Le 8 novembre, durant le Conseil d’Administration du Fonds mondial, les pays riches ont opéré diverses coupes sombres et plafonds dans les budgets alloués aux pays pauvres pour lutter contre le sida, le paludisme et la tuberculose. C’est la première fois dans l’histoire du Fonds mondial que les donateurRICEs imposent de telles mesures. Concrètement, ce sont des traitements qui n’arriveront jamais et des vies humaines sacrifiées. L’argument avancé par les pays riches pour justifier ces coupes est celui la crise financière et son impact sur les priorités budgétaires des pays riches.
Les pays riches ont imposé ces rabais[[La liste des coupes et plafonds que les pays riches viennent, pour la première fois dans l’histoire du Fonds mondial, d’imposer aux pays pauvres bénéficiaires du Fonds, est décrite en page 15 du relevé de décision du conseil d’administration du 8 novembre, disponible en ligne ]]au Fonds mondial avant même de tenter de trouver des ressources supplémentaires. Pourtant, les 1 400 milliards de dollars mobilisés en quelques jours cet automne pour renflouer les spéculateurs financiers prouvent qu’il est possible de trouver de l’argent, lorsque la volonté politique est là. Par contraste, les coupes visent à économiser entre 1 et 2 milliards de dollars sur le dos des pays pauvres. Face au refus des pays riches de tenter de mobiliser des ressources supplémentaires, les trois représentantEs de la société civile internationale membres du Conseil d’Administration du Fonds mondial ont condamné ces réductions drastiques en séance plénière, et ont tenté de bloquer leur adoption. Malheureusement, les membres du CA représentant des gouvernements de pays pauvres ont fini par céder aux pressions occidentales, et par voter en faveur des coupes budgétaires qui leurs étaient imposées – les ONG et les malades ont ainsi été mis en minorité par les Etats, et les coupes ont été adoptées.
Résumé des coupes et plafonds décidés à Delhi…
Concernant les nouveaux projets, présentés par les pays pauvres au CA des 7 et 8 novembre 2008, il s’agit d’une coupe de 10 % pour les deux premières années (dite Phase 1), puis de 25 % pour les trois années suivantes (dite Phase 2).
Concernant les projets en cours : les pays demandant un renouvellement de leur subvention se verront dorénavant appliquer un plafond de 40 % d’augmentation budgétaire – ce qui revient à plafonner le nombre de malades qu’un pays peut demander au Fonds mondial de soigner.
Concernant l’appel à projet de mai 2009 : il est supprimé. Le Fonds mondial avait annoncé une salve de financements supplémentaire au printemps 2009, en plus de celles de l’automne 2008 et de l’automne 2009. Le CA des 7 et 8 novembre a annulé le round du printemps 2009 – seule la session d’automne 2009 est encore prévue.
Concernant l’implication de la France dans ces décisions : notre pays a bien poussé pour les coupes et plafonds adoptés par le Fonds mondial le week end dernier, et s’est même félicitée de leur adoption en séance plénière du Conseil d’Administration.
… et conséquences
Les coupes vont être réalisées sur l’ensemble des projets recommandés pour financement pour le tour d’appel à projet 8 par le « Technical Panel Review » (TRP) du Fonds Mondial, le comité chargée d’évaluer les demandes de financement des pays en fonction de leur qualité et de juger s’ils sont nécessaires, réalisables et honnêtement budgétés. Dans la mesure où il n’est pas possible de réduire sensiblement certaines dépenses, comme, par exemple, le coût de nouvelles infrastructures ou des professionnels de soins, imposer des coupes à hauteur de 10 % puis de 25 % dans ces programmes, signifie nécessairement exclure des soins entre 10 % et 25 % des malades.
