Comme chaque année des membres de la commission Traitements & Recherche ont assisté à la CROI[Voir les [chroniques de ces militants envoyés à Boston]] afin de suivre et de relayer les résultats des recherches internationales. Les essais rapportés ici n’ayant pas fait l’objet de fiches publiées dans de précédents numéros de Protocoles, nous avons donc indiqué pour chacun les détails précisant les enjeux de recherche.
Contrairement à l’année dernière, la CROI 2008 n’a pas été le lieu d’annonces majeures en ce qui concerne les nouvelles molécules. L’édition 2007 était attendue pour les communications sur deux nouvelles classes : les inhibiteurs d’entrée de type anti-CCR5, et les inhibiteurs d’intégrase. L’édition 2008 nous propose la suite des résultats d’essais de phase III : résultats combinés des essais Motivate I et II pour le premier anti-CCR5, le maraviroc ou Celsentri®, résultats individuels des essais Benchmrk-1et 2 pour le premier anti-intégrase, le raltegravir ou Isentress®, et Duet-1 et 2 pour l’inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse de nouvelle génération, le TMC125 aussi appelé étravirine. Dans tous les cas, il s’agit de données après 48 semaines de traitement. En Europe, seul le raltegravir a son autorisation de mise sur le marché.
Des nouveaux traitements… pour quoi faire ?
Pour les personnes ayant développé des résistances aux traitements classiques (inhibiteurs de la transcriptase inverse du VIH de type nucléosidique ou non nucléosidique et inhibiteur de la protéase virale), l’accès à de nouveaux antirétroviraux est plus que jamais d’actualité. Il ne s’agit pas seulement d’utiliser un nouveau traitement mais plusieurs. En effet, les monothérapies ont, jusqu’à présent, toutes montré leur incapacité à être efficaces sur le long terme.
Rappelons brièvement ce que sont ces résistances( Voir aussi le compte-rendu de notre 57ème RéPI de février 2006 pour en savoir plus sur l’origine des résistances aux antirétroviraux). En se multipliant, le VIH se trompe très souvent et ne reproduit pas son patrimoine génétique de type ARN à l’identique. C’est en fait la transcriptase inverse – une des protéines du VIH qui convertit l’ARN du virus en ADN pour l’intégration ultérieure dans l’ADN de la cellule infectée – qui n’est pas optimale dans sa fonction. De multiples mutations apparaissent alors dans la séquence de l’ARN du VIH avec plus ou moins de succès pour le variant correspondant pour survivre dans l’organisme. Ainsi chez une personne vivant avec le VIH, plusieurs variants peuvent cohabiter mais les variants les plus aptes prennent le pas sur les autres. Un tel variant attaqué par un traitement antirétroviral subit une nouvelle pression de sélection conduisant à l’émergence d’un autre virus dominant contenant cette fois des mutations dans la cible virale de l’antirétroviral (transcriptase inverse pour les inhibiteurs de la protéine du même nom, protéase pour les inhibiteurs de cette protéine, glycoprotéine d’enveloppe gp41 pour le T20/Fuzéon®). L’utilisation d’un seul antirétroviral conduit plus ou moins rapidement à l’émergence de telles mutations. Si l’on combine les traitements (différentes cibles ou attaque d’une même cible à des niveaux différents) sous forme de trithérapie, on retarde efficacement l’apparition de ces variants et on arrive même à juguler la réplication virale. Si la personne infectée n’est pas observante dans l’application de son traitement (trop de prises manquées ou oubli d’une molécule), elle court le risque de lever cette forte pression de sélection et de devenir alors résistante au traitement. Pour mettre de nouveau en échec le virus – ses variants résistants – il faut alors recourir à de nouvelles molécules antirétrovirales.
Un résumé de l’état des lieux concernant l’utilisation de la seconde vague de traitements antirétroviraux, a été présenté par Sharon Walmsley de l’université de Toronto, experte internationale de la question. Plusieurs questions ont été soulevées, notamment celles de la définition d’un traitement efficace et du nombre de nouvelles molécules nécessaires pour une efficacité durable après échec.
Considérations sur l’efficacité des traitements
La définition consensuelle de l’efficacité repose sur la répression maximale de la réplication du virus, l’idée étant qu’une réponse maximale permet d’obtenir une réponse durable. Le critère est une charge virale dite indétectable, soit inférieure à 50 copies par millilitre de sang (50 copies/mL).
