Cette tribune a été publiée dans L’Humanité daté du vendredi 27 juin 2008.
A chaque marche des fiertés ou publication des données épidémiologiques sur l’infection à VIH/sida, les moralistes nous donnent des leçons : la progression de l’épidémie de sida chez les gays serait principalement due à leur irresponsabilité. Ils auraient abandonné la prévention, n’en auraient plus rien à faire du sida… Pourtant les gays n’ont pas envie de se contaminer ni de contaminer. La plupart utilise le préservatif bien plus que tout autre groupe de population[[Les trois quart des gays séronégatifs utilisent systématiquement la capote dans leurs rapports sexuels avec leurs partenaires occasionnels. (Source Enquête Presse Gay).]]. Comment s’expliquer alors aujourd’hui l’importance de l’épidémie dans la communauté gay et le maintien d’un nombre de nouvelles contaminations anormalement élevé ?
A ceux qui parlent d’échec de la prévention, nous affirmons que nous sommes en réalités confrontés aux limites de la prévention telle qu’elle est menée chez les gay. On estime, en France, qu’environ un gay sur cinq est porteur du virus. L’importance de la prévalence de l’épidémie explique en grande partie le nombre des contaminations. Si le nombre de personnes infectées était comparable chez les hétérosexuels la progression de l’épidémie serait bien pire encore que celle que l’on observe actuellement chez les gays. Mais c’est sans compter encore avec la durée de l’épidémie.
Cette situation n’est pas pour autant une fatalité. Depuis plus de vingt ans, la lutte contre l’épidémie a largement reposé sur une mobilisation communautaire. Qui s’étonnera qu’elle puisse s’essouffler après tant d’années alors même que le sida ne semble plus une priorité ni pour les pouvoirs publics ni pour la société. Qui peut croire qu’une politique efficace de prévention puisse se limiter à la publication de brochures ? Alors même que l’incidence de l’épidémie chez les gays est l’une des plus importante, c’est pour la prévention gay qu’il y a en France le moins de moyens mis à disposition pour soutenir le maintien d’une réponse communautaire.
Face à l’inertie des pouvoirs publics, comme au début de l’épidémie, les gays ne pourront compter principalement que sur eux-mêmes. Il est donc urgent que les gays s’emparent de nouveau des questions posées par cette épidémie. Paradoxalement, il n’a jamais été aussi difficile qu’aujourd’hui de parler de son statut sérologique au sein même de la communauté. Il est grand temps que nous réabordions ensemble nos rapports les uns avec les autres : les jeunes et les plus vieux, les pauvres et les friqués, les modasses et les ringardes, les séropos et les séronegs. Car séropositif ou séronégatif, par la force des choses, on vit tous avec le VIH.
C’est en inventant de nouvelles réponses collectives que nous infléchirons cette épidémie qui dure depuis trop longtemps. Les enjeux de prévention nécessitent aujourd’hui d’être rediscutés et réappropriés par les gays, qui sont les premiers concernés. Il ne s’agit pas pour nous de dire ce que doit être la prévention mais de dire aux gays que ces questions leurs appartiennent. Jamais les experts, qui n’ont pas l’expérience de notre vécu de gay face au risque, ne seront capables à notre place de nous dire ce qui pourra renforcer notre capacité à vivre ensemble et prendre soin de nous.
Surtout que de nouveaux enjeux se profilent aujourd’hui. Alors que le développement de nouvelles approches biomédicales pourraient offrir de véritables opportunités pour réduire l’épidémie chez les gays, nous refusons de laisser la place au renforcement d’approches de santé publique qui ne se confrontent pas aux envies et aux besoins des personnes concernées. Tirer parti de ces nouvelles pistes pour la prévention implique une discussion large dont on ne sait pas encore sur quoi elle débouchera, mais qui vaut le coup d’être menée pour réduire l’épidémie.
Le maintien d’un nombre de contaminations anormalement élevé dans notre communauté après plus de vingt ans d’épidémie est un fait suffisamment préoccupant pour qu’Aides et Act Up-Paris aient choisi cette année, au-delà de leurs divergences, de manifester ensemble à la marche des fiertés LGBT. Si les gays reprennent en main la discussion sur la prévention nous serons encore aujourd’hui capables d’enrayer cette épidémie, comme nous avons réussi à en limiter l’impact dans les années 90.