Le tribunal correctionnel de Marseille vient de condamner un homme séropositif de 41 ans à trois ans de prison, dont un avec sursis, pour « administration volontaire d’une substance nuisible ayant entraîné une infirmité ou une incapacité permanente ». Nous condamnons cette décision de justice, à l’unisson de la grande majorité des acteurs et actrices de la lutte contre le sida, comme toutes les mesures visant à la pénalisation de la transmission du VIH, et finalement à celle des séropositifVEs.
« Ni victimes, ni coupables ». Ce slogan historique d’Act Up-Paris est plus que jamais d’actualité. Le sida est la seule maladie dont la transmission suscite aujourd’hui des poursuites pénales, menant à des peines de prison ferme. Prisons, dont les conditions sanitaires sont notoirement connues pour être incompatibles avec l’accès aux soins et aux traitements dont une personne séropositive a besoin.
Ce qui a été condamné, hier à Marseille, c’est le silence d’un homme (cela aurait pu être celui d’une femme) sur sa séropositivité. Depuis sa création, Act Up-Paris a déclaré la guerre au silence, celui qui fait le lit de l’épidémie et des contaminations, celui qui nourrit les peurs et les discriminations, celui qui empêche, parfois ou souvent, de dire sa séropositivité. Ce que dit ce jugement, c’est qu’il n’est toujours pas simple de dire aujourd’hui sa séropositivité dans notre pays. Et cela même avec la menace de poursuites judiciaires.
Ce que dit ce jugement, c’est que le sida, c’est toujours les autres et que la responsabilité de la protection devrait relever des séropositifVEs et uniquement d’eux et d’elles. Tout s’articulerait donc autour d’une logique binaire, qui verrait s’opposer « victime » et « coupable », femme et homme, « salaud » et « amoureuse ». Comment supporter d’ailleurs que le procureur qualifie le prévenu de « salaud » en pleine audience ! Alors même que le ministère public qu’il représente ne s’émeut guère de laisser des milliers de malades dépérir dans ses prisons.
Contrairement à ce que pensent faire croire certainEs avocatEs ou juges « bien » intentionnéEs, ces condamnations nourrissent le silence plutôt qu’elles ne le combattent. Nous savons que ce traitement pénal des contaminations, loin de favoriser la prise de conscience de chacunE sur ses prises de risque et ses comportements de prévention, ne fait que jeter encore un peu plus l’opprobre sur les séropositifVes.
Refuser la pénalisation de la transmission du VIH, ce n’est pas prendre parti : la plaignante comme le condamné sont tous les deux séropositifs. Elle comme lui font face aux discriminations que subissent les personnes atteintes et à la remise en question radicale de leurs vies.
Mais ce à quoi les procès ne pourront jamais apporter de réponse, c’est aux questions de fond que soulèvent ces situations individuelles. Comment en arrive-t-on à des relations sexuelles non-protégées dans le cadre d’une relation stable ou de couple sans avoir jamais abordé le statut sérologique de son ou sa partenaire ou s’être interrogé sur ses pratiques de prévention ? L’illusion de la confiance et la sincérité mettraient à l’abri de tout danger de contamination. Cette croyance signale le grave déficit de la prévention en France. Pour preuve, la campagne de l’INPES sur la question de l’infidélité qu’on attend toujours.
La plaignante, comme le dit son interview dans Le Parisien daté du 26 mai 2008, par son geste judiciaire poursuit plusieurs buts : se faire reconnaître comme victime, empêcher d’autres contaminations. Nous ne connaissons pas cette femme, Laurence, mais, femmes et hommes, séropositifVEs et séronégatifVEs de l’association nous nous posons des questions par rapport à sa démarche : est-il possible de « mériter » d’avoir le sida ? Si elle est une victime du sida, cela signifie-t-il que d’autres sont coupables ?
Cette condamnation ne va malheureusement pas conduire à réduire les discriminations envers les personnes séropositives. Elle risque, en revanche, d’augmenter la stigmatisation de touTEs les séropositifVEs. Elle confirmera pour beaucoup que le sida ne les concerne pas.