L’essai RESIST : essai de phase III randomisé, ouvert et comparatif de la sécurité d’emploi et d’efficacité du tipranavir boosté avec une dose faible de ritonavir comparé à un inhibiteur de protéase défini par génotype boosté au ritonavir chez des personnes expérimentées aux traitements antirétroviraux multiples. RESIST, avec l’inhibiteur de protéase tipranavir (Aptivus®) boosté au ritonavir (Norvir®) a montré en 2006 qu’il était possible de maintenir sur le long terme, entre 24 et 96 semaines dans l’essai, une charge virale indétectable chez une proportion non négligeable de personnes résistantes aux traitements classiques (près de 25 %). Le tipranavir fait partie de ces nouveaux inhibiteurs de la protéase virale conçus pour agir contre des variants du VIH résistants aux inhibiteurs de protéase classiques. Considérés avec surprise à l’époque, les résultats de l’essai RESIST – qui constituaient plutôt une bonne nouvelle même si toutes les personnes n’ont pas répondu – ont inspiré le design des nouveaux essais chez les personnes en échec thérapeutique.
L’essai POWER : essai de phase II randomisé, contrôlé et partiellement en aveugle pour évaluer la dose-réponse au TMC114 boosté au ritonavir chez des personnes infectées par le VIH expérimentées aux trois classes de traitements antirétroviraux, suivi par une période ouverte avec la dose recommandée de TMC114 boosté au ritonavir. POWER évaluait cet inhibiteur de protéase de nouvelle génération conçu pour agir contre des souches de VIH résistantes aux inhibiteurs de la protéase virale, le darunavir (TMC 114 ou Prezista®) boosté au ritonavir, a conduit à des résultats du même type, à savoir un maintien d’une charge virale indétectable sur le long terme et, cette fois, la proportion de réponse était plus forte puisque jusqu’à 45 % des personnes répondaient au traitement. Pour être complet, il faut mentionner que dans ces deux essais, le pourcentage de réussite de maintien de charge virale indétectable à 96 semaines était de 10 % seulement chez les personnes recevant un traitement de fond optimal n’incluant pas la nouvelle molécule évaluée – le groupe dit placebo (ce qui ne veut pas dire ici qu’elles ne recevaient pas de traitement, mais qu’elles recevaient, en plus du traitement de fond optimal disponible, un comprimé ressemblant au darunavir mais ne contenant pas de principe actif antirétroviral).
En relevant dans la littérature de l’année passée les chiffres publiés concernant les proportions de personnes répondant aux traitements dans les essais après une durée d’observation de 48 semaines, Sharon Walmsley fait remarquer la différence apparente, en terme de succès, entre les personnes naïves de traitement et celles ayant déjà été traitées mais en échec thérapeutique. Elle s’appuie pour cela sur les résultats d’une douzaine d’essais internationnaux.
L’essai ARTEMIS : essai de phase III randomisé, contrôlé et ouvert pour évaluer l’activité antivirale, la tolérance et la sécurité d’emploi du TMC114 boosté au ritonavir chez les personnes vivant avec le VIH-1 et naïves de traitement.
L’essai CASTLE : essai de phase III sur 96 semaines comparant l’efficacité antivirale et la sécurité d’emploi de l’atazanavir boosté au ritonavir par rapport au lopinavir boosté au ritonavir, chacun en combinaison avec une dose fixée de ténofovir/emtricitabine chez des personnes vivant avec le VIH-1 naïves de traitement.
L’essai GEMINI : essai de phase III sur 48 semaines, randomisé, ouvert, avec deux bras pour comparer l’efficacité du saquinavir boosté au ritonavir deux fois par jour associé à l’emtricitabine et au ténofovir une fois par jour par rapport au lopinavir boosté au ritonavir deux fois par jour associé à l’emtricitabine et au ténofovir une fois par jour chez les personnes vivant avec le VIH-1 et naïves de traitement.
L’essai HEAT : essai de phase IV sur 96 semaines, randomisé, en double aveugle, multicentrique pur évaluer la sécurité d’emploi et l’efficacité de Epzicom (abacavir/lamivudine) par rapport à Truvada® (emtricitabine/tenofovir) administré en combinaison avec Kaletra® (lopinavir/ritonavir) chez les personnes vivant avec le VIH-1 naïves de traitement antirétroviral.
L’essai KLEAN : essai de phase IIIb sur 48 semaines, randomisé, ouvert, multicentrique pour évaluer la sécurité d’emploi et l’efficacité du GW433908 (700 mg deux fois par jour) avec ritonavir (100 mg deux fois par jour) comparé au lopinavir/ritonavir (400 mg / 100 mg deux fois par jour) lors d’une administration en combinaison avec abacavir/lamivudine (600 mg / 300 mg) à dose fixe en tablette une fois par jour chez des personnes vivant avec le VIH-1 naïves de traitement antirétroviral.
