En s’inspirant de faits réels, nous nous sommes amuséEs à imaginer ce qui peut se passer dans l’esprit de certainEs de nos médecins. Petite recette à ne pas suivre.
Prendre un malade de base, un malade du sida. Lui prescrire un traitement. Le suivre pendant quinze ans, de loin en loin. De plus en plus loin, vu que le traitement fonctionne et que les résultats sanguins sont plutôt bons. Lorsque le malade commence à se plaindre de bouffées de chaleur, lui répondre que c’est normal, qu’il fait chaud, vu que c’est presque l’été ! Puis quand le malade insiste, sur le fait qu’il grossit à vue d’oeil (40 kg en deux mois et demi), lui conseiller de manger moins, et de moins boire d’alcool. C’est mauvais pour la santé l’alcool. Toujours boire avec modération, qu’on dit au ministère. De loin en loin, espérer que le malade ne revienne pas trop à la charge. D’ailleurs vous verrez, de lui-même, il s’essoufflera vu qu’on ne l’entend pas et qu’il est psychologiquement fatigué.
Être suivi depuis au moins autant de temps que son sida par une armée de psychologues, ça use. Sans réponses de la part de ceux qui sont censés détenir le savoir, ou du moins qui doivent tenter toutes les pistes, tel le Dr House, le malade baisse les bras et retourne vers ses solutions propres. L’un des miens, par exemple. Depuis le début de l’épidémie, il a traversé tant bien que mal le fleuve sida. Autour de lui, les amis, un à un, l’ont abandonné, morts, n’ayant pas su être plus forts que le virus et que les méandres du parcours de soins. Alors dans sa petite tête, il rumine, il broie du gris qui virera au noir très vite.
Bon, le malade n’est pas non plus un saint, il a quelques travers, il aime la vie et ce qui va avec, les excès. Et puis il n’est pas très sérieux avec ça, on le suit dans une unité qui regroupe trois établissements. C’est quand même pas sorcier ! Et il trouve le moyen de rater des rendez-vous. De nous faire perdre notre temps, comme si nous n’avions que ça à faire, de leur courir après pour les soigner. Bon, il se trouve que j’ai fait une boulette, j’aurais dû être plus vigilante quand M. X a doublé de volume. J’aurais dû chercher d’où cela venait. J’aurais dû prescrire des analyses plus pointues. Mais c’est que ça coûte cher tous ces examens ! J’ai pensé bien agir, faire des économies avant l’heure. Comme si j’avais un sixième sens et que j’avais senti le vent tourner… le vent qui souffle du Ministère.
D’accord, c’était pas très sérieux, mais avec la vie qu’ils mènent, peut-être l’ont-ils un peu cherché, non ? Le malade a croisé l’hépatite C, on va pas en faire une maladie quand même ! Je ne l’avais pas vu, certes, mais il n’avait qu’à ne pas boire ! Et puis, il l’a soigné tout seul son hépatite, on n’a vu que les anticorps… Pour la maladie de «Base dow», c’est pareil, qu’est-ce que j’y peux moi si cette maladie qui touche en général les femmes s’attaque à un individu mâle séropositif ? On ne peut pas tout savoir quand même ! Et puis c’est que j’étais énervée moi, quand M. X est arrivé comme un vainqueur, avec dans la main un diagnostic qu’un ophtalmologue lui avait fait, de quoi je me mêle ? C’est un spécialiste de l’oeil, pas de la thyroïde ? Non mais tout de même, ce prétentieux avait dit à « mon » patient, au premier coup d’oeil : « vous avez un problème à la thyroïde », comme si j’avais pu savoir que cette maladie attaquait le nerf oculaire ! J’avais bien vu qu’il avait un oeil exorbité, mais je pensais qu’il avait toujours eu de gros yeux ?
Alors là, la perdition dans le suivi du parcours des soins s’est accentuée. Au médecin spécialiste que je suis, côté VIH dans une unité maladies infectieuses, a dû se greffer un endocrinologue et un hépatologue, c’est que ça abîme un foie, une hépatite ! Les nodules, c’est vraiment pas beau. Du coup, je n’ai plus reçu la visite semestrielle de mon malade. Même pas de reconnaissance, avec tout ce que j’ai fait pour lui, depuis quinze ans !
Qu’est-ce qu’ils sont ingrats ces malades ! Comme si on leur devait tout ! Depuis, je n’ai plus de nouvelles. Ah si ! La semaine dernière, j’ai eu droit à l’appel d’un autre médecin, qui a pris la relève, pour lui prescrire sa trithérapie. Je savais qu’il ne tiendrait pas la route, son côté petite nature psychologique a eu raison de sa raison ! Il a été mis en service psychiatrique. Je me doutais bien qu’il était dérangé ! Monsieur n’a pas voulu être interné dans une unité fermée. Non j’vous jure, si on les laisse faire, c’est du service à la carte qu’ils vont nous imposer ! Ils oublient ce que c’est l’hôpital public. J’espère qu’il n’aura pas trop dégoisé sur moi, style « elle n’a pas fait son travail, elle n’était pas à la hauteur ». Et lui ? En tout cas, c’est fini, il ne me verra plus et moi non plus. Ouf !