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Où le travail commence sur les chapeaux de roue, où on parle de médicaments pour enfants et de sexe multipartenaire.

La première impression concernant la conférence ne s’est pas démentie. Ce lieu est véritablement hostile. Il y a un kilomètre entre le village global, où sont réunies les associations communautaires, et la conférence même, avec des escaliers raides à gravir, un accès limité à des ascenseurs. Sur les 20 000 personnes qui fréquentent la conférence, 10 % au moins sont séropos. Mais visiblement, les organisateurRICEs n’y ont pas vraiment pensé. Par ailleurs, symboliquement, la séparation du village est une régression : les séropos et les activistes, dehors, les gens sérieux, à l’intérieur. Un signe ne trompe pas : la différence de standing entre les toilettes de la conférence, de grand standing, et celles du village, démontables et vraiment sordides.

L’endroit n’est techniquement pas prêt à recevoir autant de gens. L’accès à internet dysfonctionne dès que la salle médias est pleine, il est impossible d’imprimer ou de faire des photocopies sans y passer une heure. La salle activiste est sous une soufflerie qui empêche de s’entendre et qui vous donne des rhumes. Bref, cette conférence ne recevra pas la palme de la meilleure organisation.

La conférence n’a pas encore officiellement commencé, et il y a pourtant déjà un agenda chargé. Nous commençons à huit heures du matin par une réunion entre activistes internationauxLEs et les représentantEs de l’IAS. Comme pour la conférence de Toronto, la discussion porte essentiellement sur les règles dites « de sécurité » concernant les zaps. Rien de très nouveau, si ce n’est que les autorités mexicaines sont terrifiées à l’idée qu’une manifestation ait lieu lors de l’intervention du président Felipe Calderon, à la cérémonie d’ouverture, le soir même. Elles ont donc décidé d’interdire… tout. Si nous voulons pouvoir entrer, nous ne devons pas avoir d’armes (cela tombe bien), de boissons, de nourriture, de tracts, de banderoles, de pancartes, de cornes de brume… et comme tout cela est un peu long à vérifier, les services mexicains ont trouvé une bonne idée : interdire les sacs. La liberté d’expression avance à grands pas au Mexique.

Nous enchaînons avec une réunion bien plus intéressante avec des activistes américainEs et mexicainEs. On y échange nos agendas, nos projets d’action. C’est l’occasion de discuter à nouveau de la situation du Mexique avec les miliantEs locauxLEs – majoritairement des travailleurSEs du sexe qui se battent pour la légalisation de leur activité, mais aussi pour l’accès aux soins. Nos interlocutrices se battent par exemple pour que le Mexique importent des génériques. Leur discours confirme ce qu’a pu nous dire Carlos : beaucoup d’associations relaient la désinformation de l’industrie pharmaceutique de marque sur les génériques (notamment sur leur soi-disant mauvaise qualité), et trop peu de personnes dans la société civile sont suffisament formées et/ou motivées pour que des pressions efficaces soient exercées sur le gouvernement. Par ailleurs, très peu des activistes présentEs parlent anglais. Or, beaucoup de documents qui circulent sur le sujet, sont exclusivement écrits dans cette langue – y compris nos textes.

Pendant ce temps d’autres militantEs d’Act Up assistent à des sessions préalables, montent notre stand dans le village global, font les repérages indispensables, prennent des contacts avec des journalistes, des officielLEs ou d’autres activistes.

Le moment fort de l’après-midi est le zap du symposium organisé par le laboratoire BMS. Celui-ci mérite les foudres des associations d’Europe, puisqu’il a abandonné, dans les pays concernés, la commercialisation de la formulation pédiatrique de l’efavirenz (Sustiva), pour la seule raison que les prescriptions ne sont pas en nombre suffisant pour lui assurer des bénéfices juteux. A l’entrée du symposium, des militantEs du TRT-5 et de ‘EATG distribuent un tract au public en train de rentrer. De notre côté, avec des activistes américainEs, nous nous asseyons vers les premiers rangs. Le premier intervenant n’a que le temps de se présenter, nous nous levons en scandant « Save the children’s lives, not your pharma profits » en nous avançant vers la scène. Un actupien prend le micro pour expliquer les raisons de l’interruption, et demander au public de boycotter le symposium, ou du moins de signer la pétition que nous distribuons. Certaines personnes quittent la salle, la majorité reste, mais nous applaudit, et s’empare de la pétition. Nous quittons la salle aux cris de « People with Aids under attack / What do we do ? Act Up ! Fight Back ».

Lancement d’un réseau international de recherche mêlant « genres, sexualités et VIH »

Ce même jour nous assistons à un atelier de travail (skill building) où est officiellement lancé un réseau international de recherche nommé « Gender and HIV Research Network » (Réseau de recherche sur Genre et VIH) initié par cinq institutions et fondations [[International Center for Research on Women (ICRW), International AIDS Society (IAS), San Francisco AIDS Foundation, Pangaea Global AIDS Foundation, Soul City: Institute for Health and Development Communication et African Population and Health Research Center (APHRC).]].

Ce réseau vise à rassembler fondations, universités et laboratoires qui étudient les spécificités du genre (masculin, féminin, transgenre, intersexe) et des sexualités (hétérosexualité, homosexualité, bisexualité…), dans un cadre lié au VIH. Le but ? Promouvoir le partage d’informations et d’études entre chercheurs, prioriser et monter des programmes de recherche étendue à travers le monde, impliquer financeurs et politiques dans la recherche sur le VIH.

Volonté louable, si seulement, une fois de plus, ce grand élan de générosité dans le désir d’affiner et de préciser la recherche contre le VIH/sida n’oubliait pas les principaux intéresséEs : les malades. Nous n’avons pas hésité à faire remarquer aux promoteurs de cette démarche que les associations de malades existaient, qu’elles étaient elles-mêmes organisées en réseaux et qu’elles étaient plus qu’intéressées par la recherche. Bien sûr, cette remarque a suscité l’enthousiasme et nous avons pris contact pour envisager des rapprochements entre ce réseau et les associations de malades, associations communautaires, et associations de lutte contre le sida. Nous en avons aussi profité pour leur transmettre divers diaporamas de conférences sur l’éthique dans la recherche, dans les essais thérapeutiques et pour l’implication des communautés.

Un des buts de ce projet est d’identifier à chaque conférence les enjeux de recherche sur un sujet déterminé. Les participantEs contribuent ainsi à la discussion et à l’amendement des propositions dans d’éventuelles pistes de recherche. Pour ce lancement, le sujet évoqué « Research on Concurrent Partnerships and HIV Prevention » (recherche sur les liens entre « partenaires concurrents, VIH et prévention ») a fait l’objet de peu de débats, faute de temps. Néanmoins, il a suscité quelques réactions d’une chercheuse spécialiste de la question, le Docteur Martina Morris[[: présente au « 3rd International Workshop on HIV Transmission » auquel Act Up a pu assister deux jours avant le lancement de la Conférence de Mexico, M. Morris a notamment fait une présentation intitulée : A little concurrency goes a long way: Explaining generalized epidemics
and prevalence disparities in HIV and other STI.]], qui a notamment pointé du doigt le manque d’études sur l’impact du multipartenariat dans l’évolution de l’épidémie chez les gays, dans le cadre de rapport non protégés. Nous reviendrons certainement sur cette notion de « partenaire concurrent » ,pour en présenter quelques études, ainsi que les interprétations et dérives d’ordre moral qui pourraient en être faites.

PS : Nous avons par ailleurs assisté à des sessions sur les questions « VIH et migrantEs » et pénalisation qui feront l’objet d’une autre chronique.