L’essai MERIT : essai de phase III multicentrique, randomise, en double aveugle, comparant un nouvel antagoniste CCR5, l’UK-427,857, en combinaison avec zidovudine/lamivudine compare à l’éfavirenz en combinaison avec zidovudine/lamivudine pour le traitement des personnes vivant avec le VIH-1 naïves de traitement antirétroviral.
L’essai TITAN : essai de phase III randomisé, contrôlé et ouvert pour comparer l’efficacité, la sécurité d’emploi et la tolérance au TMC114 boosté au ritonavir par rapport au lopinavir boosté au ritonavir chez les personnes vivant avec le VIH-1 et expérimentées aux traitements.
Pour les grands essais chez les personnes naïves de traitement, les chiffres oscillent entre 64 et 87 % pour les proportions de personnes ayant réussi à obtenir une charge virale inférieure à 50 copies/mL : essais GEMINI : 64-65 %, KLEAN : 65-66 %, ARTEMIS : 78-84 %, MERIT : 65-69 %, MK 004 : 87 %, CASTLE : 76-78 %, HEAT : 67-68 % ;
Pour les personnes déjà traitées et en échec thérapeutique lors du début des essais, les pourcentages sont compris entre 42 et 70 % : BENCHMRK : 64 %, MOTIVATE : 42-47 %, POWER : 46 %, DUET : 60-61 %, TITAN : 61-70 % (voir ci-dessous le détail des résultats pour certains de ces essais).
Ces derniers chiffres chez les personnes en échec thérapeutique en début d’essai comprennent les réponses de toutes les personnes ayant participé à l’essai. Lorsque l’on considère uniquement les personnes ayant utilisé au moins deux antirétroviraux actifs, les chiffres deviennent alors comparables à ceux des essais chez les personnes naïves de traitement, soit entre 52 et 80 % de succès : BENCHMRK : 75 %, MOTIVATE : 52-61 %, Power : 73 %, DUET : 66-80 %, TITAN : 60-80 %.
Cela fait dire à l’oratrice que les personnes prétraitées et en échec thérapeutique peuvent maintenant être traitées, grâce aux nouvelles molécules, de la même façon que les personnes naïves de traitement, une conclusion tardivement constatée par les cliniciens. On peut néanmoins s’interroger sur la pertinence de cette remarque lorsque l’on est de l’autre côté de la barrière… Question choix et accessibilité des nouvelles molécules (dont les anti-intégrase et anti-CCR5), les options actuelles ne sont pas tout à fait les mêmes selon que l’on est une personne naïve de traitement ou en échec virologique. Ainsi, la seule anti-intégrase actuellement disponible est le raltegravir ou Isentress®, suivi par l’elvitegravir toujours en essais cliniques. Pour la classe des anti-CCR5, le maraviroc est talonné par le vicriviroc, et le troisième qui était en lice, l’aplaviroc, a été abandonné suite à sa toxicité hépatique. Le maraviroc n’a pas encore son autorisation de mise sur le marché européenne.
Quel est l’intérêt de multiplier les nouvelles molécules de même classe ?
En dehors de la toxicité liée à la classe, deux molécules visant une même cible peuvent présenter différents profils de toxicité. Ceux-ci apparaissant souvent sur le long terme, il est difficile de distinguer une molécule d’une autre dans une classe donnée – en dehors de l’efficacité constatée. Cela étant, y a-t-il la place en clinique pour développer plusieurs inhibiteurs d’une même classe ? Il semble que oui, même si la course aux molécules fait penser que la première arrivée en clinique aura plus de chance[Voir à ce propos l’arrivée des anti-CCR5 évoquée dans [Protocoles 41 de février 2006]].
Les comparaisons directes dans un même essai sont rares, surtout pour les nouvelles molécules. Cela complique la tâche. Ainsi, si l’on considère les résultats (mentionnés plus haut) observés avec les nouveaux inhibiteurs de protéase darunavir et tipranavir, on pourrait croire que l’un est meilleur que l’autre. En fait, méthodologiquement, seule une comparaison au sein d’un même essai permettra de répondre à cette question. L’essai POTENT vise précisément à répondre à cette question pour le darunavir et le tipranavir. C’était un essai prospectif de phase IV randomisé, ouvert et multicentrique comparant la sécurité d’emploi et l’efficacité du tipranavir boosté au ritonavir (TPV/r, Aptivus®) au darunavir boosté au ritonavir (DRV/r, TMC114, Prezista®) chez des personnes expérimentées aux trois classes de traitements antirétroviraux (INTI, INNTI et IP) avec une résistance à au moins un IP. En dehors de l’efficacité pour une même classe, si les profils de résistance induits sont distincts (il n’y a pas de résistance dite croisée), une molécule pourra en remplacer une autre. Par exemple, les profils de mutations induites par les deux inhibiteurs de protéase darunavir et tipranavir sont connus et distincts.
