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Le 30 novembre et 1er décembre dernier s’est déroulé le colloque interassociatif « Femmes et VIH, 10 ans après où en sommes nous ? ». Il s’agissait de faire le point sur la situation des femmes séropositives sur la décennie qui vient de s’écouler. Retour sur la première table ronde qui a traité de la place des femmes dans la recherche.

La place des femmes dans les essais est un vrai problème dont découlent beaucoup de manques, notamment en termes de connaissances et d’informations sur les spécificités féminines. Le fait qu’il y ait peu de femmes, que les questions posées en amont des études ne soient pas réfléchies dans ce contexte et que les analyses sexuées ne soient pas menées, reste très problématique. Cette table ronde sur la recherche devait donc permettre de faire le point des connaissances que nous avons sur la question. Au nombre de 4, les inervenantes, toutes des femmes, nous ont fait partager leurs compétences et leurs connaissances, un moment de grande qualité et d’instructions.

Catherine

L’introduction a été faite par Catherine Lebrun, ancienne militante d’Act Up-Paris qui nous a dit son envie d’entendre « chercher plus pour soigner plus » au lieu du présidentiel « travailler plus pour gagner plus ». On ne peut pas discuter de la recherche sans faire référence à un contexte politique et économique global. Elle nous a fait part de sa colère sur la marchandisation du secteur de la santé et de la recherche. « Qu’on livre à la sphère concurrentielle ces domaines-là, qui devraient être des domaines de la recherche publique et de fonds publics, je crois que là c’est quand même déjà, un contexte qui devrait nous interpeller et resituer tous nos débats dans cette situation ». L’appréhension des chercheurs à inclure des femmes dans les essais repose encore aujourd’hui sur la crainte qu’elles tombent enceintes, cette façon de considérer les femmes, de les infantiliser fut le deuxième cri de colère de Catherine.

Concernant la recherche fondamentale ou clinique, les retards sont nombreux dans les domaines propres aux femmes, à la fois sur les effets indésirables des traitements, sur les interactions entre contraception et traitements, ou sur les problèmes de ménopauses précoces. Il s’agit principalement d’orientation politique et économique, qui font qu’on en est à ce point-là. Mais il y a aussi les rapports sociaux de sexe dans l’ensemble de la société et à ce titre-là, les associations et mouvements des femmes, ont encore beaucoup à faire de ce point de vue. La pluridisciplinarité dans la recherche est importante et ce n’est pas uniquement une question d’experts, les associations de lutte contre le sida l’ont suffisamment dit, l’intervention citoyenne dans ces domaines-là est décisive. « Il faut retrouver le chemin du travail commun entre le mouvement des femmes et les associations de lutte contre le sida et imposer un débat citoyen sur toutes ces questions, à côté des experts qui ont fait des progrès énormes, mais on ne peut pas laisser la question de la santé et de la recherche aux seuls experts ». Et Catherine d’appeler à reprendre le chemin des luttes : « ce n’est peut-être pas la tonalité de cette assemblée, mais franchement, en tant que séropositive, je pense que c’est décisif ».

Sophie

La Pr Sophie Matheron nous a ensuite présenté les spécificités de l’infection à VIH chez les femmes. En quinze minutes et quinze diapos elle a fait l’état des lieux en termes de recherche, et en tant que clinicienne déterminée. L’accès aux soins et la particularité concernant le traitement, c’est-à-dire l’histoire de la maladie chez les femmes, a relativement changé en dix ans dans la vie quotidienne des femmes vivant avec le VIH. Les spécificités de l’infection à VIH chez les femmes sont liées au fait que ce sont des femmes, il s’agit donc de manifestations cliniques particulières, c’est-à-dire gynécologiques. La grossesse et le désir de grossesse ont beaucoup évolué.

En novembre 2001, l’enquête IPPOTHES apportait un éclairage neuf sur la question des femmes, depuis, l’enquête VESPA menée par l’ANRS a affiné ces données. Effectuée, entre 2002 et 2003, auprès de 3 000 personnes, séropositives depuis au moins six mois, suivies en consultation externe à l’hôpital. Les résultats publiés en début d’année 2007 sont intéressants. On y apprend notamment que les femmes sont un peu plus jeunes que les hommes, et sont traitées depuis un peu moins longtemps qu’eux. Elles sont plus pauvres, en termes de revenus, de logement, d’insécurité alimentaire, d’emploi. Elles ont donc, un cumul de vulnérabilité.

Elles sont moins souvent dépistées tardivement que les hommes hétérosexuels. Cette différence n’existe que chez les non-immigrées, où il n’y a pas plus de dépistage tardif chez les hommes que chez les femmes. La réponse au traitement n’est pas différente chez les hommes et les femmes, ni chez les migrants, ni chez les français. La seule chose, c’est que le risque d’échec est plus élevé chez les migrants, hommes et femmes en général. Là encore, c’est la vulnérabilité qui est en cause, non le sexe.

