sida, envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Sébastien.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ? Je suis né en 1976. J’ai vécu en banlieue parisienne. J’étais très réservé jusqu’à mes 16/17 ans où j’ai commencé à me révéler tel que j’étais et m’affirmer d’abord en tant qu’homo. Lors de cette annonce j’ai d’ailleurs appris que je n’étais pas seul : ma soeur aussi ! L’annonce fut difficile et cela a pris du temps avant l’acceptation, maintenant tout va bien de ce côté. En 1997, je suis parti vivre à Toulouse avec mon premier copain et ce pendant quatre ans jusqu’à notre rupture. Je n’ai pas fait les études que je voulais, trop timide et désirant vivre au plus vite de façon indépendante, je me suis orienté vers l’informatique, pas vraiment passionnant à mon goût ! En 2000, je me suis fait embaucher en CDI dans une grande société où je suis resté huit ans. Depuis toujours je suis fan de sport, de la natation au rugby en passant par le VTT, j’y passe un temps important. J’ai d’ailleurs rejoint un certain nombre d’associations communautaires sportives. J’ai toujours vécu par le sport, j’ai eu peur de ne pas pouvoir continuer quand j’ai appris que j’étais séropo. C’était en septembre 2001. Ma vie en a été bouleversée et cela définitivement. Deux ans de galère ont suivi, mais je suis arrivé à conserver mon boulot, c’est important car je m’imaginais le perdre et me retrouver en précarité totale. Et puis j’ai entamé une remontée, je suis redevenu sociable en cachant tout de même ma séropositivité. En 2004, je rencontre Richard, un séroneg qui passait par là, c’est aujourd’hui mon plan « Love ». En 2006, nous nous sommes pacsés. Actuellement j’ai arrêté de bosser volontairement, je suis en reconversion professionnelle pour travailler dans le milieu médical. Le VIH ça ne m’a vraiment pas aidé dans ma vie professionnelle. Au moment où je l’ai appris, j’entamais une démarche pour justement aborder cette reconversion et cela a tout bloqué. Pendant des années, je n’ai pas osé quitter mon travail, pour la sécurité car étant séropo, je ne m’autorisais pas à prendre de risque. J’ai aujourd’hui l’impression d’avoir loupé une partie de ma vie. Tu as eu une jeunesse alternative ? J’étais vraiment très effacé jusqu’à ce que je commence à m’affirmer à la fin de mon adolescence. Je n’ai même pas choisi mes études. Il n’y avait rien qui ne dépassait de moi. Je n’ai pas réussi à m’épanouir pleinement parce que ma vie familiale était très compliquée. Le sport a une place importante dans ta vie ? Le sport c’est une drogue et beaucoup de plaisir pour moi. J’en ai toujours fait à haute dose et j’ai choisi de me diversifier. C’est une des choses qui motive le plus ma vie. Grâce au sport, je me sens bien dans ma peau. C’est sûrement ce qui m’a fait tenir pendant mon adolescence et ma séropositivité. Ces derniers temps, j’ai diminué la dose. J’ai un peu grossi aussi, mais c’est sûrement la vie de couple et les glaces au chocolat qui y contribuent. La découverte de l’homosexualité ? Je l’ai toujours su. Et pourtant c’est quelque chose que je ne connaissais pas du tout. Je n’en connaissais pas autour de moi. Cela me faisait peur. La confrontation a été difficile. J’ai retardé la révélation au maximum pour éviter de blesser ma famille. Je me rendais bien compte que cacher qui j’étais me rendait malheureux. J’avais plusieurs vies et elles étaient cloisonnées et vraiment étanches. Plus tard j’ai retrouvé cela avec la séropositivité. Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ? Début 2001, je me sépare de mon premier copain. En juin je tombe malade, une espèce d’allergie, qui se voyait beaucoup au niveau des lèvres. C’était une MST. Mon médecin traitant m’a prescrit des tests VIH, hépatites, syphilis, etc. Je les ai faits avant l’été. J’étais très fatigué et pourtant je ne pensais pas que ça puisse être le VIH. Je suis parti en vacances, et au retour, un soir après le boulot, entre deux courses, je suis allé chercher mes résultats. Et là, ma vie s’est arrêtée. Le médecin m’a dit que je n’avais pas un couteau dans le dos mais plutôt un canif, parce qu’il y avait les traitements. L’entretien n’a pas duré très longtemps. J’étais complètement retourné. Je me demande encore comment j’ai pu rentrer chez moi en voiture et arriver entier. Je suis resté seul. Je n’en ai parlé à personne. J’ai été hospitalisé à Cochin pendant 3 jours ensuite pour faire une série de bilans, et j’ai vu de l’hôpital, à la télé, les tours de New York s’effondrer, comme il me semblait ma vie. J’ai tout de suite pris un traitement : Sustiva et Trizivir. J’ai fait une grosse dépression. Sans doute que le Sustiva y est pour beaucoup : le jour où je l’ai arrêté j’ai eu l’impression de sortir d’un cauchemar. C’était surtout dur pendant les deux premières années où j’étais très renfermé, je n’avais plus envie de rien, j’allais juste travailler. Je me disais que