, carte de séjour et carte de résident, pour les malades,
– l’abrogation des lois qui empêchent le regroupement familial et la possibilité pour les femmes séropositives de vivre avec leur famille en France.
– des logements et des hébergements d’urgence destinés aux femmes séropositives avec ou sans enfants,
– une prévention ciblée basée sur l’accès au matériel de prévention (préservatifs, Fémidon®, gel), sur l’accès à l’information et sur l’accès aux traitements plutôt que sur un discours stigmatisant et réducteur.