Nombreuses sont les sessions qui, durant la semaine de la conférence, ont été consacrées à la question de la charge virale dans la transmission du VIH.
Ainsi, à Mexico, une session intitulée « HIV transmission under ART » a accueilli notamment le Dr. Bernard Hirschel et le Pr. Pietro Vernazza, ces deux médecins suisses à l’origine de l’annonce[[Leur annonce, qui a ensuite fait l’objet d’un avis émis par la CFS (Commission Fédérale Suisse de Santé Publique) affirme qu’un couple hétérosexuel sérodifférent peut se passer de préservatif dans le cas où la personne séropositive ne présenterait aucune IST et aurait une charge virale indétectable depuis au moins six mois. A ce moment-là, de manière assez simpliste ou dangereuse, quelques journaux ou associations titraient même certains de leurs articles sur le sujet « Préservatif ou trithérapie ? »… ]] qui avait fait un buzz médiatique assez conséquent à la veille du 1er décembre 2007.
Nous avons dû, en tant qu’association de lutte contre le sida, recadrer très rapidement ce discours pour expliquer que de telles annonces, aussi réjouissantes soient-elles pour l’ensemble des séropositifVEs et leurs partenaires, se faisaient dans un cadre médical strict, où l’observance étaient de rigueur, et que, malgré tout, le risque de transmission n’était pas nul. De nombreuxSES scientifiques estimaient aussi que le nombre d’études sur le sujet n’étaient pas assez suffisant, que les effectifs observés étaient trop faibles, et qu’il était plus que nécessaire d’effectuer d’autres recherches pour consolider les données actuelles, et pouvoir alors annoncer un tel message sans faire encourir le moindre risque aux personnes. Simple principe de précaution.
Ainsi, à lire le titre général de la conférence, on aurait pu s’attendre à ce que les Suisses reviennent sur leurs propos, ou du moins en modèrent la teneur après avoir pu profiter de l’effet médiatique escompté. Il n’en est rien. Pietro Vernazza persiste et signe. Ce dernier a inauguré l’ouverture de la session, en réaffirmant la position de la Commission fédérale sur le sida (CFS), et quelques diapos plus tard, en garantissant sans doute aucun, que les trithérapies efficaces protègent d’avantage que le préservatif. Il faut modérer-là ces propos, et pointer du doigt le manque de rigueur et de transparence de l’équipe suisse dans l’affichage public de leurs conclusions. D’une part, en comparant l’efficacité des HAART versus le préservatif, les Suisses se basent sur des cas étudiés numérairement différents : quelques centaines d’individuEs pour l’un, versus des milliers de cas observés pour l’autre. La comparaison n’est donc pas objective, puisque le score de probabilité s’en trouve modifié, et de fait si ces chercheurs avaient un peu plus de rigueur scientifique, ils pourraient afficher l’hypothèse que si des études plus larges étaient menées, l’évaluation de l’efficacité des HAART sur la transmission du VIH en serait quelque peu modifiée.
De plus, en communiquant que le risque de transmission sous HAART est relativement réduit, et donc acceptable car comparable à un risque accidentel de la vie de tous les jours, l’argument avancé par Pietro Vernazza est alors illustré par le risque d’un accident de mort pour une personne pratiquant l’alpinisme. Le nombre de mortEs est effectivement réduit, puisque la part d’alpinistes dans le monde l’est également au regard de la totalité de la population. Augmenter la part de personnes pratiquant l’alpinisme, et le nombre de mortEs s’en trouvera plus élevé. Même logique donc avec la part de couples séro-différents pratiquant le sexe sans préservatif et l’impact sur les nouvelles contaminations au sein de ces couples ?
Nous avons beau constater, comme les Suisses, que depuis une dizaine d’années des études mettent en avant une corrélation certaine entre la réduction de la charge virale et la réduction des risques de transmission, à l’inverse, nous estimons que leur avis peut s’avérer dangereux en l’absence d’études approfondies, et d’un accompagnement ciblé de leur message. Plusieurs inconnues subsistent :
– Comment est reçu un tel message par les populations africaines, pour lesquelles l’accès aux traitements n’est pas aussi aisé qu’en Suisse ?