j’allais mourir. J’avais peur de me regarder dans la glace, peur de me voir changer. J’étais seul. Je me sentais coupable d’avoir attrapé le VIH, car j’ai toujours entendu parler du sida depuis que je suis jeune. Cette culpabilité c’était surtout par rapport aux regards des autres, j’imaginais que leur réaction serait négative, qu’on ne me donnerait aucune excuse. Pour moi, je savais comment j’avais été contaminé. Et puis un jour, je me suis dit que j’étais encore vivant et qu’il fallait en profiter. À l’époque que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? Au moment où j’ai découvert la sexualité, le sida était là. Dans mon lycée, il y avait des démonstrations de déroulé de préservatifs, des interventions d’associations. J’étais vraiment au courant. Les circonstances de ma contamination sont glauques. Passons. Le sida ne faisait pas partie de ta vie ? Je ne le voyais pas physiquement. Personne n’en parlait autour de moi, et pourtant j’étais dans le milieu gay, et particulièrement dans un entourage qui vivait comme si cela ne le concernait pas. Avec mes amis, les associations où j’étais, on n’en parlait pas. Jamais une personne ne m’a dit qu’elle était séropo. Je pense que pour beaucoup, ce n’est pas que cela n’existait plus mais que cela concernait la génération précédente. Il y avait, comme aujourd’hui, un déni. Quand j’ai appris que j’étais séropo, je me suis senti super seul. Je n’avais personne pour en parler. Je ne connaissais pas de séropos, je pouvais en côtoyer bien sûr, mais sans le savoir. Est-ce que avant ta séroconversion tu avais des degrés d’appréciation pour la prévention, par exemple pour la fellation ? J’ai eu peu de partenaires, je suis fidèle et monogame, c’est vraiment important pour moi. Mais oui, je pensais qu’il y avait moins de risque avec la fellation que pour la sodomie, alors pour la fellation, je n’utilisais pas de capote sans pour autant avaler le sperme. Je savais qu’il y avait un risque mais je le négligeais. Pour le reste c’était capote et gel. Comment as-tu choisi ton/ta médecin actuelLE ? Pendant trois ans, j’étais suivi à l’hôpital Cochin dans un service de dermatologie non spécialisé VIH. Ça devait être séparé du reste de ma vie. Je ne voulais pas que ça sorte. Je ne m’y intéressais pas au point que pendant longtemps j’étais incapable d’indiquer où en était ma charge virale et mon taux de CD4. Après plusieurs années, j’ai vraiment senti que j’avais besoin de parler, de m’ouvrir. Ça a été un basculement. J’ai alors cherché de l’aide. J’avais besoin de rencontrer d’autres séropos, je n’avais pas de modèle, je ne voyais pas comment les autres faisaient. Voir d’autres séropos ça me rassurait. Et j’avais besoin d’un médecin qui puisse comprendre ma situation, par rapport au fait que je suis homo et puis bien sûr le VIH. J’ai fait plusieurs démarches, et j’ai trouvé un médecin à Saint-Louis, avec qui le contact est bon, ça ce passe bien. J’ai aussi trouvé, un médecin de ville qui me convient. Je l’ai choisi, lui, principalement parce qu’il est gay et sympa. Je trouve qu’il est plus à même de comprendre ma situation, c’est quelqu’un avec qui je peux parler, ce qui n’est pas le cas de tous les médecins. Et tu as pu rencontrer des séropos ? Trois ou quatre ans après, quand j’ai dépassé la période dure. Je suis allée dans des associations de lutte contre le sida. C’est un des déclics qui m’a permis d’en parler, en particulier aux Etats Généraux des gays séropositifs organisés par Aides. Il y avait des centaines de mecs séropos. Cela marchait par ateliers, j’ai pu entendre ce que vivaient d’autres séropos. Ce qui m’a marqué, c’est la précarité de la majorité des personnes présentes. Et comme moi je ne vivais pas cela, je me suis senti un peu à part, mais cela m’a fait du bien. J’ai réfléchi ensuite pendant plusieurs jours et je me suis dit, que je n’avais plus à cacher que j’étais séropo, pour moi-même je ne devais plus « jouer ce jeu-là ». Et je l’ai dit à tous mes amis. Comment cela s’est passé ? Ça s’est bien passé, il y en a qui sont tombés des nues. Ils ne pensaient pas que je puisse être contaminé sans ne jamais rien avoir décelé. C’était très souvent pour eux la première fois qu’un de leur proche annonçait sa séropositivité. J’avais peur de réaction de rejet, mais il n’y en a pas eu. Et pour ta famille ? Je n’ai pas beaucoup de famille. Ma mère ne le sait pas. Je n’ai pas envie de lui dire, car elle va tout de suite penser au pire, et je veux lui épargner ça. Pour ma soeur non plus, ce n’est pas encore fait. Mais ça viendra. Pour mon père, il ne fait pas partie de ma vie donc la question ne se pose pas. As-tu déjà souffert de discriminations ? Dans mon précédent emploi, je devais cacher mon homosexualité, c’était très pesant. On travaillait en open space et il y avait toutes ces discussions, où c’était clair que le style de vie homosexuel n’avait pas sa place. J’en suis même arrivé une