Même si une molécule semble meilleure qu’une autre lors d’un essai clinique, au plan individuel d’autres considérations orienteront le choix : les effets secondaires, les autres maladies de la personne traitée et bien sûr le profil de résistance.
Résultats des essais Benchmrk-1 et 2 à 48 semaines (anti-intégrase raltegravir)
BENCHMRK-1 et 2 : Essai de phase III multicentrique en double aveugle et randomisé avec contrôle placebo pour évaluer la sécurité d’emploi et l’activité du MK-0518 en combinaison avec un traitement de fond optimisé, comparé au traitement de fond optimisé seul, chez des personnes infectées par le VIH avec une résistance avérée à au moins un médicament dans chacune des trois classes de thérapies antirétrovirales orales sous licence.
BENCHMRK-1 a recruté seulement 15% de femmes et BENCHMRK-2 9%.
Le raltegravir, aussi appelé Isentress® et anciennement MK-0518 selon la nomenclature du laboratoire instigateur américain Merck est un inhibiteur de l’intégrase du VIH. L’intégrase est une des 15 protéines virales. Elle permet au virus d’insérer son patrimoine génétique – initialement sous forme d’ARN et converti en ADN par la transcriptase inverse – dans les gènes de la cellule infectée[Voir [Protocoles 43, juillet 2006]].
Les essais Benchmrk-1 et 2 comprennent chacun deux groupes de personnes infectées par le VIH en échec de traitement par les trois classes conventionnelles d’antirétroviraux et avec une charge virale supérieure à 1 000 copies/mL. Le groupe appelé ‘placebo’ reçoit le traitement de fond optimum et le second groupe le traitement de base avec le raltegravir en prise orale à 400 mg deux fois par jour. L’essai Benchmrk-1 a recruté en Europe, au Pérou, en Asie et secteur Pacifique (118 personnes dans le groupe placebo et 232 dans le groupe avec raltegravir), alors que l’essai Benchmrk-2 concerne les Amériques du Sud et du Nord (119 placebo et 230 raltegravir). Ces essais sont prévus pour durer jusqu’à 156 semaines.
Par rapport aux résultats déjà connus à 24 semaines, les nouveaux à 48 semaines confirment la supériorité de l’ajout du raltegravir au traitement de base, à la fois en terme de charge virale et de remontée du nombre de CD4 :
– 74 % et 71 % (pour les essais Benchmrk-1 et 2, respectivement) des personnes traitées avec le raltegravir présentent une charge virale inférieure à 400 copies/mL contre 36 % et 38 % dans le groupe ‘placebo’ ; ces chiffres passent à 65 % et 60 % contre 31 % et 35 % pour une charge virale inférieure à 50 copies/mL, le critère actuel de charge virale dite indétectable ;
– le nombre de CD4 augmente de 120 et 98 par mm3 (toujours pour Benchmrk-1 et 2, respectivement) dans le groupe recevant le raltegravir contre 49 et 40 dans le groupe placebo.
L’étude combinée des résultats des deux essais analysés en distinguant le type de traitement de base utilisé met aussi en évidence que 89 % des personnes atteignent une réduction de charge virale inférieure à 50 copies/mL quand elles utilisent à la fois l’enfuvirtide (inhibiteur de fusion T20 ou Fuzéon®) et le darunavir (inhibiteur de la protéase de nouvelle génération TMC114 ou Prezista®) avec le raltegravir dans le traitement de base contre 68 % sans le raltegravir. Les chiffres restent en faveur de l’ajout du raltegravir pour un traitement de fond comprenant l’enfurvitide mais pas le darunavir (80 % contre 57 % sans) ou le darunavir sans l’enfuvirtide (69 % contre 47 % sans). Pour un traitement de fond sans ces deux molécules (enfuvirtide et darunavir), le pourcentage de personnes atteignant une charge virale inférieure à 50 copies/mL est de 60 % chez les traitées avec le raltegravir contre 20 % en son absence.
Globalement, le produit reste bien toléré en terme d’effets secondaires aux dires des investigateurs. Néanmoins, sur 462 personnes traitées par le raltegravir et suivies lors des 48 premières semaines des essais, il y a eu 16 cas de cancers détectés pour 460 ‘personnes.années’. On parle effectivement de ‘personne.année’ et non de personnes pour tenir compte du fait que le suivi de chaque personne recrutée varie en durée en fonction de la date du recrutement et du suivi effectif – ainsi, une personne suivie sur un an représente une personne.année, sur 6 mois, 0,5 personne année et sur 2 ans, 2 personnes.années. Dans le groupe placebo comprenant 237 personnes, le nombre de cas de cancers observés a été de 4 pour 178 personnes.années. Ceci correspond à des taux de 3,5 et 2,3 cas pour 100 personnes.années pour les deux groupes. Le risque relatif est alors de 1,5 pour les essais Benchmrk-1 et 2 combinés. Ce risque relatif est réduit à 1,2 si l’on inclut en plus les observations de tous les essais de phase II et III réalisés avec le raltegravir. Il semble donc qu’il y ait une tendance à un nombre accru de cancers en présence de raltegravir.