Les plafonds imposés concernent 137 pays qui touchent déjà des subventions du Fonds mondial pour lutter contre les trois pandémies. Ces subventions sont accordées pour une durée de cinq ans, et le Fonds mondial entre dans sa 7e année d’existence. Nombre de pays s’apprêtent à demander un renouvellement de leur subvention. Le Fonds mondial s’est engagé à œuvrer pour l’accès universel aux traitements. Il encourageait jusqu’ici les pays pauvres à exprimer leurs besoins, et à tenter de soigner l’ensemble de leurs malades. Or, en 2008, en moyenne dans le monde, seulE unE séropositifVEs sur trois a accès aux antirétroviraux. Il faut donc tripler le nombre de malades soignéEs, soit une augmentation de 200 %. Ces plafonds d’augmentation budgétaire de 40 % signifient qu’un pays ne pourra pas augmenter la mise sous traitement de ses malades de plus de 40 %, alors qu’avant il le pouvait avant -or on sait qu’une proportion de plus en plus importante de malades passent des traitements de première ligne à des traitements de seconde ligne, qui sont de deux à neuf fois plus chers que les premiers.
Les décisions prises à Delhi, par le conseil d’administration du Fonds constitué notamment de ses principaux contributeurs que sont les Etats-Unis, la France et le Royaume Uni, sont en totale contradiction avec les engagements pris par ces mêmes pays d’atteindre l’accès universel au traitement VIH en 2010 – engagement pourtant signé au sommet du G8 de juillet 2005, repris par les Nations Unies à l’Assemblée Générale de septembre 2006 à New York, et réaffirmé par Nicolas Sarkozy en juillet dernier au sommet de Toya-ko.
Pressions occidentales
Un représentant d’Afrique francophone a expliqué son vote en faveur des coupes en déclarant : « les représentants occidentaux au Conseil d’Administration nous avaient explicitement menacé de geler le financement des nouveaux projets du Round 8 si nous refusions leurs coupes. En effet, la masse de projets de qualité déposés au Fonds mondial pour financement cet automne est telle qu’elle aurait vidé les caisses du Fonds, ce qui aurait mis les pays riches au pied du mur pour remettre de l’argent. Ces coupes budgétaires leur permettent ainsi de laisser artificiellement de l’argent en caisse, et de déjouer leur obligation à ré-abonder le Fonds. » Ce représentant africain s’est dit disposé à témoigner dans les médias français, sous couvert d’anonymat.
Le Sud doit résister
Act Up-Paris et Coalition PLUS appellent les pays du Sud à ne pas se laisser décourager, et à continuer au contraire à demander au Fonds mondial de quoi soigner tous les malades du sida, de la tuberculose et du paludisme – malgré les coupes et les plafonds imposés cette semaine. Ces trois maladies sont les plus meurtrières du globe – elles tuent plus de 15 000 êtres humains chaque jour, plus de 6 millions par an. C’est seulement en rappelant aux dirigeants des pays riches le nombre vertigineux de vies qui peuvent être sauvées si les promesses étaient tout simplement tenues, que le Sud a des chances de convaincre le Nord de refinancer le Fonds mondial dans les prochains mois.
Bernard Kouchner doit s’exprimer
Nicolas Sarkozy s’est engagé solennellement, le 7 juin 2007 au sommet du G8, en faveur d’un accès universel aux traitements d’ici l’an 2010, pour tous les malades du sida du Sud[[Voir l’engagement de Nicolas Sarkozy du 7 juin 2007 en faveur d’un accès universel aux traitements contre le sida d’ici 2010, émis lors du sommet du G8 à Heiligendamm :
www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=cdp-G8-07-06-07.pdf – 2008-11-08]]. Act Up-Paris et Coalition PLUS appellent Bernard Kouchner à confirmer officiellement que la crise financière ne saurait justifier que la France renie ses engagements sanitaires envers le Sud. Bernard Kouchner ne peut être le ministre des Affaires étrangères qui laissera mourir le Sud au moment même où l’Etat français alloue 300 milliards d’euros aux spéculateurs boursiers. Bernard Kouchner doit s’exprimer publiquement sur le refinancement urgent du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.