Concernant l’observance au traitement, il n’y a pas de différences liées au sexe, entre hommes et femmes. Mais chez les femmes, il se passe beaucoup plus de précarités en termes de vulnérabilité, donc un impact plus marqué sur l’observance de différents facteurs comme, la consommation excessive d’alcool ou la discrimination de l’entourage.
Il y a des spécificités, chez la femme, qui concernent l’ostéoporose, puisque les femmes, aux alentours de la ménopause, cumulent un risque additif d’ostéoporose lié à la fois à la ménopause et aux antirétroviraux, et là, s’en suit toute la discussion du traitement hormonal substitutif.

Sur les aspects gynécologiques, les dernières recommandations du rapport Yeni, ne sont pas appliquées, très souvent. Si le frottis est passé dans les messages, l’examen gynécologique n’est pas systématique. Il consiste, rappelons-le, à chercher des IST associées. Il y a une grande fréquence des néoplasies intra-épithéliales. Il faut dépister systématiquement, c’est-à-dire une fois par an, les infections HPV. S’il y a une anomalie, les recommandations de suivi très claires. Reste aussi les problèmes spécifiques à la contraception. Les connaissances ont bien avancé sur les interactions entre antirétroviraux et contraceptifs oraux.

Concernant la grossesse, depuis 1997, dans les recommandations du groupe d’experts, quand on parle de grossesse, on s’occupe d’abord de la femme, on discute de son traitement pour elle-même, et on associe systématiquement un traitement préventif de la transmission materno-fœtale. Il y a de plus en plus de femmes qui débutent une grossesse en se sachant infectées par le VIH, et en étant déjà traitées, près de deux tiers dans l’enquête périnatale française (enquête ANRS). Dans l’enquête VESPA, on voit que plus de la moitié des femmes avaient déjà des enfants au moment de l’enquête, 45 % avaient eu des IVG, le taux de naissance annuel après le diagnostic est stable (2,5 à 3 par an). On y constate que les femmes ont plus de probabilité d’être enceintes si elles sont d’origine subsaharienne ou nées au Maghreb, si elles ont un travail au moment du diagnostic, s’il n’y a pas l’influence d’autres facteurs sociaux et s’il n’y a pas d’influence de la progression de la maladie.

Le désir de procréation a aussi beaucoup évolué depuis 10 ans. Les objectifs de l’AMP chez les femmes et les hommes séropositifs, c’est d’assurer une procréation sans risques de transmission du VIH au partenaire, et d’assurer le traitement d’une infertilité dans un couple. Mais si l’accès à l’AMP est possible aujourd’hui, c’est vraiment grâce à l’ANRS. VESPA indique que les femmes séropositives ont envie d’avoir des enfants comme si elles étaient séronégatives, mais en plus, on constate que le statut VIH du partenaire régulier qu’il soit connu ou pas ; et que le fait d’être africaine est associé à un désir de procréation supérieur (2 à 6 fois plus élevé que les non-africaines). En revanche, il n’y a pas de prédictivité sur le désir de grossesse du statut VIH, c’est-à-dire que le fait d’avoir une relation stable avec un partenaire séropositif n’est pas associé à un désir de procréation, de même que les femmes qui ont beaucoup de partenaires et uniquement occasionnels n’ont pas de désir de procréation.

Une étude étonnante menée entre 1997 et 2004, sur presque 1 000 femmes, vient de sortir et montre qu’il y a un moindre risque de progression de l’infection VIH quand les femmes ont eu des grossesses. Ce risque a été analysé en fonction du fait d’avoir une grossesse pendant le suivi ou pas. C’est une bonne nouvelle, car le fait d’être enceinte n’est pas associé à un risque de progression de la maladie et c’est important de montrer qu’il y a des études qui permettent de répondre aux inquiètudes des femmes.

Sur la présence des femmes dans la recherche, les avancées ne sont pas suffisantes. Bien au contraire, une méta-analyse a étudié la proportion de femmes incluses dans les essais testant l’efficacité des molécules de façon randomisée. Portant sur 49 essais thérapeutiques réalisées au cours de la dernière décénnie, elle conclue que la proportion de femmes dans ces essais est de 12,25 % !

Laurence

La Pr Laurence Weiss a étudié pour nous les données de la recherche et son apport dans les traitements. Le fait qu’il y ait si peu d’études a été souligné. Il semble que l’efficacité de traitement de première ligne soit identique chez l’homme et la femme, mais il y a plus d’interruption de traitements pour cause d’effets indésirables chez la femme, et elles ont des effets toxiques plus importants. Pourtant, le rôle de la pharmacologie dans ces effets toxiques n’a pas été bien évalué.

