Des militantEs d’Act Up-Paris sont à Mexico pour assister à la conférence internationale sur le VIH/sida et rencontrer leurs alliéEs activistes. Premières données sur les enjeux propres au Mexique en termes de lutte contre le VIH/sida.
Mexico est une ville gigantesque, dont l’étendue géographique dépasse
l’entendement. La ville est recouverte d’une nappe de pollution en
permanence, et son altitude – plus de 2300 mètres, nous fait parfois manquer
d’oxygène. Le centre de la conférence – assez éloigné des hôtels où sont logés les
activistes, est immense.
Depuis notre arrivée, nous avons rencontré des activistes mexicainEs, pour
essayer de comprendre les enjeux propres au Mexique en termes de lutte
contre le VIH/sida, ainsi qu’à son contexte politique, économique et
social.
Jeudi, nous avions rendez-vous avec Carlos Garcia de Leon – que nous avions
croisé récemment à New York, où, à l’occasion de la réunion de haut niveau
sur le VIH/sida aux Nations Unies, une action en solidarité avec les
sexworkers cambodgiennes avait été organisée devant la mission du Cambodge.
Le Mexique est un pays du Sud, et la position un peu intermédiaire
qu’il occupe, par rapport aux pays du Nord, ou à certains pays africains (les plus touchés par la pandémie de VIH/sida) l’isole sur de nombreux
plans.
A l’approche de la conférence, les différents hôpitaux de la ville ont été
nettoyés et rénovés, mais les activistes mexicainEs se font peu d’illusions :
une fois la conférence terminée, ils redeviendront comme ils étaient
auparavant ; pas suffisamment entretenus, avec une qualité des soins
laissant vraiment désirer. Le manque de moyens pour financer le coût des
infrastructures, du matériel de soins, et le personnel soignant tendraient à
l’expliquer. En effet, il n’y a pas de raisons que le Mexique échappe à la
crise des ressources humaines en santé (RHS) qui touche l’ensemble de la
planète, ce qui est d’ailleurs, pour Act Up-Paris, un des enjeux de cette
conférence.
L’accès aux traitements
Autre sujet de préoccupation majeure pour les mexicainEs : le coût des
médicaments. Les labos présents sur le marché mexicain sont principalement
les américains (Abbott, Gilead) et Glaxo Smith Kline. Le prix des
traitements antirétroviraux (ARV) au Mexique serait de quatre fois supérieur
à ceux disponibles sur le marché canadien. Un autre problème
rencontré par les personnes vivant avec le VIH/sida au Mexique : les
récurrentes ruptures d’approvisionnement de certains médicaments, liés,
paraît-il, en grande partie à la corruption.
Le gouvernement mexicain a demandé une baisse des prix, et a déclaré être en mesure de financer les médicaments anti-sida jusqu’en 2010, mais guère au delà. Si les prix ne baissent pas, le ministre de la santé mexicain a déclaré, à son retour d’une visite à Cuba, que le Mexique importerait des génériques de Cuba. Une déclaration peu vraisemblablement suivie de faits, mais symboliquement forte, illustrant l’état d’urgence dans lequel se trouve
aujourd’hui le Mexique sur la question de l’accès aux traitements. Pour que
le Mexique ait la possibilité de produire des génériques, il faudrait que le
président face une « déclaration d’état d’urgence nationale ». Il pourrait,
dans ces conditions, émettre des licences obligatoires sur certains
médicaments et ceux-ci pourraient être commercialisés au Mexique. En l’état
actuel des législations sur la propriété intellectuelle et des accords de
l’OMC, le Mexique n’a pas le droit d’importer de génériques, et, les pays
proches, producteurs de génériques comme le Brésil ne peuvent pas en
exporter vers le Mexique.
Les activistes mexicainEs sont préoccupés car cette déclaration d’urgence
nationale n’est, selon eux, pas prête de venir. D’autant plus que règne au
Mexique un fort climat d’hostilité aux génériques dans les ONGs de lutte
contre le sida, et dans l’opinion. Derrière cette hostilité, on peut
aisément reconnaître l’empreinte de l’industrie pharmaceutique, dont sont
dépendantes financièrement la plupart des ONGs travaillant sur les
traitements anti-sida au Mexique. Ainsi des campagnes anti-génériques,
répandent dans l’opinion des contre-vérités : « les génériques n’auraient pas
la même qualité que les médicaments de marque », « les génériques des
médicaments anti-sida donneraient des effets indésirables beaucoup plus
importants et modifieraient le corps des gens ». Lors de notre rencontre avec
un représentant d’une association mexicaine de prévention du VIH chez les
jeunes, Rodrigo O., ses affirmations concernant les
génériques et les traitements ARV ont conforté notre impression d’hostilité
aux génériques. Rodrigo a fini par reconnaître qu’il était peu informé sur
le sujet, comme beaucoup de militants anti-sida mexicains d’ailleurs.
Plus tard, dans la journée de jeudi, nous avons rencontré des militantEs de
la Coalition to access to treatments de Mexico. Elles nous ont expliqué que
certains de leurs financements sont en train d’être coupés par CENSIDA,
l’équivalent de la DGS ou de l’INPES français. Pour elles, elles paient le
prix de leurs positions concernant les génériques. La coalition travaille
pour la baisse des prix des traitements au Mexique. Selon Gina, une de ses
représentantes, alors que, après des années de lutte, l’accès universel aux
traitements, était presque effectif en 2002, aujourd’hui, il est fortement
remis en cause.
