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L’immunodéficience favorise le développement de maladies opportunistes associées à des bactéries et des virus. C’est le cas du virus HHV-8 associé au sarcome de Kaposi (encore appelé KSHV), caractérisé entre autres manifestations cliniques par l’apparition de plaques violacées sur le corps. L’arrivée des antirétroviraux a permis de restaurer en partie l’immunité et de juguler ainsi les infections opportunistes, à telle enseigne que, du moins pour les personnes bénéficiant de traitements, le risque de développer un sarcome de Kaposi après infection par le VIH a pu être écarté.

Mais est-ce si sûr ? Des observations épidémiologiques récentes indiquent que, même sous traitement efficace, certaines personnes peuvent développer un Kaposi – sous une forme modérée et que l’on sait fort heureusement bien traiter – voire une autre pathologie cancéreuse liée aussi au virus HHV-8, la maladie de Castleman dont le traitement n’est pas aussi immédiat, loin s’en faut[[Nous aborderons dans le prochain numéro de Protocoles la maladie de Castleman, pathologie moins connue.]]
En 1981, l’apparition de multiples cas de maladies rares, au développement agressif chez de jeunes homosexuels aux Etats-Unis, dont le sarcome de Kaposi, fait prendre conscience qu’une nouvelle épidémie caractérisée par une immunodéficience est en train de s’installer. Le sida a touché initialement les homosexuels, mais aussi les personnes usagères de drogue, les haïtiens et les hémophiles.
Par sa localisation cutanée sous forme de plaques généralement violacées, le sarcome de Kaposi constitue une manifestation visible pour l’entourage de l’infection par le virus du sida, manifestation qui peut être stigmatisante. Tout cela, c’est du passé, direz-vous. On aimerait pouvoir le dire, mais de rares cas existent toujours avec une infection contrôlée.

Pourquoi cette maladie s’appelle-t-elle Kaposi ?

Il s’agit du nom de son découvreur, le dermatologiste hongrois Moricz Kaposi qui décrit pour la première fois à Vienne en 1872 un cancer d’un type particulier qui affecte des hommes âgés et se présente sous la forme de macules[[Macules : taches planes de taille généralement inférieure à un centimètre, colorées par rapport à la peau adjacente, mais de même texture et épaisseur.]] ou nodules[[Nodules : protubérances de
la peau solides et de plus d’un centimètre de diamètre.]] d’aspect rouge violacé ou brun.

Pourquoi cette maladie est-elle un sarcome ?

L’emploi du terme sarcome renvoie à l’origine tissulaire de cette maladie. Les sarcomes sont des cancers rares qui ont pour origine des cellules des tissus conjonctifs, ces derniers constituant les tissus osseux et les tissus mous. Les tissus mous assurent les liaisons entre les organes internes et leur maintien et comprennent divers types de tissus : muscles, tendons, tissus graisseux, etc. Le sarcome de Kaposi apparaît principalement au niveau des tissus mous, mais une localisation inhabituelle au niveau de l’os et des muscles squelettiques est possible.

Quelle est l’origine cellulaire de ce sarcome ?

Ce qui caractérise les lésions les plus visibles est une forte composante sanguine (ce qui explique aussi leur couleur) due à de multiples vaisseaux nouvellement formés – dans le jargon scientifique, on parlera de tumeur fortement angiogénique, l’angiogenèse étant précisément la formation de nouveaux vaisseaux à partir de ceux existant et permettant à la tumeur de grandir en étant oxygénée et nourrie. Comme pour d’autres sarcomes, l’origine cellulaire initiale n’est pas complètement déterminée, mais la caractéristique commune des lésions est la présence de cellules en forme de fuseau (Ces cellules sont appelées ‘spindle cells’ en anglais. Voir aussi Pour en savoir plus.).

Le terme regroupe-t-il plusieurs pathologies ?