– Comment est interprété cet avis par les populations homosexuelles masculines ?
– Qu’en est-il de la considération de l’infidélité, du multipartenariat, ou des IST asymptomatiques, ou des blips de réplication du virus ?
– Quelles modifications une telle annonce entraîne-t-elle sur des messages généraux de prévention et l’utilisation du préservatif dans la population « générale » ?
Autant de questions auxquelles les chercheurs n’apportent pour l’instant aucune réponse tangible…
Rencontre avec le Dr Bernard Hirschel, ou comment faire la différence entre la médecine hospitalière et la rigueur scientifique ?
Mardi 5 août, deux militants de l’association ont interviewé Bernard Hirschel, suite à la présentation du dimanche précédent au sujet de la transmission du VIH sous antirétroviraux. La conférence de Mexico est largement revenue sur cette question, émettant certitudes et doutes, confirmant ou infirmant parfois certaines positions trop aventureuses. Nos doutes, nos questions, nous avons voulu les poser au Docteur Bernard Hirschel, qui a accepté de nous répondre, sûr de lui.
Ainsi, selon lui, il était de son devoir, pour les séropositifVEs, de rendre publique une si bonne nouvelle, même si les études sur lesquelles il se base sont anciennes, et même si les auteurEs mêmes de ces études n’ont pas souhaité tirer les mêmes conclusions que lui. Selon lui également, aucun journal n’a retransmis ses propos de manière faussée ou raccourcie, et que si tel est le cas, il ne peut endosser une quelconque responsabilité en cela. Bernard Hirschel pense que le délai de 6 mois de charge virale indétectable est largement suffisant dans le cadre de son avis, et ce, même si plusieurs chercheurEs et scientifiques de la communauté internationale le contestent.
Bernard Hirschel estime également qu’il n’était pas nécessaire d’attendre les conclusions à venir sur l’essai HPTN-052, lancé depuis 2005, et qui se base sur un échantillon beaucoup plus important de couples sérodifférents.
Il persiste en affirmant que les trithérapies seraient des moyens de prévention plus efficaces que le préservatif, puisque le préservatif n’est pas utilisé par touTEs. Il confirme aussi cette théorie selon laquelle on pourrait traiter tout le monde pour réduire l’évolution générale de l’épidémie.
Il pense que l’avis suisse pourrait être élargi aux couples homosexuels ou aux populations africaines, et ce, sans tenir compte de l’impact du multipartenariat courant dans certaines de ces communautés, ni le fort impact des IST (comme l’herpès) dans la transmisison du VIH [[NDLR : faut-il rappeler que plus de 80 % des personnes séropositives au VIH en Afrique sont également touchées par le HSV-2 ? et que de fait, cela les excluent de l’avis émis par les Suisses…]]. Il ne tient également pas compte de la difficulté de la mise en place d’un suivi médical et d’accès aux traitements qui subsistent en Afrique.
Pour lui, les blips de réplication en cas de grippe ou lors du cycle menstruel de la femme n’ont pas d’impact sur l’avis émis. Il estime que les données plus récentes et plus fines issues de la méta-analyse de Weller & Davis (2004) sur l’efficacité du préservatif n’ont pas plus d’intérêt que les données plus anciennes exposées par Pietro Vernazza et datant de 1999.
En affichant de tels résultats, quelle est donc la position de Bernard Hirschel sur le préservatif comme moyen de prévention ? Selon lui, cet outil de prévention ne marche plus, il n’est pas utilisé par touTEs, voilà donc pourquoi de nouvelles solutions de réduction de risque doivent êtres proposées.
Suite à ces propos, nous persistons et nous signons : Bernard Hirschel est peut-être un bon médecin hospitalier, mais il n’est pas chercheur…
– (la vidéo de l’interview sera prochainement mise en ligne)