L’étude observationnelle de Carole Smith a permis d’étudier sur 433 participants (96 femmes pour 337 hommes), la réponse à un traitement de première ligne contenant du Sustiva®. Les résultats montrent que les populations sont complètement différentes : parmi les hommes, ce sont des blancs qui sont de façon prédominante homosexuels et les femmes sont plutôt des femmes africaines et hétérosexuelles. Les femmes sont traitées à taux de CD4 plus bas, donc plus tard que les hommes et relativement plus jeunes. Les interruptions de traitement sont plus importantes chez elles que chez les hommes, 39 % contre 28 % à 48 semaines, et plus de 50 % contre 40 % à 96 semaines. Les hommes ont donc moins de risque d’arrêter le Sustiva®. Par contre l’échappement virologique (l’échec du traitement) est moins fréquent chez les femmes que chez les hommes. Les effets indésirables du système nerveux central dont l’irritabilité, les syndromes dépressifs sont moins fréquents chez les femmes que chez les hommes. Les autres toxicités, en revanche sont plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes. Sur le plan immunologique, les CD4 montent aussi bien chez les femmes que chez les hommes.

La grande inégalité concerne la toxicité des médicaments. Les effets indésirables des antirétroviraux sont plus fréquents et plus sévères chez les femmes, notamment en termes de toxicité gastro-intestinale rattachée à une concentration plus élevée de Norvir®. La Viramune® présente un risque de toxicité hépatique trois fois plus important chez la femme que chez l’homme, pour diminuer ce risque, la Viramune® n’est pas recommandé aux femmes qui ont plus de 250 CD4, et aux hommes qui en ont plus de 400 CD4. Les femmes souffrent beaucoup plus de rashs, d’allergies cutanées et de lipodystrophies. Une étude internationale menée en 2001, chez 2 258 personnes séropositives a montré que le sexe féminin est l’un des facteurs de risque de lipodystrophie : les altérations du tissu adipeux se retrouvant chez 40 % des femmes et 30 % des hommes, avec un caractère plus complexe et plus polymorphique de la lipodystrophie chez la femme.

Les mécanismes hormonaux ont très peu été étudiés, voire pas du tout.
L’atteinte mitochondriale, sous l’effet le plus sévère qu’on appelle l’acidose lactique est exceptionnel, mais gravissime puisqu’elle met en jeu le pronostic vital. Une récente étude publiée avec 110 cas a permis, en analyse multivariée, de montrer que le sexe féminin est un facteur de risque multiplié par 6, comparé aux hommes. Les autres facteurs de risques sont l’âge et le déficit immunitaire.

Les anomalies osseuses, dont l’ostéoporose, sont plus prévalentes chez les séropositifs comparée à la population générale d’âge et de sexe identiques (2 à 10 % versus 0 à 2 %). Chez les femmes, on trouve 54 % d’ostéopénie chez les porteuses du VIH, contre 30 % des contrôles, et 10 % d’ostéoporose chez les porteuses du VIH contre 5 % des contrôles, et bien évidemment, le risque va être supérieur chez les femmes ménopausées.
On n’a pratiquement pas de données sur la pharmacologie des antirétroviraux chez les femmes. On dit que les concentrations sont plus élevées que chez l’homme, peut-être dues à une contribution de la masse corporelle et/ou au rôle des hormones sexuelles. Il est nécessaire que les molécules soient évaluées en termes d’efficacité, de toxicité et en fonction du sexe.

Concernant l’observance, dans une étude menée en 1999, le groupe IPPOTHES avait retrouvé une moins bonne observance chez les femmes en comparaison des hommes. L’étude de 2001 a par conséquence été menée avec 668 femmes, autour de cette question afin d’identifier l’impact des facteurs de précarité et/ou de vulnérabilité sur l’observance*. Dans les facteurs prédictifs de mauvaise observance, il y a le chômage. Les femmes trouvent moins de travail que les hommes, mais ce problème est essentiellement lié à l’accumulation de situations de précarité et de vulnérabilité des femmes.

Le pronostic sous traitement est très controversé dans la littérature. Certains disent que les meilleurs pronostics sont chez l’homme, d’autres chez les femmes, pour d’autres le pronostic serait identique. La chose importante, c’est que quoiqu’il arrive, les femmes expriment une qualité de vie en termes de santé moins bonne que les hommes. Il est absolument nécessaire de dire qu’on peut parler de la spécificité du VIH chez les femmes, mais que si on en parle, on est clairement dans une problématique qui est celle du cumul des vulnérabilités.

