En nous basant sur le témoignage de certainEs usagerEs de notre permanence juridique et sociale, nous nous sommes amuséEs à imaginer ce qui peut se passer dans l’esprit d’un jeune psy, tout frais démoulé de son école de médecine.
Je suis psychologue, c’est au bout du sixième patient que je croisais en trois semaines et qui venait quémander un certificat psychiatrique, que j’ai commencé à me poser des questions. Les trois ou quatre premiers patients, je n’y ai pas accordé plus d’importance que ça, vu que j’ai affaire à des personnes souvent limitées côté cérébral. Je pensais qu’ils cherchaient encore à se faire plaindre. Après tout, ils ne sont pas tout blanc ?
Mais au cinquième, un petit freluquet que j’avais l’habitude de croiser assez régulièrement et qui avait disparu depuis quelques mois, j’ai eu des doutes. Il est entré dans mon cabinet avec une tête de déterré, presque affolé, essoufflé d’avoir couru jusqu’à moi. Comme quoi « quand ils veulent, ils peuvent courir et s’ils peuvent courir, ils peuvent bosser, non ? » C’est là qu’il me tend une feuille tremblottante en balbutiant quelques onomatopées inaudibles. Au bout de quelques minutes, j’ai réussi enfin à lui prendre la feuille des mains et au vu de l’entête de la page je comprends. Je me redresse sur mon fauteuil, presque solennel et lui lis ces quelques mots surlignés : « Veuillez nous retourner un certificat psychiatrique signé par votre médecin ». Cela m’était donc adressé, à moi docteur Haine ! Tout droit de la MDPH, mise en place par le Ministère de la Santé, oui Madame, à Moi.
Il leur en a fallu du temps, ils venaient enfin de comprendre que quelque chose cloche chez ces gens-là. Depuis le temps que je le pense dans ma tête. Quel idiot j’ai été sur ce coup-là ! Plutôt que de le ruminer, il me suffisait de le dire haut et fort. Peut-être qu’ils m’auraient remarqué au ministère ? Je n’en avais pas parlé de peur que l’on porte plainte contre moi pour diffamation. Zut ! J’aurais dû être plus téméraire sur ce coup-là ! Tant pis, la prochaine fois, dès qu’une idée me traversera l’esprit je la noterai, et si rien ne me semble trop critiquable j’en parlerai à mon supérieur, pour tester l’impact, puis aux plus hautes instances, on ne sait jamais, cela pourrait me faire gagner du galon. Dès demain, promis, je m’y mets, si je trouve un peu de temps pour lire les rapports d’experts sur cette maladie qui me fait frémir rien qu’à l’évoquer !
Je ne lis pas beaucoup, je devrais peut-être m’y intéresser, au côté retord de ce virus. Il y a quelques jours, entre deux consultations, je m’ennuyais un peu et je suis tombé sur deux ou trois articles de grands chercheurs qui ne rigolent pas du tout avec ça. Ils disent que les malades que je reçois risquent une démence précoce due à leurs traitements et tout ce que ça chamboule dans leur corps. Tu parles, moi je pense qu’ils étaient déments avant de se soigner. Non mais vous les avez vus ? Toujours en train de se plaindre que l’on n’en fait pas assez pour eux ! A chercher la petite bête : « Je suis fatigué, j’ai mal là, j’ai mal ici, je pense que c’est ce médicament qui me barbouille et qui m’épuise, etcaetera. » Non mais, des fois mes oreilles en sont toutes retournées. Elles en ont mal à force d’entendre ces plaintes incessantes. «Vous vous rendez compte Docteur, ils nous ont déjà imposé les franchises médicales ». Comme si c’était à nous de les prendre en charge ! Comme s’ils avaient oublié la chance qu’ils ont que l’on veuille bien les soigner ! A l’époque de la peste, on leur aurait donné une petite clochette et puis c’est tout. On les aurait enfermés dans des quartiers de “sidaïques”, comme dirait l’autre. Bref, toujours quelque chose de travers, mais ne serait-ce pas eux qui le sont, « de travers » ? Depuis que le ministère a mis en place les « MDPH » pour remplacer les « COTOREP », je les vois débouler dans mon cabinet pour demander un certificat psychiatrique, à la demande de ces MDPH. « Mais je ne suis pas fou » qu’ils me disent « je suis malade, j’ai le sida, pas les boyaux de la tête ulcérés ». Je ris sous cape, non ils ne sont pas fous, ils sont folles, hi hi hi. Mais du coup, je suis pris au piège moi avec ces nouvelles directives. S’ils continuent comme ça au ministère, je vais crouler sous les rendez-vous, moi. A raison d’un patient toutes les 20 minutes, je ne vais plus avoir de temps pour moi. Peut être vais-je gagner plus à force de travailler plus comme il l’a dit notre Président ? Mais j’y pense, même pas ! puisque je suis dans le public, cela ne change rien, je n’aurais pas plus de rentrées d’argent moi. Mince alors ! Je vais devoir me les enfiler les uns derrière les autres, comme à l’abattoir ! Il me faut réfléchir. Mais pourquoi les MDPH demandent des certificats psychiatriques ?