Toujours selon les investigateurs de ces essais, le risque de développer un cancer lors du traitement avec le raltegravir est comparable au risque évalué lors du traitement de base. Afin de déterminer si cette tendance est réelle ou le fruit du hasard sur les populations étudiées, des calculs statistiques ont été menés. Les risques relatifs sont accompagnés de ce qu’on appelle un intervalle de confiance. Il s’agit d’une fourchette de nombres encadrant ce risque. En l’occurrence ceux-ci sont plus précisément 1,5 [0,5 – 6,3] et 1.2 [0,4 – 4,1], les intervalles étant dits à 95 %. Cela veut dire qu’il y a 95 % de chances que le risque relatif réel – et non celui estimé à 1,5 par exemple – soit dans cette fourchette. Si le chiffre 1 est inclus dans l’intervalle – et c’est le cas ici – l’hypothèse d’absence d’effet du traitement avec le raltegravir sur l’apparition de cancers ne peut être rejetée.
Ceci étant, le fait que les personnes recrutées dans l’essai aient développé des cancers n’est malheureusement pas surprenant : on sait que les personnes séropositives pour le VIH ont une probabilité plus forte de développer certains cancers, malgré l’arrivée des trithérapies[Voir Protocoles 38 de juillet 2005]]. Il est encore trop tôt, puisque le suivi n’est que de 48 semaines, pour savoir si la tendance observée est imputable à l’effet du raltegravir ou pas. Comme pour tout nouveau traitement, une évaluation du bénéfice (contrôle de la charge virale) par rapport aux risques (avérés ou supposés) est de mise, mais, même si les investigateurs se veulent rassurants notamment grâce aux tests statistiques, une attention toute particulière sera portée sur la question du risque de développement de cancers associés à l’utilisation de cette nouvelle classe d’antirétroviraux.
Enfin, comme pour les autres classes d’antirétroviraux, des résistances sont apparues et concernent l’une des deux positions Q148 et N155 de la protéine ciblée, l’intégrase du virus, ainsi qu’au moins une autre mutation sur l’intégrase. Les échecs de traitement avec le raltegravir ont en effet été associés à l’apparition de ce profil de mutations. Il semble que les virus résistants au raltegravir soient aussi résistants au produit concurrent, l’elvitegravir.
Résultats des essais DUET-1 et 2 à 48 semaines (étravirine ou TMC125)
DUET-1 et 2 : Essai de phase III randomisé, en double aveugle avec contrôle placebo pour évaluer l’efficacité, la tolérance et la sécurité d’emploi du TMC125 comme composant d’un traitement antirétroviral incluant le TMC114 boosté au ritonavir (RTV) et un traitement de fond optimisé choisi par l’investigateur, chez des personnes infectées par le VIH-1 avec des options de traitement limitées, voire nulles.
DUET-1 a recruté seulement 13% de femmes et DUET-2 : 7%.
Ces essais concernent aussi des personnes déjà traitées et ayant développé des variants du VIH résistants aux traitements classiques.
L’étravirine ou TMC125, nouvel inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse de la compagnie pharmaceutique Tibotec, ne cible pas une nouvelle protéine du virus – ou de la cellule – puisqu’elle agit contre la transcriptase inverse, mais elle présente l’avantage d’être toujours active contre le VIH alors que les autres inhibiteurs de cette enzyme deviennent inefficaces à cause de la résistance qu’ils ont induite chez le virus. La résistance est souvent croisée, c’est-à-dire que le virus devient généralement résistant à tous les inhibiteurs de la même classe, mais ici ce n’est pas le cas, l’étravirine est toujours active.
Deux grands essais de phase III, DUET-1 et 2, sont menés, le premier en Thaïlande, Australie, Europe et Amériques du Nord et du Sud avec 612 personnes recrutées, le second en Europe, Australie, aux Etats-Unis et au Canada avec 591 personnes. Pour être recrutées dans les essais, les personnes devaient présenter une résistance aux inhibiteurs de la transcriptase inverse non nucléosidiques et au moins trois mutations primaires chez la protéase du VIH. Le traitement de base des personnes recrutées comprend systématiquement l’inhibiteur de protéase darunavir (TMC114 ou Prezista®), boosté au ritonavir (Norvir®), un inhibiteur nucléosidique de la transcriptase inverse et éventuellement l’enfuvirtide (T20 ou Fuzéon®). Les essais ont comparé deux groupes : un groupe de personnes recevant, en plus du traitement de fond, l’étravirine deux fois par jour par voie orale à 200 mg et celles recevant en plus du traitement de fond un comprimé placebo.