Il existe effectivement plusieurs formes de sarcome de Kaposi.
La forme classique affecte plus particulièrement des personnes d’origine juive ashkénaze (Europe centrale) et du pourtour méditerranéen âgées de plus de 60 ans. En général, la maladie se développe plutôt lentement, mais peut fréquemment évoluer rapidement, ce qui nécessite un traitement à base de chimiothérapie. Elle se développe surtout au niveau des extrémités inférieures (peau et tissus sous-cutanés) et plutôt chez les hommes (90 % des cas). Elle est aussi connue sous le nom de forme chronique, sporadique ou européenne. C’est en Sardaigne et en Sicile que le plus grand nombre de nouveaux cas européens est rapporté. Elle est aussi un peu plus fréquente en Afrique du Nord.
Une forme endémique encore appelée sarcome de Kaposi africain affecte les jeunes enfants et jeunes hommes d’Afrique subsaharienne.
La forme liée aux transplantations : si, dans la majorité des cas, l’atteinte est essentiellement cutanée, jusqu’à 45 % des personnes recevant une greffe développent une forme viscérale dont le pronostic est alors mauvais. Les lésions apparaissent plusieurs mois après le traitement immunosuppresseur. Une corticothérapie peut aussi entraîner cette forme qui peut régresser après arrêt de l’immunosuppression.
Le sarcome de Kaposi dit épidémique car lié à l’infection par le VIH est celui qui est décrit dans ce dossier.

Quelles sont les manifestations du sarcome de Kaposi ?

Il s’agit d’une maladie affectant plusieurs sites, quoique la peau soit généralement le premier site visible de développement des lésions (macules et nodules).
– Peau : à ce niveau, les sites préférentiellement affectés sont les jambes et le visage, mais elles peuvent apparaître partout. Les lésions sont d’un aspect rouge violacé sur une peau claire et bleuâtre voire brun noir sur une peau foncée. Sur la peau, elles peuvent être initialement confondues avec des bleus et ne sont pas douloureuses, ni irritantes. Contrairement aux bleus dont la coloration disparaît temporairement après avoir appuyé dessus, les lésions de Kaposi conservent leur coloration. En évoluant, les lésions deviennent plus épaisses et peuvent fusionner. Cette évolution dépend des personnes et peut être lente comme rapide avec de nouvelles lésions chaque semaine. En dehors de la peau, des lésions peuvent se développer au niveau du pourtour de la bouche et dans les organes internes (tube digestif, poumons, cerveau, etc.).
– Pourtour de la bouche : la découverte de la pathologie peut s’effectuer initialement dans la bouche à l’occasion d’une visite chez un dentiste. Une personne sur trois avec un sarcome de Kaposi en liaison avec le VIH développe des lésions dans la bouche et la gorge (palais, gencives, langue, amygdales, larynx et trachée). Elles peuvent être asymptomatiques au niveau du palais, et du coup non détectées. Par contre, ailleurs dans la bouche et la gorge, elles peuvent se mettre à suinter, notamment du sang et rendre inconfortable le fait de manger, respirer ou avaler. Des problèmes dentaires peuvent apparaître, en particulier des pertes de dents.
– Organes internes : les symptômes des lésions internes dépendent de l’organe atteint. Des lésions peuvent déjà être présentes dans le système digestif au niveau gastro-intestinal lors du diagnostic de sarcome de Kaposi au niveau de la peau, mais elles peuvent aussi apparaître au niveau gastro-intestinal sans localisation au niveau de la peau. Ces lésions sont généralement asymptomatiques, mais peuvent néanmoins, dans certains cas, conduire à des douleurs et des saignements. Des douleurs abdominales, des diarrhées ou encore plus rarement, une obstruction intestinale peuvent être associées à cette localisation.
– Une atteinte du système lymphatique peut se produire, même en absence de lésions au niveau de la peau. Il y a blocage des vaisseaux et des ganglions lymphatiques, ce qui peut conduire au gonflement des extrémités. Ce type de gonflement affecte plus particulièrement les pieds et les jambes et, dans les cas les plus sévères, il peut rendre la marche difficile, voire douloureuse, et peut conduire à l’installation d’une infection bactérienne. Ces gonflements peuvent aussi atteindre l’aine, les organes génitaux, la peau autour des yeux, mais plus rarement la poitrine et les bras.
– L’atteinte pulmonaire est associée à une toux (parfois sanguinolente), une douleur au niveau de la poitrine, un essoufflement, des difficultés à respirer, de la fièvre, un gonflement des extrémités et un blocage pulmonaire.