fois à mentir et à m’inventer une copine hôtesse de l’air. Ça m’a suivi pendant deux ans. J’ai quand même fini par dire qui j’étais et j’ai même monté une association de visibilité. Et puis sur le VIH, un peu après avoir monté l’association, j’ai proposé d’intégrer la question du VIH dans les activités. Une grande majorité des membres de l’association, m’a répondu : « non, on ne va pas commencer par ça, c’est négatif ça va donner une mauvaise image. ». Ça souligne vraiment le déni et cela ne m’a pas donné envie de dire que j’étais séropo, et pourtant j’étais dans une phase ou je voulais être totalement accepté, donc le dire, ne plus se cacher, ou mentir sur soi. Mentir au sein de ma communauté, qui pourtant est vraiment concernée par le sujet, c’est vraiment insoutenable. Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif pour toi maintenant ? C’est être suivi de près à l’hôpital, des prises de sang, des rendez-vous tous les trois mois, des inquiétudes pas rapport à mon taux de CD4. C’est prendre des médicaments tous les jours, c’est pas forcément facile. Des fois je croise mon regard dans la glace quand je les prends et ça me fout un coup sur la tête car j’ai la réalité en face. C’est aussi se sentir privé de plein de libertés. D’abord celle de voyager librement : un certain nombre de pays refusent l’entrée des séropos sur leur espace (exemple : les USA). Je suis alors obligé de mentir sur mon statut et de planquer mes médocs. Par ailleurs le Norvir c’est difficile à transporter, le camping sauvage ce n’est pas pour moi. C’est ensuite se priver ou compliquer mes projets : mon copain et moi avions à un moment le projet de partir vivre au Canada, mais c’est impossible car ce pays accepte l’immigration des séropos sans traitement uniquement. Mon traitement est trop coûteux pour la Sécu locale. Nous avons aussi dû mentir et donc tout risquer pour prendre un prêt immobilier. Quand on est séropo, c’est très compliqué de prendre un prêt, le VIH y faisait vraiment barrage. Cet achat c’était une décision forte pour notre couple. Moi, tout seul, je ne l’aurais pas fait. J’ai dû mentir sur ma séropositivité. On a eu peur qu’ils nous obligent à faire un test. Le stress venait aussi des projections que l’on pouvait se faire : s’il m’arrivait quelque chose on pouvait tout perdre. Et puis aussi dans la vie de tous les jours, il y a le dentiste. Je le dis ou pas ? Si je le dis comment ça va se passer ? Et pourquoi de plus en plus de questionnaires sur ce sujet ? Sans parler de chercher ses médocs en pharmacie, ça aussi ce n’est pas évident. Bref, être séropo maintenant, pour moi, c’est devoir franchir des barrières qui existent ou qu’on se fabrique soi-même. Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ?Je n’ai pas eu beaucoup de relations. Avec Richard, au début de notre relation, il n’y avait aucune fellation à son grand dam. Ça a duré un mois, ce n’est pas long, mais assez pour qu’on en parle et que je prenne conscience qu’il fallait que je lui dise, cela devenait sérieux. Je n’arrivais pas à lui dire en face, je ne voulais pas voir sa réaction, je ne voulais pas voir sa tristesse qui me renverrait à la mienne. Je lui ai écrit. Après l’avoir lu, il m’a appelé très vite et m’a dit « qu’on fera avec ». Ouf ! Et pour les deux trois aventures avant lui, je n’avais pas pu le dire, et à cause de ça j’ai fui, et ces relations se sont finies sans explication. Comment vis-tu ? Lorsque j’ai quitté mon boulot, j’ai bénéficié d’une prime conséquente qui me permet de vivre à peu près normalement en attendant que j’obtienne le diplôme nécessaire à mon nouveau métier. Par rapport au VIH, j’essaie maintenant de faire avec et de positiver autant que possible. J’ai cru en 2006 que je pouvais l’oublier, il est réapparu sous la forme d’un mélanome pour lequel je suis également suivi maintenant. Le militantisme, qu’est-ce que cela t’apporte ? Pouvoir m’affirmer. Montrer qui je suis, ce que je veux, ce qui me semble être juste pour moi et la société. Et par rapport au VIH c’est surtout défendre nos droits car il faut continuellement lutter contre les discriminations. Je suis allé dans d’autres associations avant Act Up-Paris et je n’ai pas trouvé cette part de militantisme qui permet de s’entraider. Si tu devais changer quelque chose dans ta vie, ce serait quoi ? Le VIH ce n’est pas la meilleure chose qui me soit arrivée, c’est même la pire, mais malgré tout, ce que j’aurais voulu c’est m’affirmer plus tôt et profiter pleinement de ma vie. Qu’est ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? Quand on est séropo, on ne l’oublie jamais, il y a toujours une parole, un mot, qui le rappelle. Et c’est là pour toujours. C’est difficile à tous les moments de la vie. Dans cette interview, il y a une tonne d’événements que j’ai passés sous silence car je préfère les oublier. Ça représente tout de même 7 ans de ma vie et ce n’est peut-être pas fini.