Les nouveaux résultats présentés concernent la tolérance et l’efficacité au bout de 48 semaines, alors que les essais pourront durer jusqu’à 96 semaines.
Il ressort une bonne tolérance au produit, avec l’apparition d’éruptions cutanées légères ou modérées, transitoires et plus fréquentes dans le groupe traité avec l’étravirine (22 % des personnes concernées contre 11 % dans le groupe dit placebo).
En terme d’efficacité, les résultats à 48 semaines confirment ceux à 24 semaines : 60 % des personnes des essais maintiennent une charge virale inférieure à 50 copies/mL de 24 à 48 semaines dans le groupe traité en plus par l’étravirine contre 40 % dans le groupe traité avec le placebo en plus du traitement de fond optimal (60 % contre 39 % dans DUET-1 et 61 % contre 41 % dans DUET-2). Un gain en nombre de CD4 a aussi été constaté après traitement à l’étravirine, même si la différence reste modeste : + 98 CD4 dans le groupe traité à l’étravirine et + 73 dans le groupe placebo.
Qu’il y ait eu ou pas utilisation d’enfuvirtide (T20), la proportion de personnes ayant une charge virale indétectable (inférieure à 50 copies/mL) était plus forte chez celles traitées par l’enfuvirtide.
L’étravirine, qui a reçu son autorisation de mise sur le marché aux Etats-Unis (sous le nom d’Intelence®) mais pas encore en Europe, constitue donc une alternative de traitement bien toléré en cas d’échec antérieur. L’augmentation des pourcentages de succès observés peut apparaître modeste (20 % tout de même) par rapport aux résultats avec le traitement de fond (groupe placebo). Il faut noter que ce traitement de base contient le darunavir qui améliore déjà les chances de succès. Rappelons que dans l’essai POWER, le traitement de fond comparatif sans darunavir – et sans étravirine – ne permettait d’obtenir que 10 % de succès virologique.
Résultats des essais combinés MOTIVATE-1 et 2 à 48 semaines (maraviroc, anti-CCR5)
MOTIVATE-1 & 2 : Essai de phase III multicentrique, randomise, en double aveugle avec contrôle placebo d’un nouvel antagoniste CCR5, le UK-427,857, en combinaison avec un traitement de fond optimisé, comparé au traitement de fond optimisé seul, pour le traitement de personnes infectées par le VIH-1 déjà traitées par antirétroviraux.
MOTIVATE-1 et 2 ont recruté seulement 11.5% de femmes.
Les anti-CCR5 représentent une nouvelle classe d’inhibiteurs empêchant le virus de pénétrer dans une cellule pour l’infecter. Ils agissent en stoppant l’interaction du virus avec la surface de la cellule au niveau d’un récepteur cellulaire appelé CCR5, un co-récepteur en fait. Il est important de savoir que tous les variants du virus VIH n’utilisent pas cette porte d’entrée cellulaire pour infecter une cellule. Certains utilisent un autre récepteur appelé CXCR4 et les anti-CCR5 seront inefficaces sur eux. Avant de recevoir ce type de traitement, il faut déterminer quel type de virus (utilisant CCR5, CXCR4 ou les deux) est présent dans l’organisme grâce à un test adapté dit de tropisme[[Voir [Protocoles 41 de février 2006]].
Il s’agit toujours d’essais de phase III. Ceux-ci ont déjà été rapportés dans d’autres congrès en 2007 et les investigateurs ont choisi de présenter les résultats combinés afin d’avoir un effectif plus important comme base pour leurs résultats. Le premier essai, MOTIVATE-1, se déroule aux États-Unis et au Canada et le second en Europe, Australie et aux Etats-Unis. En tout, il y a 1049 personnes recrutées et réparties en trois groupes : 209 personnes constituant le groupe dit placebo recevant un traitement de fond sans nouveaux antirétroviraux (pas d’inhibiteur d’intégrase type raltegravir, ni d’inhibiteurs de protéase optimisés, darunavir ou étravirine), 414 personnes recevant en plus le maraviroc une fois par jour et 426 deux fois par jour, à la dose de 300 mg par prise. Comme certaines molécules du traitement de fond pouvaient interférer avec les concentrations plasmatiques du maraviroc (des inhibiteurs du cytochrome P3A4 comme certains inhibiteurs de protéase ou la delavirdine ou Rescriptor®), certaines personnes recevaient à chaque prise un comprimé de 150 mg au lieu des 300 mg.