Quel est le lien avec le virus KSHV ou HHV-8 ?

En 1994, le virus HHV-8 a été identifié dans des lésions de sarcome de Kaposi. Les initiales HHV renvoient à l’anglais ‘human herpesvirus’ pour Herpès virus humain. Il existe plusieurs types de virus HHV[[Voir le dossier dans Protocoles 49 de janvier 2008 sur les virus de l’Herpès HSV-1 et 2 qui correspondent aux formes HHV-1 et HHV-2, respectivement.]]. Le HHV-8 est aussi appelé KSHV pour Herpès virus associé au sarcome de Kaposi, Kaposi’s sarcoma-associated herpes virus en anglais.
Même si tout n’est complètement élucidé quant au mode d’action de ce virus, son rôle dans le développement du Kaposi est maintenant bien établi (voir la partie en savoir plus. Si le virus HHV-8 est nécessaire pour le développement d’un sarcome de Kaposi et sans doute l’élément initiateur, il n’est néanmoins pas suffisant et d’autres facteurs interviennent.
Le HHV-8 est aussi associé à la maladie de Castleman et au lymphome effusif primaire.

Comment se transmet le virus HHV-8 ?

Les modes de transmission ne sont pas encore complètement élucidés. La possibilité de transmission par piqûre d’insecte aspirant le sang fait l’objet d’une controverse. L’autre piste bien étayée par de multiples études est la salive qui contient de grandes quantités de particules virales du HHV-8 contrairement aux autres fluides (sang et sécrétions génitales) – et ceci indépendamment du nombre de CD4. La salive pourrait ainsi rendre compte des transmissions sexuelle et non sexuelle et expliquer les profils de transmission prépondérants selon les régions : transmission non sexuelle de la mère à l’enfant et dans les familles dans les régions de Kaposi endémique comme en Afrique et transmission sexuelle chez les homosexuels aux Etats-Unis, par exemple. Ceci dit, si la salive est la principale source de transmission, il reste encore à déterminer en quoi les pratiques homosexuelles conduisent à une transmission plus grande que chez les personnes hétérosexuelles. Des échanges plus fréquents ou plus intenses ont été évoqués. Ainsi plus le nombre de partenaires est élevé, plus le risque d’être infecté par le HHV-8 est élevé. Toujours chez les homosexuels, il en va de même en cas d’antécédents de maladies sexuellement transmissibles. Ces deux éléments suggèrent ainsi une transmission sexuelle chez les homosexuels.
Une transmission autre que par la salive ou par voie sexuelle – verticale de la mère à l’enfant pendant l’accouchement, sanguine ou liée à une greffe – sont néanmoins envisageables. Cependant, les taux de transmission les plus bas se retrouvent chez les personnes usagères de drogues et chez les hémophiles.

Quelle est la prévalence de l’infection par le HHV-8 ?

La séroprévalence pour le HHV-8 est très variable d’une région du globe à une autre. Typiquement, elle est de 1 à 10 % dans les pays dits développés, alors qu’elle peut atteindre 80 % de personnes infectées dans certaines régions sub-sahariennes et en Afrique équatoriale. Pour les pays développés, alors que la prévalence est faible toute population confondue, elle est plus élevée chez les homosexuels. Ainsi, elle peut atteindre 11 à 20 % des séronégatifs et 30 à 54 % des séropositifs pour le VIH en Amérique du Nord.

Le sarcome de Kaposi met-il en jeu le pronostic vital ?

Une atteinte restreinte à la peau ne met pas la vie en danger. Par contre, une extension des lésions au niveau interne peut entraîner des conséquences graves.