Christine

La Pr Christine Rouzioux a présenté un bilan des études menées en France depuis 10 ans. Cet inventaire a permis de se faire une idée relativement positive de la place des femmes vivant avec le VIH dans la recherche. Beaucoup de choses se sont passées depuis dix ans. D’une épidémie essentiellement masculine, nous sommes aujourd’hui confronté à une féminisation qui fait apparaître des spécificités et des questions particulières en termes sociaux, virologiques, médicaux et thérapeutiques.

En préalable, si les pourcentages de femmes dans les cohortes sont proches de 30 % et que cela a pu satisfaire l’oratrice c’est qu’une cohorte est une sorte de photographie d’une population ciblée, et en France les femmes représentent près de 30 % des personnes vivant avec le VIH. Par contre la proportion insuffisante de femmes dans les essais de développement des molécules est catastrophique pour les connaissances sur les traitements. Certes, il y a eu un énorme effort de l’ANRS, et si le pourcentage de la participation des femmes s’est amélioré, il reste encore du chemin à faire, particulièrement dans les études qui testent des molécules.

Dans l’ensemble des cohortes ANRS, le pourcentage de femmes incluses atteint un niveau proche de 25-30 % : 20 % dans la cohorte Ribavic, 25 % dans la cohorte Hepavih, 29 % dans la cohorte Sirocco, 33 % dans la cohorte Copana plus récente, 59 % pour la cohorte sur le VIH-2, enfin, le DMI2, qui donne une représentativité réelle de la prévalence de l’infection en a 30 %. Le faible taux de participation des femmes dans la cohorte Primo (16 % de femmes) interroge sur le fait que les primo-infections sont moindres chez les femmes ou que les femmes vont moins se faire soigner durant cette phase de l’infection ?

Un appel à participation dans ces études fut lancé par Christine Rouzioux « parce qu’on a besoin d’observer, besoin d’analyser, besoin de prélever, on a besoin de bien regarder tous ces problèmes de mécanisme, d’altération du métabolisme lipidique ».

Plusieurs caractéristiques distinguent les femmes des hommes, notamment la courbe des CD4, la courbe des virus, le réservoir VIH. Les chercheurs se posent beaucoup de questions sur la façon de monter les études pour essayer de comprendre s’il faut traiter de façon décalée ou non, en comparaison et par rapport aux hommes. Peut-être la maladie va-t-elle un peu plus vite chez les femmes, mais les effectifs sont insuffisants et il est assez difficile de comparer le VIH aux autres infections virales.

La prise en charge est devenue très complexe, et nécessite plus que jamais une adaptation fine à chaque cas, particulièrement dans les choix thérapeutiques. Il est donc indispensable de connaître les spécificités des femmes. D’après la Pr Rouzioux la situation s’est considérablement améliorée avec les nombreuses recherches mises en place depuis dix ans. Les résultats obtenus sont aussi, plus rapidement mis en œuvre et les spécificités sont désormais prises en compte.

L’Agence du médicament américaine exige maintenant que toutes nouvelles molécules soient testées chez les femmes, d’emblée avant la mise sur le marché. C’est un pas énorme, parce qu’ainsi on va savoir ce qui se passe chez les femmes et comment elles pourraient éventuellement répondre différemment, notamment en termes d’effets secondaires.

Il reste énormément à faire, les problèmes de tolérance médicamenteuse sont des questions importantes, et les problèmes métaboliques sont loin d’être résolus, surtout concernant les nouvelles molécules. Le grand message, c’est qu’il est indispensable de favoriser, d’inciter, de soutenir la participation des femmes séropositives aux études de recherche clinique. Car on ne peut pas se satisfaire de voir seulement un tiers de femmes dans les essais. Même si cela représente la population des femmes parmi les séropositifs, et que c’est mieux que les 10 % des essais réalisés aux Etats-Unis, cela reste vraiment très insuffisant.

A retenir

Le problème des connaissances sur le VIH au féminin tient au peu de données existantes : peu d’essais spécifiques, en dehors de la transmission mère-enfant, assez peu de femmes dans les essais, si peu de questions posées dans l’élaboration des protocoles, trop peu d’analyses sexuées. Il faut plus de participantes à la recherche clinique, fondamentales et sociale. Cependant le taux des femmes dans les essais ne doit pas être dissocié des questions qui doivent être posées en amont dans les protocoles et en aval avec des analyses sexuées qui doit avoir lieu à chaque résultat. Ainsi, il peut y avoir 300 femmes dans un essai, si n’est pas posée la question de l’interaction des hormones avec la molécule testée, ou si les résultats des femmes ne sont pas comparés à celui des hommes, cela ne fera pas avancer les connaissances sur ce sujet. Pire c’est du temps, de l’énergie et de l’argent perdu pour les femmes, soit la moitié de l’humanité.