Par ailleurs, pendant longtemps, le Mexique n’a pas été éligible au Fonds
Mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, c’est
seulement récemment, à l’occasion du round 7, que le Mexique a amorcé la
rédaction d’une demande de financements au Fonds Mondial. Cette rédaction
de demande n’a pas abouti. D’après les informations dont nous disposons, il
semblerait qu’il y ait eu des problèmes au sein du Country Coordination
Mechanism mexicain (CCM), l’instance indépendante du Fonds Mondial, en
charge de rédiger les demandes de financements. Souvent, le problème des CCM est qu’ils sont chapeautés par les gouvernements en place, et que la société civile et les personnes vivant avec le VIH/sida y sont sous-représentés.
Aujourd’hui, les représentants de la société civile et des personnes vivants
avec le VIH/sida, la TB et le paludisme, on changé au sein du CCM mexicain.
Les usagerEs de drogues y sont désormais représentés, tout comme les
travailleurSEs du sexe.
Les minorités
Concernant les minorités, Carlos nous a parlé de l’usage de drogues au
Mexique. Les drogues les plus consommées sont le crack et la cocaïne. La
région Amérique centrale-Amérique du Sud n’étant pas elle-même productrice d’opiacés, la consommation d’héroïne par voie intraveineuse est plutôt rare. La région nord du pays est celle où la consommation est la plus
forte. Les principales associations activistes d’usagerEs de drogues sont
basées là-bas.
Pour ce qui est des discriminations, Carlos a beaucoup insisté sur le
sexisme, et sur la grande difficulté pour les femmes d’imposer des rapports
protégés à leur partenaire. En 1997, 9,5% des séropos étaient des femmes. En
2008, elles représentent 19% des personnes vivants avec le VIH/sida, et on
estime qu’en 2020, la moitié des séropos seront des femmes (le rapport était
de 27-1, il est actuellement de 6-1 et sera de 1-1). Le sexisme, le coût du
matériel de prévention, des préservatifs masculins ($1 c’est le salaire par
jour de beaucoup de mexicains) et des fémidons (encore plus élévé)
permettraient d’expliquer cette « explosion » des nouvelles contaminations
chez les femmes. Les femmes seraient les plus touchées.
A noter que pour 2007, le Mexique avait financé trois millions de
préservatifs, et pour 2008, l’année de la conférence, il en a financé 40
millions. Les activistes mexicains sont sceptiques, à raison. Ils craignent
que, dès l’année prochaine, tous les efforts mis en place pour l’année de la
conférence, soient supprimés.
Concernant les discriminations des LGBT, le Mexique est le deuxième pays de
la Région Amérique du Sud-Amérique Centrale en termes de crimes homophobes, après le Brésil. Le président de l’association de Carlos a été assassiné il y a quelques années en raison de son orientation sexuelle.
Concernant les droits des personnes trans’, la situation n’est guère mieux ; aucun protocole hospitalier de transition n’est en place, et la prescription
d’hormones pas simple d’accès.
Pour marquer cette situation et ces discriminations très fortes envers les
LGBT, une marche contre l’homophobie s’est déroulée, ce samedi 2 août, entre
la place Angel de Inpendancia, pour rejoindre la place de la Constitution.
Les manifestants ont défilés sous les slogans comme « La homofobia mata », « La
transfobia mata » etc. Sur la place de la Constitution, une scène géante
avait été dressée après la marche ; le directeur de l’IAS (International
Aids Society), ainsi que les représentants des ONGs mexicaines se sont
exprimés.
Deux militantes d’Act Up-Paris ont pris la parole, pour rappeler
l’importance de se battre contre l’homophobie, pour souligner les
conséquences des discriminations en termes de prises de risque dans sa
sexualité. Mais les militantes ont également rappelé, devant près de 5000
personnes, que la France était absente de cette conférence mondiale sur le
VIH/sida. AucunE membre du gouvernement français n’est en effet présentE.
Par ailleurs, les pays du G8 ne tiennent pas leurs engagements, et la baisse de l’aide publique au développement (APD) en France, nous permet de croire de façon sûre que les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy réaffirmant l’engagement d’accès universel aux traitements d’ici 2010, ne pourra pas être réalisé. Nous pensons que la France est absente, pour ne pas faire face à ses responsabilités.
En rappelant le prix des médicaments au Mexique, l’absence de leaders politiques des pays les plus riches à la conférence mondiale, une des militantes d’Act Up-Paris, a appelé, les 5 000 personnes présentes, à un die-in géant : « Un die-in pour symboliser les mortEs dusida et de l’homophobie, mortEs des suites de discriminations, de l’absence de traitements sida à prix abordable, des mortEs de l’inaction des pays du G8. Nous allons maintenant adresser un message aux leaders du G8, on va leur dire, que pour cette conférence mondiale, le monde attend des actions concrètes pour que cesse cette hécatombe ». Le slogan « The world is watching you ! » (le monde vous regarde) à été proposer. La foule a massivement repris le slogan, à une dizaine de reprises.
Quelques secondes plus tard, la pluie commençait à tomber sur la ville.