Cette fois le taux de réussite virologique (charge virale inférieure à 50 copies/mL) avec cette nouvelle classe d’antirétroviraux chez les personnes en échec thérapeutique en début d’essai est de 43,2 % et 45,5 % pour les groupes avec maraviroc une et deux fois par jour contre 16,7 % sans maraviroc (groupe placebo). Pour une charge virale inférieure à 400 copies/mL, les chiffres sont de 51,7 % et 56,1 % contre 22,5 %. Il y a aussi une augmentation moyenne du nombre de CD4 observée de +116 et +124 pour les groupes avec maraviroc une fois et deux fois par jour contre +61 cellules par mm3 dans le groupe placebo. Les investigateurs annoncent une absence de différence en termes d’effets secondaires entre les groupes, qu’il s’agisse aussi de cancers ou d’infections opportunistes.
Autres essais avec les anti-CCR5
Les successeurs arrivent, affublés de noms tout aussi absconds mais permettant de déposer un brevet sur les noms : vicriviroc pour les anti-CCR5 avec un taux de réussite dans l’essai VICTOR-E1[Voir l'[essai VICTOR E4 qui s’intéresse aux naïfs]] à 48 semaines annoncé comme similaire à celui des essais MOTIVATE concernant le maraviroc. VICTOR-E1 était un essai de phase II du vicriviroc (SCH 417690) en combinaison avec un traitement de fond antirétroviral optimisé chez des personnes expérimentées pour les traitements. Il n’a recruté que 22 % de femmes. Les chiffres tournent autour de 55 % de personnes en succès virologique avec le vicriviroc contre 14 % en son absence, chiffres qui peuvent monter à plus de 65 % quand le vicriviroc est combiné avec d’autres antirétroviraux actifs dans le traitement de fond (au moins deux molécules). Un gain supérieur en CD4 est aussi observé en présence de vicriviroc. Le nombre de personnes recrutées dans l’essai étant faible (116 personnes en tout dont 37 dans le groupe placebo recevant le traitement de fond optimal existant, 40 avec en plus le vicriviroc à 20 mg par jour et 39 avec le vicriviroc en plus à 30 mg par jour, toutes n’ayant pas complété l’essai), il ne s’agit pas de résultats vraiment comparables en terme de statistiques à ceux qui précèdent. Ces résultats ont permis de sélectionner la dose pour les essais de phase III en cours, à savoir 30 mg par jour par voie orale.
Toujours pour les anti-CCR5, des résultats de phase I ont été présentés avec le produit SCH 532706 à 60 mg deux fois par jour (utilisé avec le ritonavir). Cet essai n’a recruté que des hommes. Seules 12 personnes étaient évaluées. Le produit est apparu comme bien toléré et actif pour diminuer la charge virale pendant la courte période d’essai (10 jours) : une diminution de -1.6 log maximum 5 jours après arrêt (la charge virale remonte ensuite du fait de l’arrêt). Les investigateurs concluent que la molécule peut être utilisée dans un traitement contenant du ritonavir.
Les essais présentés concernent donc les personnes qui étaient en échec thérapeutique. Il est aussi intéressant de savoir si les nouvelles molécules présentent du potentiel pour les personnes qui débutent un traitement. Ce sujet n’est pas abordé dans nos colonnes mais nous vous dirigeons vers le compte-rendu in extenso de notre dernière RéPI pour en savoir plus.
Combien de nouveaux traitements faut-il combiner pour les personnes en échec ?
Deux, trois ou plus ? Les résultats précédents suggèrent un bénéfice avec plusieurs. Les essais actuels et commentés ci-dessus ne permettent pas de répondre à ces questions de façon définitive car ce n’est pas leur objectif principal. En effet, il n’y a pas de groupes préconstitués pour évaluer si les résultats sont meilleurs avec une autre molécule, deux autres molécules, trois etc. Une analyse a posteriori peut être faite mais les groupes obtenus ne sont pas forcément équivalents : les personnes n’ont pas le même historique de traitement et il n’y a pas eu de randomisation pour s’assurer que l’étude remplit les critères statistiques pour conclure avec fiabilité.
Il est aussi important de revenir sur le fait que certains des essais n’intègrent pas systématiquement un traitement de base optimisé en dehors de la molécule investiguée. Ainsi, dans les essais MOTIVATE pour évaluer l’anti-CCR5 maraviroc, le traitement de fond ne contenait pas de darunavir ou d’étravirine, alors que les essais DUET pour évaluer l’étravirine intégraient un traitement de fond avec darunavir. Certes, pour l’étravirine il fallait attendre les résultats d’efficacité pour l’intégrer au traitement de fond, mais on peut s’interroger pour savoir pourquoi le darunavir n’a pas été proposé dans les essais DUET. S’agit-il d’un problème de calendrier de disponibilité, donc d’accessibilité, d’une absence de dialogue entre industriels pour permettre cette accessibilité ou bien d’une attente de confirmation d’efficacité avérée ? A moins que la prudence n’ait guidé ce choix, à cause d’effets secondaires possibles, notamment en multithérapies.
