Aujourd’hui la réduction des risques liés à l’usage de drogues connaît une inquiétante évolution. D’un côté, un secteur spécialisé toujours plus réactif, organisé, inventif, capable de suivre avec une grande finesse l’évolution des pratiques de consommation ; de l’autre – autant dire dans le reste du monde ? – une régression parfois sidérante, jusque dans les services hospitaliers spécialisés dans le suivi VIH.
En mai dernier nous avons reçu la lettre qui suit. L’« anecdote » qu’elle relate en dit long sur le recul de cette approche de la santé des usagers de drogues, comme du principe de suspension du jugement qu’elle implique. Invocation de clauses de conscience pour écarter une demande de matériel d’injection, indifférence au risque de contamination VIH, ignorance flagrante de la loi, on reste abasourdi par tant de confusion. Tout serait-il à recommencer ? Au moins sait-on clairement, ici, de quel côté se situe la responsabilité.
« Je vais vous faire part de ce que j’ai vécu aujourd’hui, dimanche 11 mai 2008. J’habite le moyen pays niçois, à 70 km de Nice. Ayant un problème de seringue que je ne pouvais pas partager (je suis contaminé par le VIH et le VHC), je décide de me rendre à Nice pour faire les pharmacies de garde, sachant que ma tentative avait 90 % de probabilité d’être vouée à l’échec. Pas grave, je tente. Refus des pharmaciens sous diverses raisons. Je décide de me rendre à l’hopital de L. où je suis suivi pour la pathologie VIH. Je me rends dans le service, pas fier mais responsable ! Pour eux je suis un ex-toxico stabilisé de longue date. Bref, le personnel soignant que j’aborde est dépassé et va s’en remettre à son infirmière cadre de service (j’ai dû insister, sinon c’était déjà fin de non-recevoir). La supérieure se dit dépassée et m’invite à aller voir les mêmes pharmacies de garde. Je lui dis leurs refus, elle me répond qu’ils n’ont pas le droit… mais que dire devant des arguments du genre « Pas en stock » ou « Je viens de fournir mon dernier stéribox », « Pas de transcutanée, non » ou « Stock vide jusqu’à mardi »…? Il est clair que je les emmerde avec mon besoin de seringue. Je re-précise bien que je vais avoir un problème de partage de seringue et que j’ai donc une pathologie VIH. Ils se foutent royalement du risque avéré que mon amie va prendre, que je le veuille ou non, ainsi que de ma démarche responsable. J’en suis sidéré. L’infirmière me renvoie : « Ça nous fait un problème de déontologie de vous permettre d’aller shooter ». Je lui avais auparavant montré ma seringue usagée pour qu’elle comprenne que de toute manière j’avais déjà du matériel, mais elle cautionne ça ! Ma réponse : « Et de savoir qu’il y a un risque majeur de transmission à un SERONEGATIF, ça ne vous gêne pas ? Ne pas me permettre de l’éviter, c’est ça le problème MAJEUR, déontologiquement. » Il est clair que je leur cause un problème de responsabilité, ils ont peur de prendre le risque d’être tenus responsables. Mais de quoi ?
Réduction des risques liés à l’usage de drogues : Paix à son âme ?
Devant ma détermination et mes réponses plus que logiques, voici qu’elle a été la suggestion : « Allez au commissariat, ils exigeront du pharmacien une délivrance ». Je leur rappelle que l’usage de ces substances est réprimé par la loi et leur assure que non, je n’irai pas au commissariat pour exiger la délivrance de seringues… Je leur reprécise qu’ils sont ma dernière possibilité, leur donne le nom du praticien qui me suit dans le service, leur donne mon nom aussi. Ils essaient de contacter le médecin d’astreinte de leur service pour voir si lui les autorise ou les décharge du problème. Pas moyen de le joindre. Du moins dans leur version, car si un malade a un besoin de soins urgents, ils font comment ?… Bref, ils décident d’appeler le commissariat pour connaître les pharmacies de garde, ferment la porte de leur bureau et me prient d’attendre dans le couloir… Je n’ai pas attendu longtemps car je suis parti. Plus tard dans la journée, je les ai contactés par téléphone pour leur dire que j’avais trouvé une solution et leur demander s’ils avaient obtenu une réponse favorable d’une des pharmacies de garde. Je connaissais la réponse : pas une ne m’aurait fourni de seringue neuve.
Je vous précise qu’avant d’aller à L. j’avais essayé toutes les possibilités, même téléphoné à Paris à Drogue Info Service pour essayer d’avoir le contact d’une association, ou autre… Rien de réalisable : numéro de Médecins du Monde périmé, distributeur d’accès douteux, qui ne fonctionnait qu’avec des jetons à se procurer dans une pharmacie… fermée le dimanche ! Les personnes que j’ai eues ont été très sympas mais ne pouvaient rien faire pour moi si ce n’est me répéter que les officines sont obligées d’en délivrer ! Je leur disais ici c’est le 06 et pas Paris !
Voilà l’anecdote… Le tout dans un service où sont suivis la majorité des VIH du CHU. Moralité : toi le tox, va crever plus loin d’une septicémie et par la même occasion propage ton VIH, mais ne viens pas nous déranger avec ta responsabilité pour autrui. Car mon engagement était là. Après tout, cela, je devais être pour eux un trop grand effort de remise en question de leur « certitude inébranlable » sur ces shoots (dixit l’infirmière chef). Je ne peux m’empêcher de penser aux malades du service qui sont tox et espèrent y trouver de l’humanité, car cela aide à passer les douloureuses périodes où l’hospitalisation est parfois nécessaire. En tout cas, du personnel que j’ai affronté ce dimanche, ils n’en auront guère !!! »
A retenir
Dans la domaine de la réduction des risques liée à l’usage de drogues, le terrain n’a pas épuisé ses capacités de résistance. La réduction des risques aujourd’hui c’est plus de 1 500 personnes travaillant dans près de 300 structures qui continuent à inventer chaque jour des manières de réagir aux situations concrètes amenées par les consommateurs. Situations comme celle qui est rapportée ici, et qui montre une fois encore, que les usagers de drogues, aujourd’hui, comme depuis le début de l’épidémie, savent se montrer responsables, quoi qu’en disent les bien-pensants qui aujourd’hui encore ne croient qu’en la répression. Mais nous pensons que, dans le domaine des drogues comme dans celui des risques sexuels, mieux vaut prévenir, que punir.