Effets secondaires des nouvelles molécules
Il est encore trop tôt, les résultats rapportés des essais portant sur seulement 48 voire 96 semaines maximum, pour savoir s’il y a une influence sur les lipodystrophies (pas de résultats rapportés), sur les troubles lipidiques et en termes de risques cardiovasculaires. Le raltegravir et l’anti-CCR5 maraviroc semblent avoir un meilleur profil que les autres molécules selon les propos de l’oratrice Sharon Walmsley à la CROI, mais l’impact sur le risque cardiovasculaire reste encore inconnu. Quant aux apparitions de cancers classant sida ou non, déjà évoqués pour le raltegravir, la vigilance sur le long terme s’impose malgré les propos des investigateurs des essaisqui se veulent rassurants.
Modification de traitement
L’utilisation des nouvelles molécules peut aussi être envisagée chez les personnes intolérantes à un traitement efficace. Parce qu’elles veulent limiter les effets secondaires des traitements en cours, malgré leur efficacité, certaines personnes peuvent être intéressées aussi par les nouvelles molécules. Ce peut être pour limiter l’apparition de lipodystrophies avec certains inhibiteurs ou bien suite à des difficultés rencontrées pour prendre un traitement. Un essai clinique pour le premier cas serait en cours chez les femmes ou du moins prévu avec Judith Currier parmi les investigatrices (université de Californie, Los Angeles). Dans le second cas, l’exemple le plus typique est celui du T20 (inhibiteur de fusion Fuzéon®) avec les réactions qui se produisent au niveau du site d’administration de ce produit qui ne peut être pris que par injection.
Une étude de l’hôpital Saint-Paul de Vancouver au Canada a porté sur 34 hommes et 1 femme (une étude pas franchement représentative de la situation épidémiologique en terme de répartition des sexes…) en succès virologique qui passaient du T20 au raltegravir ou Isentress®, un inhibiteur d’intégrase, tout en conservant les mêmes traitements par ailleurs. Le suivi s’est effectué entre un et treize mois pour les résultats présentés. Seule une personne est passée au-dessus des 50 copies/mL après changement de traitement. Les effets secondaires rapportés concernant une seule personne à chaque fois sont une neuropathie périphérique et des diarrhées (à 1 mois après changement), une exacerbation d’un état dépressif (à 1 mois aussi), une pneumonie (deux épisodes), ainsi qu’un cas de cancer de la prostate chez un homme de 56 ans après un mois de traitement et un cas de lymphome de type B chez un homme de 52 ans après 9 mois en présence de raltegravir. Les investigateurs déclarent que ces deux cas de cancers n’étaient pas imputables au traitement par le raltegravir. S’il apparaît effectivement peu probable qu’un cancer se déclare sur des périodes aussi courtes, surtout pour le cancer de la prostate, et que la détection des cancers correspondants soit le reflet de l’histoire naturelle médicale des personnes évaluées – avec la réserve que certains cancers soient effectivement plus fréquents chez les personnes séropositives – la vigilance reste certainement de mise, comme déjà mentionné ci-dessus dans les commentaires des essais Benchmrk-1 et 2. Le raltegravir étant dorénavant autorisé sur le marché en Europe depuis le 20 décembre 2007 sous le nom d’Isentress®, tout retour sur les effets secondaires observés est primordial pour déterminer ce qui est imputable à l’effet (secondaire) du produit et ce qui relève du hasard.
A retenir
Les nouvelles molécules appartiennent soit à de nouvelles classes (anti-CCR5 et anti-intégrase), soit à des classes déjà utilisées (inhibiteurs de la protéase ou de la transcriptase inverse) et il s’agit alors de molécules optimisées pour franchir les barrières de résistance aux anciennes molécules. D’après les résultats d’essais cliniques de phase III à 48 semaines, ces nouvelles molécules permettent d’assurer de nouveau un succès virologique. Aux dires des cliniciens, il est ainsi aujourd’hui possible de traiter les personnes en situation d’échec thérapeutique comme les personnes naïves de traitement grâce à ces nouvelles molécules. Pour cela, il apparaît nécessaire d’utiliser des combinaisons de deux ou trois nouvelles molécules, en plus du traitement de fond optimal, pour obtenir une charge indétectable sur la durée. La prudence reste de mise quant à d’éventuels effets secondaires sur le long terme, le recul d’utilisation et d’évaluation étant précisément court pour le moment.